Fonction publique
le 14/09/2023

Conditions de réparation de l’éviction illégale de l’agent qui n’a pas demandé l’annulation de la décision d’éviction

CE, 19 juillet 2023, n° 462834

Une décision récente du Conseil d’Etat apporte des précisions sur le mécanisme de réparation des préjudices susceptibles d’être subis par un agent dont la réintégration à l’issue d’une disponibilité est illégalement refusée.

En l’espèce, une assistante ingénieure titulaire au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) avait été placée en disponibilité pour convenances personnelles du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016 et avait demandé sa réintégration anticipée au 1er avril 2016, ce qui lui avait été refusé.

Par une nouvelle décision en date du 18 juillet 2016, le CNRS avait refusé de la réintégrer à l’issue du terme normal de sa mise en disponibilité, et l’avait placée en disponibilité d’office pour 6 mois supplémentaires, renouvelés le 11 janvier 2017. Enfin, le 4 avril 2017, le CNRS lui avait proposé un poste à Caen qu’elle avait refusé, de sorte que ce n’est que le 14 avril 2019 qu’elle avait finalement été réintégrée sur un site de Toulouse.

Entre temps, le Tribunal administratif de Toulouse avait été saisi d’une demande de réparation et avait condamné le CNRS à verser à l’intéressée une indemnité forfaitaire de 4.000 euros pour solde de tout compte. La Cour administrative d’appel de Bordeaux avait par la suite porté le montant de cette indemnité à hauteur de 7.191 euros, amenant Madame A. à se pourvoir en cassation au motif qu’elle ne lui aurait pas non plus donné satisfaction s’agissant du montant de son préjudice.

Le Conseil d’Etat dans cet arrêt a d’abord confirmé la faute commise par le CNRS au titre de la méconnaissance du droit de Mme A. à être réintégrée dans son corps d’origine sur l’une des trois premières vacances d’un emploi de son grade, à défaut pour le CNRS de produire des éléments permettant au juge de constater qu’aucune vacance dans son grade ne pouvait lui être proposée, et peu important le caractère anticipé de la demande de réintégration formulée par l’agente.

Sur le montant de l’indemnité accordée à Mme A. en réparation de ses divers préjudices, il doit être rappelé que depuis la décision Commune d’Ajaccio rendue le 26 décembre 2013 (n° 365155), un agent public irrégulièrement évincé a, par principe, droit à la réparation intégrale du préjudice qu’il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre.

Existe cependant une exception à l’indemnisation intégrale lorsque l’agent n’a pas demandé l’annulation de la décision d’éviction, auquel cas l’indemnisation est forfaitaire, lorsqu’il est impossible de fixer une date objective de bornage du droit à indemnité à la date d’annulation de la décision (Conseil d’Etat, 22 septembre 2014, n° 365199)

Dans sa décision en date du 19 juillet 2023, conformément aux conclusions du Rapporteur public Nicolas Labrune reprécisant la portée à donner à la décision du 22 septembre 2014, le Conseil d’Etat a estimé que la réparation forfaitaire ne saurait être retenue dans cette affaire au seul motif d’une absence d’annulation de la décision d’éviction, dès lors que les éléments du dossier permettent de dater avec précision la survenance d’une illégalité et la cessation du préjudice qui en résulte. Il a ainsi jugé qu’il ressortait des pièces que, le 4 avril 2017, le CNRS avait adressé à Mme A. une proposition de réintégration, avec effet au 1er juin 2017, sur un poste correspondant à son grade, de sorte que les illégalités entachant les décisions de refus de réintégration des 21 mars et 18 juillet 2016, relevées par l’arrêt, n’avaient pu préjudicier à Mme A. au-delà du 1er juin 2017 ce qui, dans ce contexte précis, ne permettait pas à la Cour, en se fondant sur la seule circonstance que Mme A. n’avait pas demandé l’annulation des décisions de refus de réintégration, d’allouer à cette dernière une indemnisation forfaitaire versée pour solde de tout compte « alors qu’il lui appartenait de lui allouer une indemnisation réparant intégralement les préjudices qu’elle avait subis au cours de cette période ».