Par un jugement en date du 6 mars 2024, le Tribunal administratif de la Guyane a considéré qu’une situation de conflit d’intérêts était constituée lorsque l’assistant à maîtrise d’ouvrage d’une personne publique, chargé de l’examen de la conformité des offres déposées lors de la consultation d’un marché public, a entretenu des relations commerciales et partenariales avec le fournisseur du candidat qui s’est vu attribuer ledit marché.
Dans cette affaire, le Grand port maritime de Guyane (ici GPM-Guyane) a lancé une procédure de consultation sous la forme d’une procédure avec négociation pour l’installation, la maintenance, le dépannage et l’entretien des systèmes de sécurité et de sûreté des installations du GPM-Guyane. A compter du deuxième tour de négociation, le GPM-Guyane s’est attaché les services d’un assistant à maîtrise d’ouvrage en charge de se prononcer sur la conformité ou non de chaque offre au cahier des clauses techniques particulières du marché.
A la suite de l’attribution du marché, une des sociétés évincées a initié un référé précontractuel au motif de l’irrégularité de son éviction, considérant notamment que le principe d’impartialité avait été méconnu lors de l’attribution de ce marché. La société évincée soutenait que les liens commerciaux et partenariaux existant entre l’AMO et le fournisseur du groupement attributaire révélaient une situation de conflit d’intérêts.
Pour trancher cette question, le Tribunal administratif rappelle que le principe d’impartialité s’impose à tous les pouvoirs adjudicateurs et implique l’absence de conflit d’intérêts que l’article L. 2141-10 du Code de la commande publique définit comme « toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d’en influencer l’issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché ». Il relève que le groupement attributaire propose d’utiliser un dispositif vidéo par fibre optique reposant sur l’utilisation d’une suite logicielle distribuée par une société avec laquelle l’AMO entretient des liens commerciaux voire partenariaux.
Par la suite, poursuivant sa qualification d’une situation de conflit d’intérêts, le Tribunal administratif de Guyane relève que le GPM a écarté à tort l’offre de la société requérante. En effet, outre deux nouveaux motifs de rejet de l’offre des requérantes invoqués par le GPM en cours d’instance, ce dernier a considéré inappropriée l’offre de la société requérante qui reposait sur une solution fondée non pas sur l’utilisation de la fibre optique mais sur des capteurs et ondes radio, alors même que le CCTP n’excluait pas une telle solution.
En concluant que la participation de l’AMO à l’analyse de la conformité des offres dans le cadre de la procédure de passation du marché constitue une méconnaissance du principe d’impartialité, le jugement commenté retient une position large de la situation de conflit d’intérêts. Jusqu’alors, une situation d’impartialité avait pu être identifiée :
- lorsqu’un AMO en charge de l’élaboration des pièces d’un marché et de l’analyse des offres reçues était par le passé responsable de l’entreprise attributaire (CE, 14 octobre 2015, Région Nord-Pas-de-Calais, req. n° 390968) ;
- lorsque le dirigeant de la société à laquelle la commune avait confié une mission d’AMO pour analyser les offres était également le dirigeant de la société éditeur de logiciel que le groupement attributaire du marché désignait comme étant son fournisseur pour l’exécution du marché (CE, 28 février 2023, Société Sofratel, req. n° 467455).
En revanche, le juge administratif avait refusé de reconnaître une méconnaissance du principe d’impartialité lorsqu’un AMO à la passation d’un contrat de concession avait eu des relations commerciales avec l’un des membres du groupement retenu, dès lors que celles-ci, datées de plus de 2 ans, ne représentaient que des missions ponctuelles correspondant à une part minime de son chiffre d’affaires (TA Paris, ord., 22 août 2018, Société Excelsis, req. n° 183709/4).
Le jugement rendu par le Tribunal administratif de la Guyane retient donc la qualification de conflit d‘intérêts s’agissant de relations commerciales, voire de partenariat, qu’un AMO a pu entretenir avec le fournisseur de l’attributaire – sans prendre en compte cette fois-ci l’antériorité des relations ou le volume financier résiduel qu’a pu représenter ce partenariat – alors que l’offre de la société requérante a été écartée en raison d’une solution technique distincte de celle dont ledit fournisseur est le distributeur officiel dans le secteur.