Précisions sur l’étendue de la confidentialité en matière de médiation

L’ordonnance du 25 février dernier du Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris est venue apporter une clarification importante sur le périmètre de la confidentialité qui s’applique en matière de médiation.

Le litige opposait ici deux sociétés autour de la contrefaçon de brevets et de la violation de secrets d’affaires. L’une reprochait à l’autre la contrefaçon de deux brevets français, tandis que la seconde a répliqué en alléguant l’utilisation illégale de ses secrets d’affaires pour développer un produit concurrent. Pour démontrer l’utilisation d’informations confidentielles, cette dernière a versé au débat le courriel du médiateur saisi en cours de procédure. La partie adverse estimait cette pièce irrecevable car couverte par la confidentialité.

Pour rappel, l’article 131-14 du Code de la procédure civile dispose que « les constatations du médiateur et les déclarations qu’il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure sans l’accord des parties, ni en tout état de cause dans le cadre d’une autre instance ». Outre, cet article, les parties au litige avaient, en l’espèce, signé un accord de confidentialité pour la médiation, leur interdisant de divulguer toute information émanant d’une partie, du médiateur ou de tout autre intervenant dans le cadre de la médiation.

Malgré cette disposition légale et l’accord de confidentialité, le juge a estimé que le courriel du médiateur, dont le contenu se limitait à confirmer la tenue d’une réunion à une date précise ne constituait ni un recueil d’informations, ni une constatation du médiateur, ni une information couverte par l’accord de confidentialité.

En conséquence, le juge de la mise en état a conclu que la pièce concernée n’encourait pas le grief d’atteinte à la confidentialité de la médiation et était donc recevable.

Cette décision constitue une interprétation restrictive de la portée de la confidentialité en matière de médiation, en distinguant les informations substantielles échangées lors de la médiation des éléments purement factuels et administratifs.

Simplification des procédures pour les associations et fondations : publication du décret n° 2024-720 du 5 juillet 2024 et de l’arrêté du 8 novembre 2024

Le décret n° 2024-720, publié le 5 juillet 2024, introduit des diverses mesures sur la dématérialisation et la simplification des procédures administratives pour les associations et les fondations. Ces évolutions visent à moderniser les interactions entre ces organismes et l’administration, tout en renforçant la transparence et l’efficacité.

Dématérialisation des procédures

L’un des principaux objectifs de ce décret est de faciliter les démarches administratives en généralisant l’utilisation des téléservices. Désormais, les associations et fondations peuvent accomplir de nombreuses formalités en ligne, telles que les déclarations de création, de modification ou de dissolution (pour toutes les associations). Cette dématérialisation s’étend également, pour les associations reconnues d’utilité publique (ARUP), aux demandes de reconnaissance d’utilité publique et à la transmission de documents essentiels comme les comptes annuels et les rapports d’activité.

La dématérialisation permettra naturellement de réduire les délais liés aux procédures papier.

Simplification des obligations pour les associations

En parallèle de la dématérialisation, le décret apporte des clarifications et des simplifications importantes pour les associations. Par exemple, les informations à fournir concernant les changements d’administration sont désormais mieux définies.

Ainsi, la notion de « personnes chargées de l’administration » est définie comme « toute personne exerçant des fonctions d’administrateur, des fonctions de surveillance ou des fonctions de direction ». Les informations à fournir sont précisées, incluant la qualité au titre de laquelle elles exercent leurs missions.

Un registre national des associations est créé pour centraliser les données.

La procédure de reconnaissance d’utilité publique est également allégée, avec la suppression de certaines obligations de transmission et une simplification du changement de siège social.

Renforcement des obligations des ARUP et FRUP

Ces simplifications s’accompagnent, pour les ARUP et les fondations reconnues d’utilité publique (FRUP), d’un renforcement des exigences en matière d’informations financières et d’activité.

Ces dernières devront notamment adopter un règlement intérieur dont le contenu a été précisé par arrêté un ministériel du 8 novembre dernier en application du décret du 5 juillet 2024, afin de garantir une meilleure organisation. Ces actes règlementaires sont ainsi venus pérenniser la pratique déjà bien en place et connue des statuts-types que les acteurs du secteur tenaient déjà plus ou moins pour obligatoires.

Modifications pour les fondations

Les fondations, y compris les fondations d’entreprise, bénéficient également de ces mesures de simplification et de dématérialisation. Un nouveau chapitre est dédié aux fondations reconnues d’utilité publique, alignant leurs obligations sur celles des associations RUP. Ces changements visent à harmoniser les pratiques et à garantir une meilleure transparence dans la gestion des fondations.

En somme, l’objectif de dématérialisation des procédures constitue un progrès non négligeable en termes d’efficacité et d’accessibilité des procédures administratives pour les associations et les fondations. Toutefois, la multiplication des informations à fournir et l’introduction de nouvelles rubriques obligatoires dans les documents statutaires des ARUP et des FRUP pourraient paradoxalement alourdir certaines obligations, soulevant la question de la réelle simplification administrative.

En définitive, ces deux actes traduisent une volonté des pouvoirs publics d’encadrer plus étroitement le fonctionnement des associations et fondations reconnues d’utilité publique et soulève des questions quant au respect de l’autonomie de ces organisations et à la potentielle bureaucratisation qui pourrait en résulter.

Précision des modalités du don de congés éligible au mécénat

Loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative (1)

Le Décret n° 2025-161 du 20 février 2025 relatif aux modalités de mise en œuvre du don de jours de repos aux organismes mentionnés aux a et b du 1 de l’article 200 du Code général des impôts est venu préciser les modalités selon lesquelles les salariés peuvent faire don de leurs jours de repos à des organismes d’intérêt général, tels que des fondations ou des associations reconnues d’utilité publique.

Pour rappel, ce décret a été pris dans le cadre de la loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative qui a marqué la création d’un article L. 3142-131 du Code du travail autorisant les salariés à faire don de leurs jours de congé à des organismes d’intérêt général choisis d’un commun accord avec leur employeur. Nous vous en parlions en mai dernier dans notre Focus dédié aux dix ans de la Loi ESS (LAJ #156).

Les salariés pourront désormais renoncer à une partie de leurs jours de congés (un maximum de trois jours ouvrables par an). La valeur monétaire du don versé à l’organisme sera égale à la rémunération que le salarié aurait perçue (nouvel article D. 3142-82 du Code du travail).

Cette possibilité, ouverte aux salariés, constitue une avancée significative pour encourager l’engagement bénévole et la solidarité facilitant aux salariés le soutien de causes philanthropiques, éducatives ou scientifiques.

Expérimentation des tribunaux des activités économiques

La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice a prévu deux expérimentations à compter du 1er janvier 2025 :

  • La mise en place de Tribunaux des Activités Economiques (TAE) ;
  • La mise en place d’une « contribution pour la justice économique ».

I – La mise en place de Tribunaux des Activités Economiques

Cette expérimentation, qui doit durer 4 ans (jusqu’au 1er janvier 2029), se fera dans douze tribunaux :

  • Tribunal des Activités Economiques de Paris
  • Tribunal des Activités Economiques de Marseille
  • Tribunal des Activités Economiques de Lyon
  • Tribunal des Activités Economiques de Nanterre
  • Tribunal des Activités Economiques d’Auxerre
  • Tribunal des Activités Economiques de Limoges
  • Tribunal des Activités Economiques d’Avignon
  • Tribunal des Activités Economiques du Mans
  • Tribunal des Activités Economiques de Saint-Brieuc
  • Tribunal des Activités Economiques du Havre
  • Tribunal des Activités Economiques de Nancy
  • Tribunal des Activités Economiques de Versailles

Les TAE connaitront de toutes les procédures amiables et collectives, notamment pour certaines professions qui relevaient jusqu’à présent du Tribunal judiciaire : c’est le cas pour les exploitants agricoles, les personnes morales non commerçantes telles que les associations, les SCI, et les professions libérales, à l’exception des avocats, notaires, huissiers, administrateurs et mandataires judiciaires).

L’objectif de la réforme est d’avoir une juridiction unique à la compétence élargie en matière de droit des entreprises en difficultés.

Un comité de pilotage va suivre cette expérimentation, au regard notamment des délais de traitement des procédures et du taux de réformation des décisions par les Cours d’appel.

II – La mise en place de la contribution pour la justice économique

La loi d’orientation et de programmation de la justice n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 prévoit également l’expérimentation de la « contribution pour la justice économique ».

Le décret d’application de cette mesure est paru le 30 décembre 2024 (décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 relatif à l’expérimentation de la contribution pour la justice économique).

