Economie sociale et solidaire
le 14/04/2023
Sara BEN ABDELADHIM
Donya BURGUET

Concurrence déloyale et parasitisme entre associations : retour sur l’arrêt « SPA contre Manif pour Tous »

Cass. Com., 16 février 2022, n° 20-13.542

Les associations sont de plus en plus confrontées au droit de la concurrence déloyale, généralement définie comme un abus des pratiques commerciales d’un opérateur économique envers ses concurrents, contraire aux usages loyaux du commerce.

Dans la majorité des cas, le litige oppose l’association à une société commerciale, en tant qu’auteur ou victime de la concurrence déloyale. Mais il se peut parfois que la situation de concurrence déloyale ou de parasitisme oppose deux associations entre elles[6].

En 2022, la Cour de cassation a eu l’occasion de statuer sur de telles pratiques, alors même que les deux associations en cause ne poursuivaient aucune finalité économique et défendaient des intérêts différents.

Dans cet arrêt en date du 16 février 2022, la Cour de cassation a rappelé que « l’action en parasitisme, fondée sur l’article 1382, devenu 1240, du code civil, qui implique l’existence d’une faute commise par une personne au préjudice d’une autre, peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l’activité des parties, dès lors que l’auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements ».

L’affaire opposait l’association Société protectrice des animaux (SPA), association reconnue d’utilité publique dont l’objet social est la protection des animaux, à l’association La Manif pour tous (LMPT) qui a pour objet la coordination d’actions de promotion du mariage homme-femme, de la famille, de la parenté et de l’adoption, et à une fondation agissant au profit des personnes atteintes de maladies génétiques.

La SPA était à l’origine d’une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l’abattage, de l’expérimentation animale et de la corrida. L’association LMPT avait diffusé sur son site internet des « visuels » reprenant les codes et certains éléments de cette campagne, pour dénoncer la procréation médicalement assistée (PMA) sans père et la gestation pour autrui (GPA). La fondation avait également repris des éléments de cette campagne nationale sur son site internet, pour dénoncer l’avortement « tardif » et l’euthanasie.

Considérant que ces faits étaient constitutifs de parasitisme, qui est l’une des formes de la concurrence déloyale avec le dénigrement et la désorganisation, la SPA avait assigné les deux autres sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240, du Code civil, aux fins d’indemnisation du préjudice en résultant. Après une condamnation en première instance et en appel, l’association LMPT et la fondation ont formé un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation a d’abord constaté que la SPA « dont la notoriété est établie auprès du public français qui la place en troisième position des associations caritatives les plus connues », avait justifié d’investissements publicitaires pour une opération de communication dénonçant la maltraitance animale, qui a été relayée dans les médias nationaux, tandis que l’association LMPT et la fondation avaient détourné ces affiches sur leurs sites internet respectifs, pour traiter des causes qui leurs sont propres, quelques jours seulement après le lancement de la campagne nationale de la SPA.

La Cour a considéré que ces détournements caractérisaient des actes de parasitisme, peu important que les campagnes menées par chacune des associations poursuivaient des finalités politiques et militantes différentes – protection des animaux pour l’une, opposition à la PMA et à la GPA pour l’autre.

L’arrêt relève par ailleurs que le détournement des affiches, par lequel « l’association LMPT affirmait que ce qui touche la personne humaine est plus grave et plus important que la maltraitance animale », faisait perdre en clarté et en efficacité la campagne de la SPA, « qui a été en partie brouillée en ce qu’elle s’est trouvée associée à des organisations et à des causes qui lui sont étrangères voire antagonistes, et qu’elle a été aussi affaiblie en ce que sa cause est présentée comme moins importante ».

La Cour de cassation a ainsi donné raison à la SPA, en considérant que se rend coupable de concurrence déloyale quiconque « se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements ». La Cour en profite pour rappeler ici que l’action en parasitisme « peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique où l’activité des parties », incluant ainsi les organismes à but non lucratif telles que les associations ou les fondations.

Cet arrêt illustre bien le fait que les juges français apprécient la concurrence déloyale et le parasitisme indépendamment de toute finalité économique ou de toute situation de concurrence entre les parties, la poursuite d’une activité politique ou militante nécessitant aussi des investissements économiques, ce que nous relevions déjà dans une précédente brève.

Les associations devront donc être particulièrement vigilantes à ne pas se retrouver dans une situation où elles profiteraient indûment des efforts, du savoir-faire, de la notoriété ou des investissements d’une autre association, quand bien même leurs objets et leurs finalités respectives seraient radicalement différentes.

 

[6] Voir par exemple : CA Paris, 30 mars 2018, n° 17/07421. Dans cet arrêt (qui mettait déjà en cause la SPA), la Cour d’appel de Paris avait condamné pour concurrence déloyale et parasitisme l’association Défense de l’animal qui avait repris de manière systématique le sigle « SPA de France », entretenant une confusion dans l’esprit du public avec l’association Société Protectrice des Animaux (SPA).