Contrats publics
le 13/02/2025
Alice LARMET
Guillaume GAUCH

Délégations de gestion des services publics locaux : les points clefs du rapport de la Cour des comptes

Le rapport public thématique de la Cour des comptes sur les délégations de gestion des services publics locaux publié au mois de décembre 2024 ne formule pas seulement des recommandations, mais identifie également des leviers d’action à destination des collectivités territoriales et leurs groupements. Plus globalement, ce rapport permet de dresser un panorama des points de vigilance qui doivent pris en considération lorsqu’une qu’une collectivité territoriale décide de déléguer la gestion d’un service public local et de lancer une procédure de passation à cette fin. Il met en particulier en lumière l’importance du suivi et du contrôle par l’autorité concédante de l’exécution de ce type de contrat.

Ce que l’on peut retenir du rapport :

 

1. Veiller à la pertinence du choix du mode de gestion en amont du lancement de la procédure

Après avoir rappelé la diversité des modes de gestion des services publics possibles et présenté les grandes caractéristiques et avantages des contrats de délégation de service public (bénéfice de l’expertise métier des entreprises privées, optimisation de la gestion, financement des investissements sans emprunt, transfert du risque lié à l’exploitation d’un service), la Cour consacre une partie de son rapport à la nécessité pour les collectivités de mieux préparer le choix du mode de gestion, le manque d’approfondissement de ces études préalables pouvant avoir des conséquences défavorables pour les collectivités.

En outre, il convient de rappeler que la réalisation d’études préalables approfondies permet non seulement de sécuriser le choix du mode de gestion, mais également de déterminer les principales caractéristiques du futur contrat et de faciliter l’établissement du règlement de consultation et du projet de contrat.

En conséquence, les collectivités ne disposant pas des compétences en interne ne doivent pas hésiter à se faire accompagner par un assistant à maîtrise d’ouvrage, dont le rôle est qualifié de « déterminant » par la Cour, tout en veillant néanmoins à ce que celui-ci ne soit pas en situation de conflit d’intérêts avec les entreprises du secteur.

 

2. Veiller à la régularité de la procédure de passation et à ne pas restreindre la concurrence

Dans son rapport, la Cour relève un certain nombre d’irrégularités commises durant la procédure de passation d’une délégation de service public (incohérences dans les formalités de l’appel à concurrence, divulgation d’éléments des offres des entreprises concurrentes) et de pratiques ayant pour effet de restreindre la concurrence.

Sur ce dernier point, l’on peut notamment relever le constat de l’absence d’allotissement, qui, s’il n’est pas obligatoire en concession, reste possible, et permet dans certains cas à l’autorité concédante de stimuler la concurrence.

Mais, l’allotissement n’est pas le seul levier permettant à l’autorité concédante d’optimiser les chances de recevoir davantage d’offres : elle doit également veiller à lancer son appel d’offre durant une période adaptée (en évitant par exemple les périodes de congés annuels), et laisser aux opérateurs des délais suffisants pour la remise de leur candidature et de leur offre.

 

3. Veiller à l’équilibre de l’économie du contrat tant au stade de la passation que de l’exécution du contrat

Pour rappel, l’article L. 1121-1 du Code de la commande publique prévoit que le contrat de concession doit transférer un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service au cocontractant de l’autorité concédante. Plus précisément « la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, qu’il a supportés ».

Or, dans son rapport, la Cour constate que certains contrats de délégation de service public ne mettent pas de risque significatif à la charge du titulaire ce qui, rappelons-le, expose le contrat à un risque de requalification par le Juge administratif en marché public, et peut donc conduire à l’annulation du contrat au motif de la méconnaissance des règles applicables aux marchés publics.

La collectivité doit donc veiller à bien transférer suffisamment de risque à son cocontractant au moment de la passation du contrat, ainsi qu’à son maintien au cours de l’exécution du contrat.

