Projets immobiliers publics privés
le 19/12/2025
Timothée SAURON
Sandie DUBOIS

Copropriétés en déshérence : comment réagir ?

Consacré comme un droit fondamental par les textes constitutionnels, le droit de propriété a fait l’objet de nombreux encadrements au cours des dernières années. L’accession à la propriété a été au cœur de diverses politiques publiques, qu’il s’agisse de soutenir l’habitat individuel ou collectif.

Mais la paupérisation croissante de la population a conduit ces dernières années à augmenter le nombre de copropriétés en déshérence, souvent caractérisées par des arriérés importants de charges.

L’impossibilité de faire face aux impayés, conjuguée à une méconnaissance des mécanismes juridiques mobilisables, crée des situations de blocage et peut entraîner des risques pour la sécurité des occupants en cas de dégradation du bâti si les travaux ne sont pas réalisés.

De nombreux syndicats de copropriétaires se retrouvent désorganisés, faute de pouvoir désigner un syndic ou d’assurer une gestion minimale.

Si la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 comportait déjà un certain nombre de dispositions permettant au syndicat des copropriétaires d’agir en cas de carence ou d’inaction du syndic, la réforme opérée par l’ordonnance du 30 octobre 2019 et son décret d’application n° 2020-834 du 2 juillet 2020 a renforcé les outils juridiques.

Le droit positif distingue désormais clairement deux voies d’action contentieuse :

  • celle permettant de solliciter la désignation d’un administrateur provisoire (article 47 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967) en vue de provoquer l’élection d’un syndic dans le cas où le syndicat en serait dépourvu ;
  • celle permettant la désignation d’un administrateur ad hoc (article 49 du même décret) en vue de pallier les cas d’empêchement ou de carence du syndic ;

Comprendre la complémentarité des mécanismes non contentieux (I) et contentieux (II) est indispensable afin d’opter pour la solution la plus efficace aux fins de remédier aux situations rencontrées dans le cadre de copropriété en difficulté.

I. Les actions non contentieuses pouvant être engagées par les copropriétaires eux-mêmes

Pour rappel, le syndic est l’organe obligatoire de représentation du syndicat des copropriétaires. Il agit pour le compte de ce dernier dans les actes civils et judiciaires prévus aux articles 15 et 16 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965.

L’article 18 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 confère au syndic l’ensemble des pouvoirs nécessaires à l’exécution des décisions de l’assemblée générale et à la gestion courante de l’immeuble, sous le contrôle éventuel du conseil syndical.

Mais il arrive que le syndicat soit confronté à des difficultés quant à l’élection d’un syndic. Ainsi, dans le cas où une assemblée générale ayant eu pour objet d’élire un syndic est annulée, le syndicat des copropriétaires peut se retrouver sans syndic et il en est de même en cas d’expiration de son mandat, de démission voire de décès si le syndic est une personne physique.

Cette situation peut entraîner d’importantes difficultés de gestion et aura des répercussions sur la situation financière et de conservation du bâti à terme.

Les risques peuvent être considérables pour l’immeuble : perte d’assurance, impossibilité de recouvrer les arriérés de charges, ou encore dégradation du bâti par manque de travaux et d’investissements.

Sans représentant légal, le syndicat est en déshérence, exposant les copropriétaires à des sanctions fiscales ou pénales.

a. L’absence de syndic régulièrement désigné

Il convient de rappeler que la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 donne tous les outils nécessaires aux copropriétaires pour assurer la bonne gestion de leur copropriété.

En principe, le syndic est nommé par l’assemblée générale des copropriétaires par vote séparé, à la majorité de l’article 25 de la loi n° 655-57 du 10 juillet 1965, c’est-à-dire à la majorité absolue des voix composant le syndicat.

Néanmoins, dans le cas où aucun syndic n’a été désigné par l’assemblée générale, l’alinéa 4 de l’article 17 de la loi précitée dispose que : « l’assemblée générale des copropriétaires peut être convoquée par tout copropriétaire aux fins de nommer un syndic ».

Aussi, nul besoin de faire intervenir un tiers en vue de régulariser une situation défaillante.

Toutefois, le copropriétaire souhaitant convoquer lui-même une assemblée générale devra impérativement respecter le formalisme imposé par l’article 9 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 sous peine de nullité : la convocation doit être notifiée au moins 21 jours à l’avance (sauf urgence), par lettre recommandée avec accusé de réception ou tout autre moyen laissant une trace écrite, indiquant lieu, date, heure et ordre du jour précis.

L’on devine aisément les difficultés auxquelles peuvent s’heurter les copropriétaires de bonne foi dans les plus grands ensembles immobiliers : coût des nombreux envois postaux et des frais de reprographie, suivi des envois et difficulté à obtenir les informations pour les copropriétaires bailleurs et dont l’adresse est difficilement connue.

Plus encore, il arrive que même en présence d’un syndic élu, la défaillance de ce dernier dans l’exercice de ses missions expose le syndicat des copropriétaires à des difficultés.

b. Le syndic défaillant : inertie ou faute de gestion

L’article 18 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 énumère ses missions essentielles : convoquer l’assemblée générale au moins une fois par an, exécuter les décisions votées, tenir la comptabilité, entretenir l’immeuble et recouvrer les charges

Aussi, en cas de carence dans son exercice, la responsabilité du syndic peut être engagée et le contrat de syndic résilié.

Il convient en effet de rappeler à cet égard que, dès lors que tout copropriétaire peut convoquer une assemblée générale comme en dispose l’article 17 précité, le syndicat des copropriétaires décide le plus souvent de mettre fin au mandat du syndic défaillant et d’en élire un nouveau.