La contribution pour la justice économique est une taxe qui sera due par la partie demanderesse qui saisira le Tribunal : le texte évoque une « instance introduite » devant un Tribunal des activités économiques.

Certains justiciables ne seront pas redevables de cette taxe en raison de leur nature : l’Etat, les collectivités et leurs groupements et les personnes physiques ou morales de droit privé employant moins de 250 salariés.

Les critères d’assujettissement à la contribution pour la justice économique sont les suivants :

  • Elle est due si le demandeur est une personne morale employant plus de 250 salariés, et que son chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros ;
  • Elle n’est due que si le total des prétentions fondant la demande en justice est supérieur à un montant de 50.000 euros ;
  • Les textes précisent que ne constitue pas une demande initiale la demande tendant à l’exercice d’une voie de recours, comme l’opposition.
  • Enfin, la contribution ne sera pas due si la demande porte sur l’ouverture d’une procédure amiable ou collective.

Le montant de la contribution pour la justice économique est calculé en fonction des capacités contributives de la partie demanderesse, et ainsi établi pour les personnes morales, selon l’article 3 du décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 :

La loi prévoit enfin que la contribution est remboursée dans deux hypothèses : le recours à un mode amiable de règlement des différends, et le désistement.

Au moment de la saisine du Tribunal, c’est le greffe qui appréciera la situation du demandeur pour déterminer s’il doit payer ou non la contribution pour la justice économique.

Précisions jurisprudentielles sur la distribution des réserves et du report à nouveau

Une actualité jurisprudentielle récente (Tribunal commercial de Paris, 16e ch., 23 septembre 2022, n° J2021000542 ; CA Paris, 30 janvier 2025, n° 22/17478 ; Cass. Com., 12 février. 2025, n° 23-11.410, FS-B[1]) vient préciser les conditions et modalités selon lesquelles les actionnaires d’une société par actions telle qu’une société anonyme ou une société par actions simplifiée peuvent décider la distribution de ses réserves ou de sommes inscrites à son report à nouveau.

L’occasion pour nous de faire le point sur les principes juridiques régissant les réserves des sociétés commerciales mais aussi d’aborder certaines spécificités des sociétés anonymes d’habitations à loyer modéré[2].

 

I – Les réserves et leur distribution

A / Les réserves

Les sommes portées en réserves correspondent aux bénéfices comptables constatés par une société que chaque assemblée générale ordinaire annuelle (AGOA) décide de conserver soit en application d’une disposition légale, soit en application d’une disposition de ses statuts, soit par décision de l’assemblée générale. La mise en réserves permet à la société de renforcer ses fonds propres pour financer ses investissements à venir.

On distingue ainsi :

  • La réserve légale ;
  • Les autres réserves prévues par la loi ou les règlements ;
  • Les réserves statutaires, dont la constitution est prévue dans les statuts ;
  • Les réserves indisponibles, qui ne peuvent être en conséquence distribuées ou utilisées à d’autres fins que celles décidées par l’assemblée générale les ayant constituées ;
  • Les réserves libres, constituées volontairement par l’assemblée générale.

On notera que les primes d’émission et de fusion constatées lors d’opérations d’augmentation de capital ou de fusion ont également le caractère de réserves et suivent le même régime juridique.

Ces sommes sont donc, sur décision de l’assemblée générale ou de la collectivité des associés, affectées aux capitaux propres de la société dans des comptes dédiés à cet effet.

Rappelons, pour les non-initiés à la comptabilité d’engagement, que l’affectation de tout ou partie du bénéfice d’une société en réserves constitue une simple écriture comptable et qu’elle n’entraine pas l’obligation corrélative pour la société de réserver les fonds en numéraire correspondants sur un compte bancaire spécifique.

Les réserves, comme le capital social, ont comme contrepartie les biens et droits figurant à son actif, parmi lesquels figurent notamment, mais pas uniquement, la trésorerie disponible de la société.

Une fois celles-ci dotées, les réserves peuvent connaitre au cours de leur vie sociale plusieurs destins :

D’abord, lorsqu’un exercice sera déficitaire, les pertes constatées pourront être imputées sur ces réserves qui s’en trouveront alors diminuées. Ainsi, les pertes peuvent être imputées sur les réserves, y compris la réserve légale, dont l’obligation de reconstitution renaitra à l’occasion de futurs résultats bénéficiaires.

L’assemblée générale de la société peut également choisir d’incorporer des réserves au capital social, et ce, pour autant qu’aucune disposition légale, réglementaire ou statutaire ne s’y oppose.

Tel est le cas des sociétés d’habitations à loyer modéré pour lesquelles l’article L. 422-5 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) interdit toute incorporation de réserves, sauf dérogation accordée par le ministre chargé du logement.

L’augmentation de capital par incorporation de réserves, qui pourra être réalisée soit par voie de relèvement de la valeur nominale de chaque action soit par attribution d’actions nouvelles aux actionnaires, relève de la compétence de l’assemblée générale extraordinaire qui statue toutefois aux conditions de quorum et de majorité des assemblées générales ordinaires, ainsi que le prévoit l’article L. 225-130 du Code de commerce.

Mais les réserves peuvent être, là encore sauf interdiction légale ou statutaire, distribuées aux associés de la société. C’est sur les conditions et notamment la temporalité de cette distribution qu’une controverse jurisprudentielle vient de naitre.

 

B/ La distribution des réserves

Les réserves peuvent présenter un caractère distribuable, à l’exception toutefois de la réserve légale et des réserves rendues indisponibles par la loi ou les statuts.

A la lecture des articles L. 232-11 et 12 du Code de commerce, aucune disposition légale ne semblait expressément autoriser ou interdire une distribution de réserves intervenant en dehors de l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes annuels.

De manière relativement constante, jusqu’à présent, la doctrine et la jurisprudence considéraient que cette faculté de distribution des réserves permettait à toute assemblée générale d’y procéder et il n’était pas inhabituel de procéder à de telles distributions en dehors des assemblées générales ordinaires annuelles, en convoquant une assemblée générale ordinaire réunie extraordinairement.

Cependant, certaines incertitudes ont été introduites par la jurisprudence au cours des trois dernières années :

  • Dans un jugement du 23 septembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris a jugé qu’aucune distribution de réserves ne pouvait être décidée en dehors de l’assemblée générale d’approbation des comptes annuels.

En l’espèce, les faits portaient sur une distribution décidée par une assemblée générale ordinaire convoquée avant l’approbation des comptes, s’élevant à un montant de 94,5 millions d’euros, dont 63 millions d’euros imputés sur les réserves et 31,5 millions d’euros sur le report à nouveau créditeur.

Au regard de la règle du troisième alinéa de l’article L. 232-11 du Code de commerce selon laquelle aucune distribution ne peut être faite aux actionnaires dans l’hypothèse où les capitaux propres sont ou deviendraient inférieurs au montant du capital augmenté des réserves, le Tribunal de commerce a reconnu que les prévisions effectuées étaient conformes aux montants approuvés deux mois plus tard par l’assemblée générale d’approbation des comptes annuels, de sorte que cette distribution ne venait pas impacter « la solidité financière de la société ».

Toutefois, le dividende de 94,5 millions d’euros ayant été décidé par une assemblée générale ordinaire réunie avant celle d’approbation des comptes annuels, cette distribution avait été décidée plus de neuf mois après l’approbation des comptes du dernier exercice clos, et cela en l’absence de tout bilan certifié (comme l’impose le 2ème alinéa de l’article L. 232-12 du Code de commerce qui traite des conditions dans lesquelles peut être versé un acompte sur dividendes). La distribution ainsi réalisée a été considérée comme un moyen de contourner les dispositions légales relatives au délai de mise en paiement des dividendes dans les neuf mois de la clôture de l’exercice[3].

Le Tribunal de commerce a qualifié cette distribution de dividendes fictifs, considérant qu’il ne pouvait « sérieusement être soutenu que l’alinéa 2 de l’article L. 232-11 du Code de commerce permettrait, en l’absence de dispositions contraires, un autre mode de distribution, que celui, alternatif, qui résulte de l’article L. 232-12 et que les sociétés auraient, dans le silence des textes, la possibilité de procéder librement à des distributions de sommes prélevées sur leurs réserves. »

  • Trois ans plus tard, ce jugement est infirmé par la Cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 30 janvier 2025, qui affirme que toute assemblée générale peut librement décider de distribuer des réserves dès l’instant que les comptes annuels de la société ont été préalablement approuvés par l’assemblée générale ordinaire annuelle tenue antérieurement à la distribution.