Au stade de la passation, la collectivité doit notamment s’assurer que la durée initiale du contrat n’est pas excessive et introduire une clause garantissant un retour financier lorsque les résultats dépassent significativement les prévisions initiales (il s’agit d’ailleurs de l’un des leviers identifiés par la Cour au terme de son rapport).

Aussi, l’autorité concédante doit s’assurer que le contrat ne prévoit pas une rentabilité excessive pour le délégataire, en exigeant la remise par les candidats d’un compte d’exploitation prévisionnel complet et détaillé, ainsi qu’une liste prévisionnelle des investissements programmés.

Il est également recommandé à l’autorité concédante de fixer des objectifs à son cocontractant en ce qui concerne la qualité du service délégué.

Au stade de l’exécution, l’autorité concédante doit également veiller à préserver l’équilibre de l’économie du contrat, notamment lors de la conclusion des avenants.

A titre d’exemple, la Cour relève que les collectivités « acceptent souvent d’aider, par des avenants, les entreprises délégataires à faire face à des aléas économiques prévisibles ». Il convient donc de rappeler l’importance de veiller systématiquement à ce que les conditions de la théorie de l’imprévision soient bien remplies avant d’accéder à la demande du titulaire.

Par ailleurs, la Cour insiste sur la nécessité pour les collectivités de négocier étroitement le niveau de rentabilité de la délégation, y compris après déduction des frais de siège et des achats de biens et de services facturés par des sociétés de l’entreprise au-delà des prix observables sur les marchés concernés[1].

Pour ce faire, l’autorité concédante doit bien veiller, lors de la conclusion d’un avenant, à demander systématiquement la mise à jour du compte d’exploitation prévisionnel et de la liste des investissements programmés.

 

4. Veiller à prévoir des indicateurs permettant d’évaluer la qualité du service produit par le délégataire

Outre les objectifs liés à la qualité du service, le contrat doit prévoir des indicateurs détaillés et chiffré, et la collectivité doit être en mesure de les suivre, à l’aide éventuellement de certains outils informatiques (système de gestion intégré par exemple).

A titre d’exemple, en matière de distribution d’eau potable, ces indicateurs peuvent porter sur la qualité de l’eau, la disponibilité de la ressource, les services proposés et leur accessibilité.

Dans son rapport, la Cour insiste également sur l’importance d’évaluer les impacts de toute nature des délégations, notamment pour l’usager et l’environnement.

 

5. Veiller à exercer un contrôle « plein et entier » et « opérationnel et financier » sur le délégataire

Dans le cadre d’une délégation de service public – qui implique un fort degré d’externalisation de la gestion du service – la qualité et le degré de contrôle opérationnel et financier par l’autorité concédante sur le délégataire dépend nécessairement de la capacité de celle-ci à accéder aux données de gestion collectées et produites par le délégataire au cours de l’exécution du contrat. A cet égard, la Cour regrette « un manque de transparence des contrats pouvant favoriser des situations de rente ».

Ainsi, la Cour préconise l’évolution de la législation en ce qui concerne l’accès à ces données. Mais, elle appelle également les collectivités territoriales et leurs groupements à bien veiller à fixer, au sein du contrat, la liste exhaustive des données financières et de gestion nécessaires à l’exercice de leur contrôle des conditions et des résultats de toute nature de la délégation (nature, source et périodicité de la transmission des données et des bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public, dont l’article L. 3131-2 du Code de la commande publique prévoit la communication à l’autorité délégante).

L’on peut également noter que la création par le titulaire d’une société dédiée à la gestion du service dotée d’un compte de résultat et d’un bilan distincts de ceux de l’entreprise ayant remporté le contrat de délégation présente l’avantage de faciliter le contrôle financier de l’autorité délégante, en ce sens que ses comptes retracent alors l’intégralité des flux financiers de la délégation[2].