En pratique, la faute du syndic résulte à cet égard, le plus souvent d’une absence de tenue d’assemblée générale ou de reddition et/ou d’approbation des comptes.

De plus, en cas d’inaction du syndic, le 3ème alinéa de l’article 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 prévoit que le président du conseil syndical peut, sur délégation expresse de l’assemblée générale, exercer une action contre le syndic, en réparation du préjudice subi par le syndicat des copropriétaires.

Ces mêmes dispositions prévoient que lorsque la copropriété n’a pas de conseil syndical, cette action peut être exercée par un ou plusieurs copropriétaires représentant au moins ¼ des voix de tous les copropriétaires.

L’article 49-1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 précise que cette action en justice est portée devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond et qu’en cas de saisine par un ou plusieurs copropriétaires, un mandataire ad hoc sera désigné par le président du tribunal aux fins de représenter les intérêts du syndicat dans le cadre de cette procédure.

Les frais sont ainsi avancés par le ou les copropriétaires, qui en supporteront définitivement la charge si l’action est rejetée par le juge. En cas de condamnation du syndic, les dommages et intérêts seront alloués au syndicat des copropriétaires et le ou les copropriétaires à l’initiative de l’action seront remboursés.

Ces différents outils permettent ainsi de sanctionner le syndic inactif, voire fautif, et d’en nommer un nouveau si nécessaire.

Mais les copropriétés en difficulté, souvent en proie à un désinvestissement des copropriétaires, peuvent peiner à mobiliser ces recours. C’est pourquoi, deux procédures judiciaires distinctes peuvent être actionnées pour pallier efficacement l’inaction des copropriétaires.

II. Les actions contentieuses : deux voies distinctes

Selon la situation de blocage rencontrée, la procédure judiciaire à mobiliser sera différente et ne tendra pas aux mêmes effets.

a. La désignation d’un administrateur provisoire en cas d’absence de syndic

Sur le fondement de l’article 47 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, le président du tribunal judiciaire peut, dans le cas où le syndicat est dépourvu de syndic, désigner un administrateur provisoire de la copropriété.

Cette désignation s’effectue par la voie d’une ordonnance rendue sur requête.

L’efficacité de cette voie réside dans sa simplicité et sa célérité puisque la saisine par voie de requête se fait sans contradictoire à la seule initiative du demandeur.

Ce choix procédural est logique : à défaut d’avoir un représentant régulier, le syndicat des copropriétaires ne peut être représenté en justice et donc, seule la saisine par voie de requête est possible.

La requête est déposée par voie d’avocat au greffe du tribunal du lieu de situation de l’immeuble par tout intéressé justifiant d’un intérêt à agir. Il s’agit d’une procédure non contradictoire, permettant de recevoir une ordonnance de désignation dans de courts délais.

L’administrateur dispose des pouvoirs nécessaires à la convocation d’une assemblée, à la reconstitution des comptes et au redressement de la gestion.

Il se fait remettre les références des comptes bancaires, les coordonnées de la banque et l’ensemble des documents et archives du syndicat.

La mission de l’administrateur est temporaire et est strictement encadrée par l’ordonnance.

Les fonctions de cet administrateur provisoire cessent de plein droit à compter de l’acceptation de son mandat par le syndic désigné par l’assemblée générale.

b. La désignation d’un administrateur ad hoc de la copropriété en cas d’empêchement ou de carence du syndic

Selon l’article 49 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, le syndic en fonction peut être assigné par tout intéressé devant le président du tribunal judiciaire statuant en référé en vue de la désignation d’un administrateur ad hoc de la copropriété.

Cette voie, prévue pour les cas d’empêchement ou de carence visés au V de l’article 18 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, s’adresse exclusivement aux copropriétés dotées d’un syndic défaillant.

Contrairement à l’ordonnance sur requête, l’assignation en référé implique une procédure dite contradictoire : le syndic en fonction est dûment convoqué pour répondre des manquements qui lui sont reprochés (absence d’assemblée générale, défaut de comptabilité, non-recouvrement des charges, etc.).

Tout intéressé peut initier par voie d’avocat cette action – un copropriétaire, le conseil syndical, une collectivité locale, un bailleur social ou un créancier.

Etant précisé que la demande ne sera recevable que s’il est justifié d’une mise en demeure adressée au syndic et restée infructueuse pendant plus de huit jours, sauf à démontrer une situation d’urgence due à l’exécution de certains travaux nécessaires à la sauvegarde de l’immeuble et au fonctionnement des services d’équipement commun ou de travaux prescrits par un arrêté de police administrative relatif à la sécurité ou la salubrité publique.

L’administrateur ad hoc, nommé par ordonnance, reçoit des missions spécifiques : assister le syndic pour des tâches précises (convocation d’une AG, recouvrement des impayés) ou le suppléer totalement en cas de défaillance grave, sans toutefois révoquer le syndic.

Cette procédure permet également d’engager éventuellement la responsabilité du syndic.

Il s‘agit donc d’une action contentieuse plus lourde que l’ordonnance sur requête.

Cette procédure reste une solution de dernier recours pour les copropriétés où le syndic, bien que présent, paralyse la gestion par son inaction, dès lors que, comme nous l’avons vu, les copropriétaires peuvent décider de mettre fin au mandat du syndic défaillant et d’en élire un nouveau.

L’ensemble de ces outils mis à disposition par le législateur permettent aujourd’hui de reconstituer facilement la gouvernance dans le respect des intérêts des copropriétaires et des tiers.