Dans son analyse, la Cour d’appel revient sur le délai de neuf mois de mise en paiement des dividendes, considérant que les réserves distribuées ne découlent pas du dernier exercice non approuvé, mais des exercices qui le précèdent, dont les comptes ont été régulièrement approuvés. La règle des neufs mois ne s’applique pas aux distributions de réserves[4].

La Cour d’appel rejoint le courant doctrinal majoritaire en concluant « qu’en l’absence de disposition légale ou réglementaire contraire, rien n’interdit de décider une distribution exceptionnelle de dividendes prélevés sur les comptes de report à nouveau et réserves libres en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle ».

Cette décision n’ayant toutefois pas pour l’instant fait l’objet d’un pourvoi en cassation, il conviendra donc de rester vigilant sur ce point.

 

II – Le report à nouveau et sa distribution

A/ Le compte de report à nouveau, un compte d’attente

Le compte de report à nouveau est un compte d’attente auquel l’assemblée générale peut affecter :

  • Tout ou partie des pertes qu’elle ne pourrait pas ou ne voudrait pas imputer sur les réserves de la société, le compte de report à nouveau pouvant donc présenter un solde déficitaire ;
  • Le bénéfice comptable subsistant après dotation des réserves obligatoires et facultatives et après prélèvement des sommes destinées à être distribuées à titre de dividende.

C’est un compte dans lequel sont donc laissées ces sommes en instance d’affectation, sur décision de l’assemblée générale et dont le solde devra être utilisé lors du prochain calcul du bénéfice distribuable, conformément aux dispositions de l’article L. 232-11 du Code de commerce

S’agissant plus particulièrement des sociétés d’habitations à loyer modéré, on rappellera que la clause-type 5 des statuts-types des sociétés anonymes d’habitations à loyer modéré impose que le surplus constaté après affectations obligatoires aux réserves et prélèvement du dividende plafonné soit affecté à une « réserve spéciale destinée à assurer le développement de l’activité de la société et à parer aux éventualités ». De sorte que l’assemblée générale d’une société anonyme d’habitations à loyer modéré ne peut affecter le bénéfice restant après imputation aux réserves légales et distributions qu’à un compte de réserves.

 

B/ La distribution des sommes portées en report à nouveau ne peut être décidée que par une assemblée générale ordinaire annuelle

L’analyse juridique d’une distribution de réserves est à distinguer de celle des sommes portées en report à nouveau, notamment en raison de leur nature comptable. En effet, si les réserves présentent un caractère durable, le report à nouveau dépend directement du résultat bénéficiaire ou déficitaire du dernier exercice clos.

  • Ainsi, pour autoriser une assemblée générale ordinaire autre que celle d’approbation des comptes à procéder à une distribution des sommes portées en report à nouveau, la Cour d’appel de Paris avait retenu dans sa décision précitée du 30 janvier 2025 que ce report à nouveau s’analysait comme « une composante du bénéfice distribuable ».

En admettant que le report à nouveau bénéficiaire s’apparente à une réserve, la Cour d’appel autorisait sa distribution « en dehors de l’assemblée générale ordinaire annuelle », faute de disposition l’interdisant.

  • Toutefois, la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 février 2025, a rendu une solution parfaitement contraire en retenant que la distribution d’un dividende prélevé sur le report à nouveau ne peut pas être décidée par une autre assemblée générale que celle appelée à statuer sur les comptes du dernier exercice clos.

La Cour de cassation considère en effet « qu’il résulte de la combinaison de ces textes [N.B. : les articles L. 232-11 et L. 232-12 du Code de commerce], lesquels sont impératifs, que le report bénéficiaire d’un exercice « est inclus dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant et que, par voie de conséquence, seule l’assemblée approuvant les comptes de cet exercice pourra décider son affectation et, le cas échéant, sa distribution ». Il s’ensuit qu’encourt la nullité la délibération d’une assemblée générale autre que celle approuvant les comptes de l’exercice et décidant la distribution d’un dividende prélevé sur le report à nouveau bénéficiaire d’un exercice précédent. »

En conclusion, on retiendra que la distribution de dividendes prélevé à partir du report à nouveau n’est possible qu’à l’occasion des assemblées générales ordinaires d’approbation des comptes.

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[1] https://www.courdecassation.fr/decision/67ac552f91acc6fabdb2cf1b

[2] On précisera utilement que les sociétés coopératives connaissent une interdiction de principe de distribution de leurs réserves à leurs actionnaires.

[3] C.com., art. L. 232-13

[4] H. Le Nabasque, Les sociétés recouvrent le droit de distribuer leurs réserves à tout moment, mais pas leur report à nouveau, Bull. Joly Sociétés, Mars 2025

Le retrait d’un projet de résolution inscrit à l’ordre du jour d’une assemblée générale : une pratique licite ?

Le retrait d’un projet de résolution inscrit à l’ordre du jour d’une assemblée générale, bien qu’il s’agisse d’une pratique existante, n’est pas prévu expressément par le Code de commerce. Cette absence de disposition claire a récemment conduit l’Autorité des Marchés Financiers[1] à solliciter le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP) afin de se prononcer sur la licéité d’une telle pratique.

En effet, les dispositions du Code de commerce ne tranchent pas expressément la question de la licéité du retrait, mais uniquement celle de l’ajout d’une résolution. L’article L. 225-105 alinéa 3 du Code de commerce précise que « l’assemblée ne peut délibérer sur une question qui n’est pas inscrite à l’ordre du jour. »

Au regard du principe de fixité de l’ordre du jour, la Cour de cassation a ainsi pu déclarer la nullité de résolutions irrégulières en raison de la modification des termes exacts mentionnés dans l’ordre du jour.[2] En revanche, elle n’a jamais eu à se prononcer spécifiquement sur l’hypothèse d’un retrait de projet de résolution.

Par ailleurs, la doctrine déduit de cette disposition l’existence d’un principe de « fixité »[3] ou d’ « intangibilité »[4] de l’ordre du jour.[5] Néanmoins, l’Association Nationale des Sociétés par Actions (ANSA) a récemment souligné que « le conseil d’administration auteur de la convocation, conserve la maîtrise de l’ordre du jour qu’il a fixé » et reconnaissait ainsi au conseil la faculté de retirer un projet de résolution avant ou pendant l’assemblée générale.[6]

Dès lors, le groupe de travail du HCJP, saisi de cette question, n’est pas parvenu à trouver un consensus concernant la licéité du retrait d’un projet de résolution inscrit à l’ordre du jour. Certains membres ont estimé qu’au regard du principe de fixité de l’ordre du jour, le retrait devrait être considéré comme illicite, tandis que d’autres ont soutenu que, faute de prohibition explicite dans le Code de commerce, le retrait ne saurait être qualifié d’illicite par principe.

En l’absence de position formelle de la Cour de cassation, le retrait d’un projet de résolution inscrit à l’ordre du jour comporte un risque juridique pour l’émetteur (tel qu’un contentieux pour atteinte au droit de vote de certains actionnaires, nullité de la délibération, nullité de l’assemblée en cas de résolutions interdépendantes). Dans cette attente, le HCJP s’est accordé sur les bonnes pratiques à adopter, à l’occasion de tout retrait de résolution :

  1. L’amendement de retrait : La solution la plus respectueuse consiste à organiser un vote sur l’amendement de retrait du projet de résolution, en permettant aux actionnaires de se prononcer sur ce retrait lors de l’assemblée générale.
  2. La communication préalable : En cas de retrait décidé unilatéralement par le conseil d’administration, il est recommandé que l’émetteur informe les actionnaires du retrait et des raisons qui le motivent, et ce, dans les plus brefs délais avant l’assemblée générale.

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[1] AMF, Rapport sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées, 2023, p. 57

[2] Exemple : Cass. com. 14 février 2018, n° 15-16.525

[3] Magnier Véronique, Droit des sociétés, Dalloz, collection « Cours », 10e édition, 2022, p. 315, n° 504

[4] Mortier Renaud et Guégan Elsa, « Ordre du jour et notion de résolution nouvelle », JCPE, 2018, n° 21, 1257

[5] Rapport sur le retrait d’un projet de résolution inscrit à l’ordre du jour d’une assemblée générale, du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris, 6 décembre 2024

[6] ANSA, position n° 24-001, p. 2.