 

6. Veiller à prévoir et à appliquer les pénalités

Dans son rapport, la Cour rappelle l’importance de prévoir, au sein du contrat, des pénalités en cas d’absence d’atteinte des objectifs fixés en matière de qualité de service, et en ce qui concerne la transmission des documents permettant à la collectivité de suivre et contrôler le fonctionnement de la délégation. Sur ce dernier point, l’on pense notamment au rapport annuel prévu par l’article L. 3131-5 du Code de la commande publique, qui prévoit la production par l’entreprise délégataire d’un rapport qui doit permettre à l’autorité délégante d’apprécier les conditions d’exécution du service public[3].

Pour la Cour, les pénalités contractuelles constituent un levier important permettant d’inciter les délégataires à la bonne exécution des contrats. Dans son rapport, la Cour invite ainsi les collectivités territoriales, non seulement à bien prévoir ces pénalités dans le contrat, mais également à les appliquer le cas échéant.

 

7. Veiller à préserver ses intérêts patrimoniaux

Le contrat doit identifier la liste et les modalités de tenue d’un inventaire précis des différentes catégories de biens immatériels[4] et matériels (biens de retour, biens de reprise, et biens propres).

En effet, la réalisation d’un inventaire détaillé des différentes catégories de biens apparaît primordiale afin d’éviter les aléas dans le calcul des éventuelles indemnités de fin de contrat, l’amoindrissement du patrimoine de la collectivité, ou encore d’écarter tout risque dans la continuité du service public.

 

8. Anticiper la fin du contrat

La dernière partie du rapport de la Cour des comptes porte sur l’élargissement des possibilités de choix du nouveau délégataire et du mode de gestion.

A ce titre, la collectivité doit notamment anticiper les conséquences financières et matérielles d’une résiliation avant le terme du contrat, particulièrement lorsque cette dernière est justifiée par un motif d’intérêt général, puisque dans cette hypothèse les parties peuvent limiter l’indemnisation du titulaire. Cela doit donc être anticipé dès la négociation du contrat initial.

Par ailleurs, la Cour préconise de conclure un protocole de fin de contrat suffisamment tôt (une à deux années avant le terme du contrat), afin de sécuriser le bon fonctionnement du service public jusqu’au terme de la délégation et la transmission des données nécessaires à la continuité du service.

En conclusion, les collectivités territoriales et leurs groupements doivent être particulièrement vigilants dans le cadre d’une gestion déléguée et, afin que la délégation n’entraîne pas leur déresponsabilisation, il leur revient d’anticiper un certain nombre de situations dès le stade de l’élaboration du contrat et des négociations, moment où ils bénéficient d’un rapport plus favorable avec les entreprises. Il leur incombe également d’exercer un contrôle plein et entier sur leur délégataire.

Dans le cadre de l’accompagnement de ses clients, le Cabinet SEBAN & Associés veille depuis de nombreuses années déjà à mettre en œuvre, tant au stade de la passation que durant l’exécution des contrats de délégation de service public, les préconisations proposées par la Cour.

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[1] S’agissant des frais de siège, la Cour relève que ceux-ci sont parfois très élevés sans que leur montant soit justifié. S’agissant des achats de biens et de services facturés par des sociétés de l’entreprise délégataire, la Cour souligne qu’il existe un risque que ces prestations soient surfacturées voire, dans certains cas, inexistantes.

[2] Attention, l’autorité concédante souhaitant la création d’une société dédiée doit en informer les candidats dès l’avis d’appel public à la concurrence, et préciser les principales caractéristiques de la société à constituer. En outre, il convient aussi alors d’intégrer des clauses spécifiques dans le contrat (clause de garantie de la société mère notamment).

[3] Ce rapport doit être produit chaque année avant le 1er juin et doit contenir un certain nombre de données prévues dans la partie réglementaire du Code. Pourtant, la Cour souligne que les juridictions financières relèvent des situations d’incomplétude des données fournies, voire d’absence dudit rapport.

[4] L’inventaire doit également porter sur les biens immatériels tels que les droits de propriété intellectuelle, systèmes de gestion, etc.).