Suspension en référé d’une sanction : que faire ?

Par une décision n° 462455 en date du 22 décembre dernier, le Conseil d’Etat a apporté une précision importante sur les sanctions disciplinaires suspendues par le juge des référés pour disproportion.

En effet, un des moyens classiques soulevé dans pareil cas est la disproportion entre la gravité de la faute et sa sanction, puisque depuis une décision Dahan du 13 novembre 2013 (347704) il doit y avoir une correspondance étroite entre les deux. La disproportion entre les deux représente donc un doute sérieux sur la légalité de la sanction qui doit normalement amener le juge des référés à en suspendre l’exécution.

Jusque-là, nous conseillions à nos clients dans une pareille hypothèse de pour en prendre une moins élevée, ce qui met fin au recours en annulation obligatoirement déposé en même temps que le référé puisqu’il perd son objet, et l’agent est tout de même sanctionné immédiatement.

Mais il ressort de cette décision du Conseil d’Etat que la sanction étant suspendue, elle ne produit plus d’effet de toute façon : de ce fait, une autre sanction, moins lourde, pourrait donc être prise sans retirer la première, et sans pour autant violer le principe de la prohibition d’une double sanction pour les mêmes faits (« non bis in idem »).

Et in fine, il reviendra au tribunal de statuer, en annulation, sur les deux sanctions (si l’agent conteste la seconde également), et à l’employeur d’appliquer celle qui aura été jugée proportionnée, l’autre étant soit annulée, soit retirée.

Mais dans l’hypothèse où le délai de jugement est de deux ans (c’est le délai minimal dans certaines juridictions) et que le tribunal considère, contrairement au juge des référés, que la sanction de révocation (par exemple) était proportionnée, alors que l’agent était exclu temporairement de ses fonctions depuis tout ce temps : il sera certes révoqué rétroactivement à la date initiale de notification de la première sanction mais… l’employeur lui devra deux ans d’ARE.

En conclusion, il y a des dossiers de principe qui font que l’employeur ira jusqu’au bout du bout, et d’autres où il faudra être plus pragmatique et retirer immédiatement la sanction, comme nous le préconisons chez Seban Avocats depuis toujours.

Le compte-épargne temps, un congé payé supplémentaire ?

Mise en lumière de la qualification juridique des jours épargnés sur le compte-épargne temps et de ses conséquences sur leur indemnisation en fin de relation de travail Une indemnisation impossible à la fin de la relation de travail des jours épargnés sur le compte épargne temps (CET) lorsqu’ils ne peuvent être utilisés que sous forme de congés.

Par une décision récente en date du 30 janvier 2024, la Cour administrative d’appel de Paris a précisé que les jours épargnés sur un compte-épargne temps n’ont pas le caractère de congés payés annuels et ne peuvent dès lors donner lieu au paiement d’une indemnité financière, lorsque le fonctionnaire en fin de relation de travail ne peut en bénéficier du fait de son placement en congé de maladie.

En l’espèce, une fonctionnaire affectée à la direction générale de la santé a été mise à retraite d’office pour limite d’âge, à compter du 13 octobre 2019, après avoir été placée en congé de longue maladie du 18 février 2019 au 12 octobre 2019. L’intéressée a sollicité, avant son départ, l’indemnisation des 25 jours placés sur son compte-épargne temps et de ses 20 jours de congés annuels acquis au titre de l’année 2019. L’administration a fait droit à sa demande, à l’exception des 15 premiers jours épargnés sur son CET, par une décision du 6 septembre 2019. Après le rejet de ses recours gracieux et hiérarchique, cette agente a saisi le Tribunal administratif de Paris d’une demande d’annulation de cette décision, qui y a fait droit.

Cette décision a été infirmée par la Cour administrative d’appel de Paris. Elle a en effet rappelé que les 15 premiers jours épargnés sur un CET ne peuvent être utilisés que sous forme de congés dans la fonction publique. Seuls les jours excédant ce seuil peuvent être indemnisés forfaitairement.

Elle a précisé ensuite que le droit européen ne s’opposait pas à ce que les congés accordés par le droit national au-delà du minima de quatre semaines prévues par le droit européen soient insusceptibles d’ouvrir droit à une indemnisation à la fin de la relation de travail. La Cour en a déduit que « les jours épargnés sur un compte épargne temps n’ont donc pas le caractère de congés payés annuels, au sens de cette directive [directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail], et doivent dès lors être considérés comme des jours de congés supplémentaires, contrairement à ce qui a été jugé par les premiers juges ».

Dès lors, cette agente, bien qu’elle ait été dans l’impossibilité pour des raisons indépendantes de sa volonté d’utiliser les 15 premiers jours de congé épargnés sur son CET sous la forme de congés avant son admission à la retraite, ne pouvait prétendre à une indemnisation de ces derniers.

L’arrêt attire donc, une nouvelle fois, l’attention des employeurs sur les règles d’indemnisation des jours de congés annuels non pris par l’agent, en raison de son placement en congé de maladie, avant la fin de sa relation de travail. Seul un congé annuel payé minimal de 4 semaines est garanti par le droit européen et susceptible d’ouvrir droit à une indemnisation. Les jours épargnés sur le CET, qui ne peuvent être utilisés que sous forme de congés, sont donc définitivement perdus si le fonctionnaire n’a pu en bénéficier avant la fin de sa relation de travail.

La notion d’originalité au sein d’une photographie

A l’instar des acteurs privés, les personnes publiques sont fréquemment confrontées à la question de savoir si une photographie, qu’elles envisagent d’utiliser pour des besoins d’illustration ou de communication, est protégée par le droit d’auteur, qu’il s’agisse de clichés commandés dans le cadre de son activité de promotion touristique, ou bien même de portraits d’élus commandés afin de les diffuser sur le site internet de la collectivité.

