Environnement, eau et déchet
le 04/07/2023
Clémence DU ROSTU
Julie CAZOU

Consultation du public, réhabilitation des friches et accélération de l’industrialisation : tour d’horizon des dispositions du Titre Ier du projet de loi « industrie verte »

Sénat, Projet de loi relatif à l’industrie verte

Dans une volonté « de faire de la France le leader de l’industrie verte en Europe »[1], le Gouvernement a déposé le 16 mai 2023 devant le Sénat un projet de loi relatif à l’industrie verte. Il s’agit de développer la création d’industries fournissant des biens et services permettant la décarbonation de l’économie, mais également de décarboner l’industrie existante.

Ce projet de loi a été soumis au Sénat, qui en a adopté une version amendée le 22 juin 2023, et est désormais examiné par l’Assemblée nationale. La version du texte ici exposée est celle votée par le Sénat.

Le projet de loi comportait initialement 19 articles articulés en trois titres. S’il compte désormais 37 articles depuis sa version adoptée par le Sénat le 22 juin 2023, les titres initiaux ont été conservés, le Ier traitant des mesures destinées à accélérer les implantations industrielles et à réhabiliter les friches. Ce titre aborde à cet égard notamment les questions de la participation du public, de la gestion des déchets, de la réhabilitation des friches ou encore de la protection de la biodiversité. Le titre II du projet de loi est relatif aux enjeux environnementaux de la commande publique et le titre III porte sur le financement de l’industrie verte, mais ils ne seront pas abordés ici. C’est en effet le titre I qui nous intéressera plus particulièrement.

 

I. Certaines dispositions visent tout d’abord à organiser la planification industrielle.

Les enjeux d’industrialisation sont intégrés dans le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). L’article 1er du projet de loi vise ainsi à intégrer parmi les objectifs devant être définis au sein du SRADDET ceux relatifs au « développement logistique et industriel, notamment en matière de localisation préférentielle ».

Le Sénat a en outre ajouté au projet de loi une disposition visant à l’élaboration par l’Etat d’une stratégie nationale « industrie verte » pour la période 2023‑2030, pour accélérer la transition écologique et la décarbonation de l’industrie. Cette stratégie doit identifier les filières stratégiques devant être implantées ou développées prioritairement sur le territoire national ainsi que les besoins nationaux en matériaux et en produits. Elle doit en outre favoriser la recherche et l’expérimentation de nouveaux produits et procédés contribuant à la transition écologique.

Il est également prévu d’intégrer la production nationale des principaux composants et matériels nécessaires au déploiement des énergies renouvelables à la programmation pluriannuelle de l’énergie (article 1er ter PJL), ainsi que de renforcer le rôle des établissements publics fonciers dans le développement industriel des territoires et la réhabilitation des friches (article 1er bis PJL).

 

II. Les articles 2 à 3 du projet de loi s’attachent, eux, à réformer les procédures de participation du public.

a) Création d’une nouvelle procédure de consultation du public

Le projet de loi prévoit d’instaurer une nouvelle procédure hybride de participation du public pour les demandes d’autorisation environnementale entre l’enquête publique et la procédure de participation du public par voie électronique définie à l’article L. 123-19, qui serait régie par un nouvel article L. 181-10-1 du Code de l’environnement.

Il doit être précisé que la principale innovation est que cette phase de consultation sera menée concomitamment à la phase d’instruction de la demande d’autorisation environnementale. En effet, la consultation sera lancée dès que le dossier de demande sera jugé complet et régulier et que le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête sera désigné. Les avis recueillis par l’administration sur la demande d’autorisation seront alors mis à la disposition du public sans délai au fur et à mesure de leur émission.

A grands traits sur cette nouvelle procédure, il peut être mis en avant qu’un commissaire enquêteur ou une commission d’enquête devra tout d’abord être désigné, puis :

  • Le public est avisé de l’ouverture de la consultation selon les mêmes modalités que celles définies par l’article L. 123-19 ;
  • La durée de la consultation est de trois mois, au lieu de 30 jours actuellement, ou, lorsque l’avis de l’autorité environnementale est requis, d’un mois de plus que le délai imparti à celle-ci pour rendre son avis ;
  • Le dossier de la consultation est constitué et mis à la disposition du public dans les mêmes conditions que celles prévues à l’article L. 123-19 ;
  • Une réunion publique est organisée, dans les quinze jours suivant le début de la consultation, avec la participation du pétitionnaire. Une nouvelle réunion publique est organisée en fin de procédure de consultation ;
  • Les observations et propositions transmises par voie électronique sont accessibles sur un site internet désigné ;
  • Les réponses apportées par le pétitionnaire au plus tard lors de la réunion de clôture de la consultation sont réputées faire partie du dossier de demande, de même que les éventuelles modifications consécutives du projet, sous réserve qu’elles n’en modifient pas l’économie générale ;
  • Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête devra ensuite rendre son rapport et ses conclusions motivées dans le délai de trois semaines après la clôture de la consultation du public.