Qualification de terrain à bâtir exclue en cas de réseaux insuffisamment dimensionnés à l’échelle d’une opération d’aménagement d’ensemble

Par un arrêt du 13 février 2025 (pourvoi n° 22-21.592), la troisième chambre civile de la Cour de cassation énonce, pour la qualification d’un terrain, que la dimension des réseaux s’apprécie au regard de l’ensemble d’une opération d’aménagement.

Et pour cause, en vertu de l’article L. 322-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, la qualification de terrain à bâtir est réservée aux terrain situés dans un secteur désigné comme constructible et effectivement desservis par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, si c’est exigé, un réseau d’assainissement à condition que les divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et en dimensions adaptées à la capacité de ces terrains, étant entendu que la dimension de ces réseaux s’apprécie au regard de l’ensemble de la zone lorsque doit faire l’objet d’une opération d’aménagement d’ensemble.

Par application de ce principe, la Cour pose que constitue une opération d’aménagement d’ensemble une zone dans laquelle figure un schéma d’aménagement portant sur la réalisation d’un projet d’ensemble devant servir de base à un projet opérationnel de la commune et portant sur la réalisation d’un quartier d’habitat de quarante logements environ dont six logements sociaux.

Ce schéma d’aménagement constituant une orientation d’aménagement et de programmation (O.A.P.) au sens de l’article R. 151-8 du Code de l’urbanisme, il y a lieu d’en déduire que la dimension des réseaux doit s’apprécier au regard de l’ensemble de la zone pour vérifier si une parcelle constitue ou non un terrain à bâtir.

Au cas présent, la Cour de cassation relève que le terrain exproprié ne pouvait être qualifié de terrain à bâtir car la dimension des réseaux, qui s’apprécie au regard de l’ensemble de l’O.A.P., était insuffisante.

Parcelle partiellement expropriée : prise en compte de la parcelle dans son ensemble pour la qualification à retenir au titre de l’indemnisation

Par un arrêt du 6 mars 2025 (pourvoi n° 23-22.427), la troisième chambre civile de la Cour de cassation s’est prononcée sur la qualification des terrains expropriés et leur éventuelle situation privilégiée en cas d’expropriation partielle.

Aux visas des articles L. 322-2 et L. 321-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, la Cour énonce qu’en cas d’expropriation partielle, la qualification, à la date de référence, des terrains expropriés et leur éventuelle situation privilégiée s’apprécient, à cette même date, au regard de l’entière parcelle dont l’emprise a été détachée, et non en fonction de la seule emprise, qui résulte de l’expropriation.

En l’espèce, l’emprise partielle expropriée était à usage de parking et de voirie mais se trouvait rattachée à une parcelle qui était vouée à l’habitat en raison de son classement en zone AU1.

Par application du principe énoncé ci-avant, la Cour de cassation donne raison à la Cour d’appel qui a retenu la configuration de la parcelle dans son ensemble et non celle de la seule emprise partielle pour constater que les termes de comparaison à retenir devaient correspondre à ceux d’une parcelle vouée à l’habitat.

Par cette position, la Cour de cassation refuse de faire peser sur l’exproprié les conséquences d’une emprise partielle décidée par l’autorité expropriante. Cette solution répond au principe de fixation d’une juste indemnité posé par l’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Quelle protection pour le podcast ?

Après une première étude de l’Observatoire des podcasts publiée en février 2024, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a présenté son rapport en décembre 2024 qui vise plus spécifiquement l’encadrement du podcast par les règles nationales et européennes en matière de droit de la propriété littéraire et artistique.

Outre un nouvel état des lieux du secteur, il en ressort que le droit en vigueur garantit déjà une protection juridique au podcast, qui peut se diviser en deux catégories :

  • Le podcast entendu comme contenu c’est-à-dire l’enregistrement sonore, protégeable par le droit d’auteur (au sens de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle) mais aussi au titre du droit voisin des artistes-interprètes du podcast (article L. 212-1 du même Code) ;
  • Le podcast comme contenant, c’est-à-dire l’objet du podcast en tant que tel, protégeable, selon les cas, par le droit voisin des entreprises de communication audiovisuelle (au sens de l’article L. 216-1 du Code de la propriété intellectuelle), des producteurs de phonogrammes (article L. 213-1 du même Code) ou encore des éditeurs de presse (article L. 218-1 du même Code).

Le CSPLA en conclut qu’il n’y a pas, pour l’instant, de nécessité de créer une nouvelle catégorie juridique pour protéger juridiquement le podcast tout en précisant qu’une intervention législative serait souhaitable pour adapter certaines dispositions du Code de la propriété intellectuelle.

Sur le fondement du droit d’auteur, le CSPLA relève notamment que la rémunération qui en découle est encore déséquilibrée et doit être mieux encadrée contractuellement entre les différents acteurs du secteur. Cet ajustement comprendrait une intervention plus importante des organismes de gestion collective mais aussi une réévaluation de la rétribution accordée par les plateformes en ligne.

Dépôt d’une proposition de loi visant à simplifier la procédure de reprise des concessions en état d’abandon

Les procédures de reprises de concessions funéraires non renouvelées ou en état d’abandon sont un vecteur d’optimisation de l’espace dans nos cimetières souvent saturés.

Mais la lourdeur administrative qu’implique leurs procédures de mise en œuvre dissuade parfois les services municipaux, notamment des petites communes, d’y avoir recours.

Et si la loi 3DS a opéré certains allégements de ces dernières (commentés dans notre précédente lettre d’actualité juridique), la procédure attachée à la reprise des concessions funéraires en état d’abandon demeure, il est vrai, pour le moins longue et contraignante.

Et tout au long de sa durée, la concession abandonnée demeure tout à la fois occupée et souvent dans un certain état de délabrement.

Afin d’argiliser ce dispositif et donc dynamiser l’espace foncier des cimetières, une proposition de loi a été déposée à l’Assemblée nationale le 18 février 2025. Elle a pour objet de simplifier la procédure de reprise des concessions en état d’abandon à deux égards :

  • Elle réduit, d’une part, les obligations liées à la publicité des procès‑verbaux en remplaçant les trois affichages successifs séparés de 15 jours par une période unique d’un mois ;
  • D’autre part, elle supprime la présence obligatoire d’un fonctionnaire de police délégué par le chef de circonscription ou, à défaut de ce dernier, d’un garde-champêtre ou d’un policier municipal lors du constat de l’état d’abandon, au profit d’un membre du conseil municipal

Nous ne manquerons pas de suivre la procédure législative attachée par cette proposition de loi, pour l’heure examinée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale.

Nouveau modèle de devis applicable aux prestations fournies par les opérateurs funéraires à compter du 1er juillet 2025

On rappellera qu’en vertu de l’article L. 2223-21-1 du CGCT, les devis fournis par les régies, les entreprises ou associations habilitées à fournir des prestations relevant du service extérieur des pompes funèbres doivent être conformes à des modèles établis par arrêté ministériel.

Et pour cause, ceux-ci doivent suivre un formalisme bien particulier ayant vocation à protéger les familles de certaines dérives.

Conformément à ce que prévoit l’article R. 2223-29 du CGCT, ces devis doivent notamment distinguer les prestations obligatoires, limitativement énumérées par ladite disposition, des autres prestations.

Une classification qui n’est pas tout à fait instinctive puisqu’elle diffère de la distinction entre les prestations relevant du service extérieur des pompes funèbres (visées à l’article L2223-19 du CGCT et dont on pourrait pourtant penser qu’en tant qu’elles relèvent d’un service public, elles correspondent à celles obligatoires) de celles n’en faisant pas partie. Par exemple on observe qu’au titre de ces devis, relèvent des prestations « non obligatoires » les soins de conservation (ou soins de thanatopraxie[1]) qui pourtant font partie du service extérieur des pompes funèbres (voir en ce sens article L. 2223-19-1 du CGCT).

Dans le même temps, ces devis ne doivent pas être de nature à créer une confusion entre les prestations concédées à l’opérateur au titre du service extérieur des pompes funèbres (ci-après SEPF) par la commune ou l’EPCI compétent, des autres prestations de pompes funèbres opérées par celui-ci sur le marché concurrentiel.  Une telle pratique serait en effet de nature à inciter les familles à recourir aux services de la même société pour l’ensemble des prestations funéraires.[2]

Enfin, ces devis doivent mentionner diverses informations prévues aux article R. 2223-25 à R. 2223-28 du CGCT.

Autant d’exigences qui – tout aussi légitimes soient-elles – rendent utiles la publication d’un modèle de devis pour les opérateurs funéraires comme les communes et Etablissements publics compétents en matière de SEPF.

Ce modèle était jusque-là fixé en annexe d’un arrêté du 23 août 2010. Il est désormais renouvelé par l’arrêté du 11 février 2025 ici commenté.

En substance, ce modèle de devis est simplifié. Le modèle de 2010 faisait apparaître trois types de prestations et frais : « les prestations courantes », « les prestations complémentaires optionnelles » et « les frais avancés pour le compte de la famille ». Le nouveau modèle prévoit désormais une classification resserrée et mise en cohérence avec les dispositions du CGCT entre prestations obligatoires et prestations non obligatoires.

Ce nouveau modèle, applicable à compter du 1er juillet 2025, œuvre donc dans le sens d’une harmonisation du droit funéraire et de sa pratique.

Ce faisant, il pourrait simplifier le travail des opérateurs funéraires et des collectivités en charge du SEPF.

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[1] Définis par l’article L. 2223-19-1 du CGCT comme les soins ayant « pour finalité de retarder la thanatomorphose et la dégradation du corps, par drainage des liquides et des gaz qu’il contient et par injection d’un produit biocide »

[2] Voir notamment en ce sens CA Paris, 27 octobre 1998, Groupement d’entreprises de services, n°1998/00672 ; Conseil de la concurrence, décision n°08-D-09 du 6 mai 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres à Lyon et son agglomération citée dans notre analyse du 7 juillet 2016 ou encore Autorité de la concurrence, décision n° 17-D-13 du 27 juillet 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres dans le département de l’Ain.

Forclusion de l’action en garantie des vices et non-conformités apparents : l’acquéreur ne peut agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun pour obtenir l’indemnisation d’une non-conformité contractuelle apparente

Dans cet arrêt, la Cour de cassation confirme, au visa des articles 1642-1 et 1648 du Code civil, un arrêt d’appel sanctionnant par l’irrecevabilité pour forclusion l’action d’un acquéreur d’un bien en l’état futur d’achèvement tendant à l’indemnisation du préjudice lié à la modification en cours de travaux du dimensionnement d’une place de parking.

Aux termes de ces dispositions en effet, l’action en garantie des vices et non-conformités apparents est enfermée dans le délai d’un an à compter du plus tardif des évènements que sont la réception ou le délai d’un mois suivant la prise de possession.

En l’espèce, l’acquéreur avait certes pris soin de solliciter la désignation d’un Expert judiciaire vraisemblablement dans le délai susvisé, ce qui avait eu pour effet d’interrompre le délai, réputé recommencer à courir pour une nouvelle période d’un an à compter de l’ordonnance de désignation de l’Expert judiciaire.

Toutefois, l’acquéreur n’avait pas veillé à interrompre une nouvelle fois le délai par la saisine du juge du fond avant l’expiration de ce nouveau délai d’un an.

Dans le cadre de son pourvoi, et afin d’échapper à la forclusion de l’action en garantie des vices et non-conformités apparents, l’acquéreur tentait de soutenir que l’indemnisation de son préjudice lié à la modification du dimensionnement de la place de parking, attachée au lot acquis, pouvait cependant être recherchée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun du vendeur pour manquement à son obligation d’information et de conseil.

La Cour de cassation déboute l’acquéreur en confirmant tout d’abord l’arrêt d’appel en ce qu’il a retenu que la livraison d’une place de parking ne répondant pas aux dimensionnements convenus constitue une non-conformité découverte après la livraison, vraisemblablement constatée ou constatable au plus tard dans le délai d’un mois suivant la prise de possession, de sorte que l’action relevait bien des dispositions d’ordre public de 1642-1 et 1648 du Code civil.

Elle confirme ensuite le raisonnement de la Cour d’appel qui a rejeté pour irrecevabilité la demande de condamnation formée par l’acquéreur en rappelant que l’action en garantie prévue à l’article 1642-1 du Code civil est exclusive de la responsabilité contractuelle de droit commun, de sorte que l’acquéreur en état futur d’achèvement, qui invoquait un préjudice résultant en réalité d’une non-conformité apparente, n’était pas fondé à rechercher la responsabilité du vendeur pour manquement à son obligation d’information et de conseil, pour échapper à la forclusion encourue sur le fondement de la garantie des vices et non-conformités apparents.

On retiendra qu’en matière de vices et non-conformités apparents, mieux vaut ne pas rater la date anniversaire !

Le refus de titularisation en fin de stage peut être fondé sur des faits antérieurs au stage démontrant l’insuffisance professionnelle

Par une décision du 12 février 2025, le Conseil d’Etat a précisé que si l’autorité administrative ne pouvait légalement refuser la titularisation d’un agent que si les faits retenus caractérisaient des insuffisances dans l’exercice des fonctions et la manière de servir de l’intéressé, la seule circonstance que les faits établissant l’insuffisance professionnelle de l’agent étaient antérieurs à la période de stage n’était pas de nature à faire obstacle à ce qu’ils justifiaient d’un tel refus.

En l’espèce, le Président du CNRS avait refusé de titulariser une agente dans le corps des chargés de recherche et l’a licenciée à l’issue de son stage probatoire, au regard d’une enquête interne[1], réalisée à la suite de dénonciations publiques de plagiat à l’encontre de l’agent. Cette enquête, bien qu’écartant les accusations de plagiat, révélait de graves manquements aux obligations déontologiques, notamment s’agissant de la citation des sources dans la rédaction de ses articles scientifiques qui avaient été publiés avant son recrutement au sein du CNRS.

En première instance comme en appel, les juridictions du fond ont considéré que le licenciement revêtait un caractère disciplinaire, dès lors qu’il était fondé exclusivement sur des faits commis antérieurement au stage[2], de sorte que l’absence de mise en œuvre de l’ensemble de la procédure disciplinaire entrainait l’annulation de la décision de licenciement.

Saisi par le CNRS, le Conseil d’Etat devait trancher la question de savoir si un refus de titularisation fondé sur l’insuffisance professionnelle pouvait être fondé sur des faits commis avant à la période de stage.

Il a répondu positivement. Après avoir rappelé qu’une décision de refus de titularisation pouvait être fondée sur des faits caractérisant à la fois une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, dès lors que l’agent est mis à même de faire valoir ses observations[3], la Haute juridiction juge que « la seule circonstance que les faits établissant l’insuffisance professionnelle de l’agent à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé soient antérieurs à la période du stage n’est pas de nature à faire obstacle à ce qu’ils justifient une décision de refus de titularisation ».

Elle censure alors la Cour administrative d’appel de Paris pour erreur de droit pour avoir jugé que les faits reprochés à l’agent ne pouvaient justifier un refus de titularisation au seul motif qu’ils étaient antérieurs à la période de stage.

Selon le rapporteur public qui s’est prononcé sur cette affaire, l’administration devait « pouvoir se fonder sur des faits antérieurs au stage pour refuser la titularisation, dès lors que celle-ci constitue la dernière phase du recrutement et que l’exigence du mérite doit donc s’y manifester de la manière la plus nette et la plus efficace »[4].

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[1] Conclusions du rapporteur public, N. Labrune, sous CE 12 février 2025, n° 494075.

[2] CAA Paris, 6 mars 2024, n° 23PA03301.

[3] CE, 24 février 2020, Commune de Marmande, n° 421291, aux Tables.

[4] Conclusions du rapporteur public, N. Labrune, sous CE 12 février 2025, n° 494075.

Cession à vil prix d’une parcelle communale

Par un jugement du 6 février 2025, le Tribunal administratif de Dijon s’est prononcé sur deux sujets intéressants. Outre un sujet de commande publique « dans l’air du temps », le tribunal a eu l’occasion de rappeler, à sa façon, que la cession d’un bien par une personne publique, à un prix significativement inférieur à la valeur du marché, ne peut être légale que si elle est réalisée dans un but d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.

En l’espèce, la commune de Daix a, par une délibération de son conseil municipal en date du 28 juin 2022, approuvé la cession d’une parcelle de 1348 m² lui appartenant à une société, pour un montant de 150.000 euros. Un contribuable de la commune a saisi le Tribunal administratif de Dijon afin d’obtenir l’annulation de cette délibération, notamment au motif que le prix de vente contrevenait au principe d’incessibilité à vil prix de la propriété d’une personne publique.

Il est acquis que les personnes publiques n’ont pas le droit d’octroyer des libéralités et que cette interdiction se traduit, en matière de cession (ou de location) d’un bien, par l’interdiction faite aux personnes publiques de le céder (ou de le louer) à un prix inférieur au prix du marché[1].