Le projet de loi prévoit également la création d’un article L. 123-1 B du Code de l’environnement, selon lequel le juge administratif des référés devra faire droit à toute demande de suspension d’une décision prise sans que la participation du public requise ait eu lieu (des dispositions similaires mais plus restrictives sont aujourd’hui prévues à l’article L. 123-16).

Cette procédure serait alors applicable aux demandes d’autorisation environnementale déposées à compter d’une date fixée par décret, et au plus tard un an après la publication de la loi industrie verte.

b) Mutualisation des procédures en phase amont

L’article 3 du projet de loi prévoit de créer un nouvel article L. 121-8-1 du Code de l’environnement, lequel permettrait, lorsque plusieurs projets d’aménagement ou d’équipement susceptibles de relever de l’obligation de saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP) sont envisagés sur un même territoire délimité et homogène dans les dix ans à venir, d’organiser un débat public global ou une concertation préalable globale. La demande est alors formulée par une personne publique, qui saisit la CNDP et lui transmet les dossiers requis, communiqués au préalable par le maître d’ouvrage pour chaque projet, ou qu’elle élabore elle‑même pour les projets dont le maître d’ouvrage n’est pas encore connu.

Cela permettra ainsi, sauf décision motivée contraire de la CNDP, de dispenser de débat public propre ou de concertation préalable propre les projets sur ce territoire, si leur mise en œuvre débute dans les dix ans suivant la fin de ce débat global ou de cette concertation globale.

La notion de « territoire délimité et homogène » devra être définie par décret en Conseil d’État.

 

III. Le projet de loi contient également diverses dispositions relatives aux déchets.

Le Sénat a tout d’abord ajouté un article 4 A prévoyant la création de « projets territoriaux d’industrie circulaire ». Le but de ce dispositif, encore flou, serait d’apporter une structure à l’économie circulaire et de mettre en œuvre un « écosystème industriel territorial », par la conclusion d’un contrat avec les acteurs du territoire.

L’article 4 du projet de loi vise à favoriser le développement de l’économie circulaire et cherche en effet à faciliter la sortie du statut de déchet, ou à éviter cette qualification. Il est à cet égard notamment prévu :

  • qu’un résidu de production produit dans une plateforme industrielle et où son utilisation au sein de cette même plateforme est certaine, ce résidu est réputé être un sous‑produit, sous conditions ;
  • qu’une substance ou un objet élaboré dans une installation de production qui utilise pour tout ou partie des déchets comme matière première, n’a pas le statut de déchet quand cette substance ou cet objet est similaire à la substance ou à l’objet qui aurait été produit sans avoir recours à des déchets, sous conditions.

En outre, de nouvelles hypothèses d’amendes administratives seraient introduites au sein d’un nouvel article L. 541-42-3 du Code de l’environnement, pour les transferts, exportation et importation irrégulières de déchets.

 

IV. Le chapitre IV vise la réhabilitation des friches pour un usage industriel.

a) Modifications en matière de cessation d’activités

Il a été ajouté, lors du vote devant le Sénat, une proposition de modifier les articles L. 512-6-1 et L. 512-7-6 du Code de l’environnement, relatifs à la détermination de l’usage futur du site lorsqu’une ICPE soumise à autorisation ou enregistrement est mise à l’arrêt définitif. Le projet de loi prévoit ainsi que, à défaut d’accord sur l’usage, l’usage retenu pour déterminer l’état dans lequel devra être mis le site est un usage comparable à celui des installations autorisées. A ce jour, le texte n’impose pas au préfet de définir un usage particulier en cas de désaccord des personnes concernées. Le but recherché serait de ne pas alourdir les obligations de dépollution des industriels, le rédacteur de l’amendement en cause ayant considéré que « lorsqu’aucune perspective de changement d’usage n’est prévue pour la parcelle concernée, il peut être tentant de prescrire pour l’avenir des obligations de remise en état du site maximalistes, afin de laisser davantage de latitude à la collectivité quant à son usage futur ».

En outre, le texte prévoit d’introduire la possibilité, pour les ICPE soumises à autorisation et enregistrement dont la cessation d’activités a été notifiée à l’administration avant le 1er juin 2022, dans l’hypothèse où la mise en sécurité a été réalisée et que le préfet n’a pas imposé de prescriptions particulières imposant des travaux ou des mesures de surveillance, de demander, jusqu’au 1er janvier 2026, de faire attester l’adéquation des mesures proposées pour la réhabilitation du site ainsi que la mise en œuvre de ces mesures.

Par ailleurs, il est proposé de modifier l’article L. 512-21 du Code de l’environnement pour permettre au tiers intéressé de réaliser, outre la réhabilitation, tout ou partie des mesures de mise en sécurité de l’installation.