Cette interdiction a toutefois été nuancée par le Conseil d’État dans sa décision Commune de Fougerolles[2], qui a posé le principe selon lequel une personne publique peut céder un bien de son domaine privé à un prix inférieur à sa valeur lorsque (i) la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général et (ii) comporte des contreparties suffisantes.

Et le Conseil d’État a précisé la manière dont ces deux conditions doivent être appréciées :

« pour déterminer si la décision par laquelle une collectivité publique cède à une personne privée un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur est, pour ce motif, entachée d’illégalité, il incombe au juge de vérifier si elle est justifiée par des motifs d’intérêt général ; que, si tel est le cas, il lui appartient ensuite d’identifier, au vu des éléments qui lui sont fournis, les contreparties que comporte la cession, c’est-à-dire les avantages que, eu égard à l’ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer, et de s’assurer, en tenant compte de la nature des contreparties et, le cas échéant, des obligations mises à la charge des cessionnaires, de leur effectivité ; qu’il doit, enfin, par une appréciation souveraine, estimer si ces contreparties sont suffisantes pour justifier la différence entre le prix de vente et la valeur du bien cédé »[3].

Le Tribunal administratif de Dijon va faire application de ce raisonnement, mais clairement à sa façon. Il relève d’abord que la parcelle a effectivement été cédée à un prix inférieur à sa valeur (bien que la commune ait retenu le montant fixé par l’avis – ici facultatif – de France Domaine).

Mais il juge ensuite que la cession de la parcelle litigieuse à un prix inférieur à sa valeur ne méconnait pas le principe d’interdiction des cessions à vil prix :

« Enfin, il est constant que la commune avait acquis ce terrain en 2013 dans un objectif de maîtrise foncière afin de favoriser, sans succès jusqu’à ce jour, l’implantation de commerces. Dans ce contexte, la cession à un prix inférieur à sa valeur d’un bien sans destination depuis près de dix ans à un opérateur qui, en contrepartie, s’engage à implanter un pôle dédié à des activités commerciales, libérales et de services utiles à la population de Daix, répond à des considérations d’intérêt général et n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation ».

Le Tribunal apprécie donc, ici, conjointement l’existence de motifs d’intérêt général et de contreparties suffisantes : ce sont précisément les contreparties constituées par l’acquéreur (l’engagement de réaliser un pôle dédié à des activités commerciales, libérales et de services) qui sont regardées comme répondant (par ailleurs) à des considérations d’intérêt général.

Le Tribunal conclut donc à la validité de la cession à un prix inférieur à sa valeur.

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[1] Conseil constitutionnel, Décision n°86-207 DC du 26 juin 1986

[2] CE, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, req. n°169473

[3] CE, 14 octobre 2015, Commune de Châtillon-sur-Seine, n°375577

Cession avec charges et requalification en concession d’aménagement

Par un jugement du 6 février 2025, le Tribunal administratif de Dijon a écarté toute qualification en contrat de la commande publique d’une vente d’une parcelle communale, dans le cadre de laquelle l’acquéreur s’engageait à réaliser un ensemble immobilier utile pour la vie de la Cité.

Dans cette affaire, autrement évoquée dans cette Lettre d’Actualité Juridique, la commune de Daix a, par une délibération de son conseil municipal en date du 28 juin 2022, approuvé la cession d’une parcelle communale de 1348 m² à une société, qui s’engageait à y implanter un pôle dédié à des activités commerciales, libérales et de services utiles à la population de Daix.

Le requérant, un contribuable, sollicitait l’annulation de la délibération au motif que le contrat de vente devait être analysé comme un contrat de la commande publique, et plus précisément une concession d’aménagement.

Le motif est dans l’air du temps. Le sujet de la requalification des cessions avec charges n’est pas nouveau en effet. Et s’il a longtemps était abordé sous le prisme d’une requalification en marché de travaux, il est aujourd’hui plus logiquement – et fort heureusement – apprécié sous l’angle concessif, celui d’une requalification en concession d’aménagement[1]. L’exercice n’est pas absurde. Une cession avec charges a bien en effet parfois pour objet de confier à un opérateur une mission globale qui, compte tenu des contraintes qui lui sont imposées, peut-être analysée comme une série de « prestations » dont l’essentiel tient du service : le contrat par la voie duquel une collectivité territoriale, un aménageur public ou autre établissement public confie à un promoteur la charge de lui acheter une dépendance, et donc de procéder à un « portage foncier », puis de la viabiliser, de concevoir et construire des ouvrages préalablement déterminés (logements, bureaux…) et enfin de les commercialiser est d’un certain pont de vue un contrat qui confie à un opérateur une commande de service, à charge pour lui de se rémunérer sur l’exploitation de ce service à ses risques et périls.

En l’espèce, pour rechercher si la cession de la parcelle devait être analysée comme une concession d’aménagement, le tribunal recherche si l’ouvrage projeté répond « à des besoins précisés par la commune » dont la réalisation serait exécutée « dans son intérêt économique direct », au même titre que ce qu’il advient habituellement pour identifier l’existence d’un marché de travaux[2].

Le juge relève toutefois qu’ici, la délibération litigieuse ne révèle l’existence d’aucun cahier des charges auquel le promoteur, qui est du reste à l’initiative du projet, devrait se conformer : il précise que la délibération n’a défini d’autres contraintes concernant le projet de l’acquéreur que la définition « relativement large » des activités pouvant être accueillies, un dépôt rapide de la demande de permis de construire, une « concertation sur le projet architectural » et un droit de retour du terrain au même prix si l’opérateur n’est pas en mesure d’engager la construction dans un délai de deux ans. Il ajoute que l’intérêt économique direct de la commune ne peut être caractérisé « par la seule intention de la collectivité de compléter l’offre de services locale ». Il ne saurait donc être question d’une quelconque commande publique.

Et a fortiori il n’aurait pas pu être question d’une concession d’aménagement : le tribunal considère que le projet ne peut être regardé comme une opération d’aménagement au sens des articles 300-1 et suivants du Code de l’urbanisme au regard des « caractéristiques du projet et de l’ampleur modérée du programme de construction envisagé ».

Partant, aucune obligation de publicité et de mise en concurrence ne s’imposait préalablement à la cession litigieuse et le tribunal administratif conclut au rejet de la requête.

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[1] TA Cergy-Pontoise, 9 février 2023, req. n°2003860

[2] CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller GmbH, C‑451/08 et Article L. 1111-2 du Code de la commande publique

Concession Autolib’ : résiliation pour défaut d’intérêt économique et indemnisation du concessionnaire

Par un arrêt du 21 février dernier, la Cour administrative d’appel de Paris annule un jugement du Tribunal administratif de Paris du 12 décembre 2023, et condamne le syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ métropole (SMAVM) à verser à la société Autolib’ la somme de 66.078.216,79 euros, au titre de la résiliation de la concession de service public portant sur la mise en place, la gestion et l’entretien d’un service d’automobiles électriques en libre-service et d’une infrastructure de recharge de véhicules électriques dont elle était titulaire.

Cet arrêt présente un intérêt particulier au regard du motif de résiliation, qui repose sur le défaut d’intérêt économique de la concession.

Plus précisément, la société Autolib’ avait, après plusieurs années d’exploitation, notifié au SAVM le défaut d’intérêt économique de la concession, et lui avait demandé en conséquence le versement d’une compensation financière.

Le contrat prévoyait en effet à ce sujet la possibilité, pour les parties, de reconnaître l’absence d’intérêt économique de la concession, en cas de « pertes d’une ampleur exceptionnelle » sans amélioration possible (pertes cumulées au-delà de 60 millions d’euros au terme du contrat). Si la perspective de cette situation se présentait, le concessionnaire pouvait solliciter le versement d’une compensation financière par le Syndicat pour ramener le niveau de perte au seuil précité, ou la résiliation du contrat, avec application des clauses indemnitaires prévues en cas de résiliation pour motif d’intérêt général (couvrant notamment la perte de recettes au-delà du seuil de 60 millions d’euros). Après avoir refusé de verser la compensation financière, c’est dans cette seconde voie que s’était engagé le Syndicat, en prononçant la résiliation du contrat de concession, mais en refusant d’indemniser la société Autolib’ à hauteur de ses prétentions au titre de la résiliation pour motif d’intérêt général.

Le Tribunal administratif de Paris avait rejeté la demande de la société Autolib’ à condamner le Syndicat à lui verser les sommes qu’elle réclamait (plus de 253 millions d’euros), au motif que le mécanisme de compensation prévu par le contrat constituait une libéralité consentie par le Syndicat, en méconnaissance de leur interdiction de principe applicable aux personnes publiques, et également en méconnaissance du principe selon lequel un concessionnaire doit supporter le risque financier attaché au contrat[1].

La Cour administrative d’appel de Paris censure ce raisonnement et considère que le contrat de concession ne comportait pas de libéralité, et ne permettait pas au concessionnaire, de toucher une indemnisation supérieure au montant de son préjudice. À cet effet, la Cour relève (i) que le dispositif contractuel conduisait à ce que le montant de la compensation en cas de défaut d’intérêt économique soit adapté « aux pertes réellement subies par le concessionnaire au-delà de 60 millions d’euros », et (ii) qu’en cas de résiliation de la concession pour défaut d’intérêt économique, le concessionnaire ne bénéficiait pas de la compensation, si bien que l’indemnisation de résiliation prévue (qui couvrait les pertes supérieures au seuil de 60 millions d’euros) n’excédait pas le montant du préjudice du concessionnaire (lequel couvre notamment les dépenses qu’il avait exposées et qui n’ont pas été couvertes par la compensation qui lui aurait été versée si le contrat n’avait pas été résilié).

Le raisonnement de la Cour témoigne ainsi de ce que, dans le cadre d’une concession où le concessionnaire doit supporter le risque attaché à l’exploitation du service qui lui est confié, il est possible pour les parties d’organiser contractuellement des dispositifs destinés à parer un niveau de pertes substantiel, et un niveau de pertes tel qu’il remet en cause l’opportunité même de conclure un contrat de concession pour le service concerné.

En conséquence de cette absence de libéralité, la Cour applique, pour calculer le montant de l’indemnité due à la société à raison de la résiliation de la concession, les trois postes indemnitaires prévus par le contrat : (i) la valeur nette comptable des biens de retour de la concession (bornes de charge et de recharge, études préalables à la détermination des emplacements des bornes), (ii) les coûts de résiliation des sous-contrats en cours et (iii) la compensation des pertes dépassant le seuil de 60 millions d’euros.

La Cour réduit toutefois le montant de l’indemnité demandée par la société Autolib’, en considérant qu’au regard des prévisions sur la période 2011-2016, elle aurait dû notifier bien plus tôt le défaut d’intérêt économique de la concession (au plus tard le 30 novembre 2013), et limiter ainsi les « dégâts ». La Cour retient donc que la société peut seulement « prétendre à l’indemnisation du déficit cumulé de la concession excédant 60 millions d’euros jusqu’au 31 décembre 2013 ».

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[1] TA Paris, 12 décembre 2023, req. n° 1919348.

Précisions concernant la mise en demeure préalable à une radiation des cadres pour abandon de poste

Par un arrêt du 30 décembre 2024, le Conseil d’État a jugé, s’agissant d’une mise en demeure préalable à une radiation des cadres pour abandon de poste, et contrairement aux solutions antérieures, que l’absence de mention dans celle-ci qu’un abandon de poste pourra être constaté sans procédure disciplinaire préalable est un vice qui n’entraine pas nécessairement l’annulation de la radiation.

Dans cette affaire, la requérante avait été recrutée par l’université Toulouse III Paul Sabatier en 2001 comme psychologue vacataire. Elle a sollicité en 2010 la requalification de son engagement en un CDI, ce qu’a refusé l’université. L’intéressée a alors saisi le Tribunal administratif de Toulouse, qui a annulé ce refus, et ce jugement a ensuite été confirmé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux. Celle-ci a enjoint à l’université de procéder à la régularisation du CDI de l’agent. Alors qu’elle n’assurait plus de vacations depuis 2010, elle a signé en 2017 le CDI proposé par l’université Toulouse III Paul Sabatier en exécution de cet arrêt. Elle n’a cependant pas pris ses fonctions en dépit des courriers qui lui ont été adressés par l’établissement. C’est dans ces conditions que le président de l’université a prononcé son licenciement pour abandon de poste le 24 mars 2017. Elle a alors contesté cette décision, et obtenu l’annulation auprès du TA de Toulouse, décision par la suite confirmée par la Cour administrative d’appel de Toulouse, au motif que les mises en demeure préalable à la décision de licenciement ne contenaient pas les fameuses mentions informant l’agent que la radiation des cadres qui serait prise si son absence persistait interviendrait sans procédure disciplinaire préalable. Leurs décisions étaient, sur ce point, conformes à la jurisprudence retenue jusque-là (CE, 6 mai 2021, Centre hospitalier Sud francilien, n° 428957 et CE, H…, 26 septembre 2014, n° 365918).

Saisi à son tour du litige, le Conseil d’Etat a infirmé ces décisions. Il juge que :

« si l’obligation pour l’administration d’impartir à l’agent un délai approprié pour rejoindre son poste et de l’avertir que, faute de le faire, il sera radié des cadres constitue une condition nécessaire pour que soit caractérisée une situation d’abandon de poste, et non une simple condition de procédure, il n’en va pas de même de l’indication qui doit lui être donnée, dans la mise en demeure écrite qui lui est adressée, que l’abandon de poste pourra être constaté sans procédure disciplinaire préalable ».

Or, en l’espèce, le Conseil d’Etat a relevé que la mise en demeure avait été signifiée à l’intéressée par acte d’huissier de justice et qu’en son absence, un avis de passage lui avait été laissé mais que l’intéressée n’était allée chercher le pli que postérieurement à la date à laquelle elle avait été mise en demeure de rejoindre son poste, sans faire état d’aucune circonstance l’ayant empêchée d’en prendre connaissance plus tôt. La haute assemblée en a déduit qu’elle ne pouvait utilement se prévaloir du vice de forme qui affectait la mise en demeure.

L’insuffisance des mentions prescrites par la règlementation dans la mise en demeure n’entraînera donc plus nécessairement l’annulation de la mise en demeure, puisque le juge pourra retenir que, lorsqu’il est établi que l’agent n’a, en tout état de cause, pas pris connaissance en temps voulu de cette mise en demeure, le défaut de mention n’a pas pu le priver d’une garantie, et ne peut donc affecter la légalité de l’acte.

Reste que cette décision, si elle est utile à la défense des administrations au contentieux, n’implique rien de nouveau s’agissant de la procédure de radiation pour abandon de poste : il conviendra toujours d’apposer sur la mise en demeure l’ensemble des mentions prescrites, car l’application de cette jurisprudence dépendra d’un facteur indépendant de la volonté ou de l’action de l’administration.

La CJUE poursuit le développement de sa jurisprudence en matière de droit d’accès et de prise de décision automatisée

La Cour de justice de l’Union européenne poursuit le développement de sa jurisprudence en matière de droit d’accès et de prise de décision automatisée.

Dans un arrêt rendu le 27 février 2025, la Cour s’est penchée sur le cas d’une personne, CK, à qui un opérateur de téléphonie mobile avait refusé un contrat d’un montant de 10 euros par mois. Ce refus reposait sur une évaluation automatisée réalisée par une société spécialisée (D&B), qui avait conclu que CK ne présentait pas une solvabilité financière suffisante.

CK a exercé son droit d’accès pour obtenir des explications sur les critères ayant conduit à cette décision automatisée. Estimant que les informations qui lui avaient été fournies étaient insuffisantes, elle a saisi la justice.

Cet arrêt apporte plusieurs enseignements importants et confirme des principes clés en matière de protection des données personnelles :

Tout d’abord, s’agissant de la définition des informations utiles et de la logique sous-jacente, la Cour analyse les différentes traductions des termes « informations utiles » et « logique sous-jacente » dans plusieurs langues officielles de l’Union. Elle en conclut que ces notions doivent être comprises de manière complémentaire :

  • Les informations doivent être utiles (interprétation en français, néerlandais et portugais),
  • Pertinentes (en roumain),
  • Importantes (en espagnol et polonais),
  • Intelligibles (en allemand et en anglais).

Ainsi, l’obligation d’information impose non seulement de fournir des données pertinentes, mais aussi de veiller à leur clarté et leur accessibilité.

Ensuite, selon la Cour, le droit d’accès doit permettre une contestation effective des décisions automatisée. La CJUE rappelle que, dans le cadre d’une décision automatisée individuelle, la personne concernée doit pouvoir comprendre les raisons qui ont conduit à cette décision afin d’exercer son droit de contestation ou d’exprimer son point de vue.

Concrètement, cela implique que les informations fournies doivent :

  • Être concises, transparentes, compréhensibles et aisément accessibles,
  • Expliquer clairement les procédures et les principes appliqués pour traiter les données personnelles et aboutir au résultat final,
  • Permettre d’identifier pourquoi les données fournies par D&B semblaient indiquer une solvabilité suffisante, alors que la décision finale conclut le contraire.