Encore, le préfet pourrait imposer un délai contraignant pour la réhabilitation (article L. 512-22) et mettre en demeure l’exploitant de procéder à la mise à l’arrêt définitif en cas d’absence d’exploitation pendant trois années consécutives (L. 512-19), sur une partie d’installation seulement.

b) Renforcement des pouvoirs de sanction du préfet

Les pouvoirs de sanctions du préfet sont renforcés en cas de méconnaissance de la règlementation applicable en matière d’ICPE, notamment (mais ces sanctions sont également applicables dans le cadre d’autres règlementations fixées par le Code de l’environnement).

Il doit notamment être souligné que, pour les installations fonctionnant sans les autorisations requises (L. 171-7 Code de l’environnement) :

  • Une amende administrative au plus égale à 45.000 € pourra être ordonnée par le même acte que celui de mise en demeure ou par un acte distinct ;
  • Une amende administrative au plus égale à 45.000 € pourra être ordonnée pour garantir la complète exécution des mesures de suspension ou conservatoires prises sur le fondement de l’article L. 171-7. En outre, le montant maximal de l’astreinte journalière est augmenté de 1.500 à 4.500 euros ;
  • Il sera possible d’obliger l’exploitant à s’acquitter entre les mains d’un comptable public du paiement d’une somme correspondant au montant des travaux à réaliser. Le comptable public procède ensuite à la consignation de cette somme entre les mains de la Caisse des dépôts et consignations. Les sommes consignées sont alors utilisées pour régler les dépenses afférentes à l’exécution d’office. Cette référence à la Caisse des dépôts et consignations est également introduite à l’article L. 171-8 du Code de l’environnement.

Concernant les sanctions adoptées sur le fondement de l’article L. 171-8, en cas de méconnaissance des prescriptions applicables, le Sénat a proposé de rehausser le montant maximal de l’amende encourue de 15.000 à 45.000 euros et le montant maximal de l’astreinte journalière de 1.500 à 4.500 euros.

Des mesures sont également prévues pour faciliter le recouvrement des sommes dont est redevable l’exploitant en cas de liquidation judiciaire.

c) Autres mesures

Les projets en vue desquels est réalisée l’expropriation faisant suite à une déclaration d’état d’abandon manifeste pourront concerner des projets d’implantation industrielle (article L. 2243-3 du CGCT).

Enfin, le Gouvernement devra remettre au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi industrie verte, un rapport concernant les moyens nécessaires à la requalification des friches de plus de dix ans, en faveur de la réindustrialisation et des enjeux de lutte contre l’artificialisation.

 

V. Protection de la biodiversité.

Il est prévu de créer une nouvelle section intitulée « sites naturels de restauration et de renaturation ». A cet égard, un nouvel article L. 163-1 A du Code de l’environnement, permettra de mener des opérations de restauration ou de développement d’éléments de biodiversité sur des terrains déterminés, et soumis à l’agrément préalable de l’autorité administrative compétente qui sont dénommés « sites naturels de restauration et de renaturation ». Ces opérations donneront lieu à l’identification d’unités de restauration ou de renaturation, mais également à l’attribution de crédits carbone au titre du label « bas‑carbone ».

Il sera possible pour les personnes publiques et privées mettant en œuvre ces opérations de vendre ces unités de restauration ou de renaturation. Ces unités pourront permettre à toute personne soumise à une obligation de mettre en œuvre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité d’y satisfaire de manière anticipée.

Ce dispositif aurait vocation à remplacer le mécanisme actuel des « sites naturels de compensation », considérés trop complexes.

 

VI. Le projet de loi a également vocation de permettre la facilitation et l’accélération de l’implantation d’industries vertes et comporte ainsi des mesures :

  • Visant à clarifier qu’une déclaration de projet peut être adoptée pour les projets d’’implantation d’activités industrielles des chaînes de valeur des technologies favorables au développement durable (article L. 300-6 du Code de l’urbanisme) ;
  • Ayant vocation à faciliter la mise en compatibilité de documents de planification et d’urbanisme pour des projets dits « d’intérêt national majeur » (article L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme) ;
  • Prévoyant une prise en compte particulière des projets d’intérêt national majeur dans la mise en œuvre de la règlementation en matière d’artificialisation des sols (article 9 bis du projet de loi) ;
  • Permettant de reconnaitre l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur à l’occasion de la déclaration d’utilité publique (L. 122-1-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique) ;

Visant à faciliter les regroupements de surfaces de vente de magasins situées dans le périmètre d’une grande opération d’urbanisme, ainsi que le recours aux grandes opérations d’urbanisme.

 

Clémence DU ROSTU et Julie CAZOU

 

[1] https://www.economie.gouv.fr/industrie-verte-presentation-projet-loi