Enfin, toujours selon la Cour, les droits d’autrui et le secret des affaires peuvent limiter l’accès à certaines informations.

La Cour souligne que les droits et libertés d’autres personnes peuvent restreindre non seulement le droit à une copie des données (article 15, §4 du RGPD), mais aussi le droit d’accès aux informations sur la logique de la décision automatisée.

Bien que cette limitation soit explicitement prévue pour le droit à la copie, la CJUE estime qu’elle doit aussi s’appliquer au droit d’accès aux explications sur la décision automatisée. Cette approche repose sur le principe selon lequel le droit à la protection des données n’est pas absolu et doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux.

Ainsi, lorsque les informations demandées sont susceptibles de révéler un secret d’affaires, elles ne doivent pas être communiquées directement à la personne concernée, mais transmises à l’autorité de contrôle ou à une juridiction compétente. Cette instance sera alors chargée d’effectuer une pondération des intérêts en jeu et de déterminer dans quelle mesure l’accès aux informations peut être accordé.

En résumé, cet arrêt renforce l’exigence de transparence en matière de décisions automatisées tout en précisant les limites que peuvent poser le secret des affaires et les droits des tiers.

La Défenseure des droits précise la méthodologie de l’enquête administrative

Le 5 février 2025 a été publiée par la Défenseure des droits une décision cadre portant sur la discrimination et le harcèlement sexuel, notamment dans l’emploi public, laquelle précise ce qui est attendu d’une enquête interne menée par l’employeur public.

Après avoir rappelé qu’aucune disposition légale ne régit ces enquêtes et qu’elles peuvent être librement conduites, notamment par l’administration, la Défenseure des droits a détaillé les conditions devant être réunies pour garantir la protection des victimes et des témoins ainsi que la rigueur dans l’établissement des faits.

À cette fin, elle a formulé plusieurs recommandations, parmi lesquelles :

  • L’élaboration d’une méthodologie d’enquête interne, formalisée dans une décision après consultation des représentants du personnel ;
  • L’information des parties concernées (victime présumée et personne mise en cause) de l’ouverture de l’enquête, sauf en cas de risque de pression sur les témoins et/ou la victime présumée ;
  • Le respect strict de la confidentialité tout au long de la procédure ;
  • L’impartialité absolue de l’enquêteur, qui doit être extérieur au service où les faits se sont déroulés et si la direction ou un agent du service habituellement chargé des enquêtes est mis en cause, il est impératif d’externaliser l’enquête[1] ;
  • L’audition systématique de la victime présumée, de la personne mise en cause et des témoins pertinents, y compris les témoins indirects ainsi que les responsables hiérarchiques directs des parties concernées, la personne mise en cause doit être entendue en dernier et si elle désigne d’autres témoins, ceux-ci doivent être auditionnés sous réserve de leur pertinence, appréciée par les enquêteurs[2] ;
  • L’assistance d’un défenseur de son choix pour l’agent concerné si l’enquête est menée par un avocat [3] ;
  • L’anonymisation des témoignages, sur demande de la personne auditionnée, tout en conservant une version non anonymisée pour d’éventuelles procédures contentieuses[4] ;
  • La retranscription exhaustive des auditions, sous forme d’un compte rendu écrit, soumis à relecture et signature[5] ;
  • La rédaction du rapport d’enquête de façon exhaustive et détaillée à la fois sur les faits mais également sur la procédure suivie, le rapport doit également proposer une qualification juridique des faits constatés ;
  • La communication du rapport d’enquête à la hiérarchique, synthèse doit être communiquée à la victime présumée.

Cette décision-cadre s’inscrit dans la continuité des principes dégagés, au fil du temps, par le juge administratif, elle formalise des exigences jusqu’alors éparses car issues de décisions successives.

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[1] CAA Paris, 18 octobre 2006, Monsieur X., n° 02PA02028 : Il appartient à l’administration de désigner la personne qui diligentera l’enquête.

[2] CAA Douai, 29 novembre 2012, n°11DA01841 : L’enquêteur a l’obligation d’entendre tous les témoins demandés par l’agent, sous peine d’entacher l’enquête de partialité. On notera qu’il est obligatoire pour les agents de se rendre à a convocation qui leur est faite sous peine de poursuites disciplinaires (CAA Nantes, 28 juin 2010, n° 09NT00340).

[3] Cette recommandation est en contradiction avec l’analyse du juge administratif qui considère que l’agent n’a pas de droit d’être accompagné du défenseur de son choix avant la mise en œuvre d’une éventuelle procédure disciplinaire : CAA de Douai, 22 septembre 2011, n° 10DA01066.

[4] Le CE a admis cette possibilité en cas de « risque avéré de préjudice » pour la personne auditionnée (CE, 28 avril 2023, n° 443749 ; CE, Sect., 22 décembre 2023, n° 462455)

[5] Sur la signature des procès-verbaux : CE, 14 mai 1986, n° 71856, aux tables.

Garantie décennale : La Cour de cassation réaffirme le droit du maître d’ouvrage à choisir les modalités de réparation de son préjudice

Dans cette affaire, un maître d’ouvrage avait confié à une entreprise la réalisation d’une centrale photovoltaïque en toiture d’un bâtiment agricole.

Postérieurement à la réception, intervenue de manière tacite, le maître d’ouvrage a constaté des désordres consistant en des pénétrations d’humidité importantes.

A la suite d’une expertise judiciaire, plusieurs causes ont été mises en lumière : un phénomène d’infiltrations ainsi qu’un phénomène de condensation dû à l’absence d’écran sous toiture.

Le maître d’ouvrage sollicitait en conséquence l’indemnisation des préjudices correspondant notamment à la reprise intégrale de la couverture, chiffrée selon devis, et la perte des récoltes stockées.

La Cour d’appel, après avoir énoncé que le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer les modalités de réparation du préjudice, s’est attachée à relever que si l’expert avait considéré qu’il convenait de procéder au remplacement complet de la couverture photovoltaïque, il avait néanmoins admis la possibilité de mise en œuvre d’un kit de réparation que l’entreprise s’était proposée de réaliser.

Relevant que cette solution avait cependant été refusée par le maître d’ouvrage au motif de l’absence d’assurance de bon fonctionnement de l’installation et de confirmation d’un délai d’intervention, la Cour d’appel a néanmoins prononcé la condamnation de l’entreprise à réaliser le kit de réparation, au motif que cette solution « permet de remédier aux infiltrations et que celle-ci constitue une réparation proportionnée et adaptée au dommage sans enrichissement pour le maître de l’ouvrage », constituant dès lors une « réparation satisfactoire ».

Le maître d’ouvrage s’est pourvu en cassation contre cet arrêt au motif que la Cour avait prononcé la condamnation de l’entreprise à réparer les désordres alors même qu’il s’opposait aux modalités de réparation proposées et que la réparation en nature ne peut en tout état de cause être imposée au maître d’ouvrage.

Le premier intérêt de la décision de la Cour de cassation, publiée au Bulletin, réside dans la réaffirmation du principe selon lequel « l’entrepreneur, responsable de désordres de construction, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi par celle-ci », et ce, peu important que l’entreprise n’ait commis aucune faute (Cass. 28 septembre 2005, n° 04-14.586).

Dans le droit fil de sa décision de principe de 2005, la Cour de cassation juge ici que : « le juge du fond ne peut condamner un constructeur responsable de désordres à procéder à leur reprise en nature, lorsque le maître de l’ouvrage s’y oppose ».

On retiendra que la réparation en nature est un choix à la discrétion du maître d’ouvrage, qui ne souffre aucune limite, et notamment l’absence de faute de l’entrepreneur, ou encore le caractère proportionné et adapté de la réparation proposée.

La position constante de la Cour de cassation se rapproche ainsi du sens de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui privilégie la réparation pécuniaire, sauf demande contraire du maître de l’ouvrage ayant subi le sinistre.

Le second intérêt de la décision qui mérite d’être signalé est la réaffirmation de modalités d’appréciation de l’impropriété à destination. La Cour de cassation rappelle en effet que la destination de l’ouvrage s’apprécie par référence à la destination « découlant de son affectation, telle qu’elle résulte de la nature des lieux ou de la convention des parties ».

La Cour censure en conséquence ici les juges d’appel en ce qu’ils ne se sont pas attachés à rechercher si le phénomène de condensation à l’intérieur d’un bâtiment agricole dédié au stockage de récoltes était de nature à porter atteinte à sa destination.