A cet égard, de nouvelles décisions sont venues éclairer la notion d’originalité d’une photographie, leur conférant à ce titre la protection du droit d’auteur.

Cette protection est en pratique plus délicate à démontrer qu’en matière de propriété industrielle, la titularité étant, dans ce cas, prouvée par un titre de propriété obtenu par un dépôt auprès de l’INPI (ce qui est le cas pour les marques, dessins et modèles et brevets).

En matière de droit d’auteur, il revient à la personne qui revendique cette protection de démontrer l’originalité de son œuvre.

1. Critères objectifs retenus pour retenir l’originalité d’une photographie

L’originalité est appréciée au regard des œuvres existantes, en fonction des efforts créateurs fournis par l’auteur sur l’œuvre revendiquée, reflétant ainsi sa propre personnalité.

La jurisprudence retient l’originalité des photographies dès lors qu’elles procèdent de choix libres et créatifs de l’auteur, sans prendre en compte leur genre, mérite et destination.

Ces choix libres et créatifs peuvent porter sur de nombreux éléments et notamment la pose du sujet, l’angle de prise de vue, l’éclairage, la position, les couleurs, la mise en scène, ou bien même l’usage d’une technique particulière de tirage.

2. Décisions jurisprudentielles récentes

CA Rennes, 5 décembre 2023, n° 22/04884

A titre d’illustration, les juges ont eu à se positionner sur l’originalité de photographies prises à l’occasion de la course automobile des 24 heures du Mans. Ces photographies, destinées à la presse, portaient, non pas sur la course en elle-même, mais sur l’atmosphère qui régnait autour de cette course. La Cour a considéré qu’il s’agissait bien d’œuvres de l’esprit en retenant que l’originalité portait sur les sujets traités, permettant de restituer autre chose que les voitures et la piste.

CA Paris, pôle 5 ch. 1, 25 janvier 2023, n° 21/05914

Concernant des photographies prises lors d’un concert, il a pu être retenu que même dans le cadre de clichés pris sur le vif sans choix du sujet, de la posture, ni même de l’expression du musicien photographié, le photographe avait apporté plus que son savoir-faire et procédé à des choix libres et créatifs pour la prise des clichés, les angles de vues et les cadrages. A l’inverse, les juridictions continuent de refuser la protection du droit d’auteur à certaines photographies.

CA Douai, 30 novembre 2023, n° 22/02443

C’est le cas pour des photographies d’objets dont il s’agissait de faire la publicité pour le guide jardin de la société Leroy Merlin. Dans cette affaire, la Cour a considéré que les instructions données au photographe étaient très précises et lui imposaient des contraintes telle que « prise de vue en légère contre-plongée » ou « journée ambiance ensoleillé », et que son savoir-faire était insuffisant pour qualifier les photographies d’originales au sens du code de la propriété intellectuelle.

CA Paris, 13 septembre 2023, n° 21/12304

Dans le même sens, l’absence d’originalité a pu être retenue pour des photographies destinées à la promotion de produits commercialisés par la société d’ameublement HABITAT, du fait des directives précises imposés et de ce fait, des choix très contraints du photographe.

Il ressort de la jurisprudence susvisée, la nécessité de distinguer le savoir-faire technique du photographe, insuffisant pour retenir l’originalité, de ses choix libres et créatifs lui permettant de revendiquer une originalité sur ses œuvres et une protection au titre du droit d’auteur.

Le Conseil d’Etat vient préciser le régime des autorisations en matière d’actes chirurgicaux

C’est un contentieux intéressant qui vient d’être tranché par le Conseil d’Etat en matière d’autorisation des actes chirurgicaux. Désormais les règles mises en œuvre, tant par les Agences régionales de santé que par les instances ordinales, vont être plus claires et moins sujettes à interprétation. Au mois d’avril 2016, la société Optical Center a ouvert à Lyon un centre de chirurgie réfractive visant à permettre aux patients, souffrant d’anomalie de la puissance optique telles que la myopie, l’astigmatisme, l’hypermétropie ou la presbytie, de bénéficier d’interventions au laser sur la cornée pour corriger ces anomalies. Ayant saisi le Conseil de l’ordre des médecins du Rhône sur les contrats de travail des praticiens salariés du centre devant effectuer ces interventions, la société Optical Center s’est non seulement vue opposer un refus mais ses praticiens ont dû subir des poursuites disciplinaires et pénales du fait de l’appréciation portée sur leur exercice par l’autorité ordinale. En effet, le Conseil de l’ordre des médecins considérait que les interventions au laser pratiquées sur la cornée des patients relevaient des actes chirurgicaux soumis à autorisation préalable de l’Agence régionale de santé. Et qu’à défaut pour la société Optical Center d’avoir sollicité et obtenu cette autorisation, la pratique des ophtalmologistes salariés du centre était illégale.

C’est sous un angle indemnitaire que la société Optical Center va saisir le Tribunal administratif puis la Cour administrative de Lyon. En première instance comme en appel, ses demandes seront rejetées sur des moyens d’incompétence. Le Conseil d’Etat va être amené à se prononcer sur ce dossier et, pour démêler l’écheveau des incompétences soulevées en première instance comme en appel, va devoir se prononcer sur le point de savoir si les techniques d’intervention au laser sur la cornée relèvent bien du régime des actes chirurgicaux soumis à autorisation de l’Agence régionale de santé. Par l’arrêt n° 455074, rendu le 29 décembre 2023 par les 1ères et 4èmes chambres réunies, le Conseil d’Etat vient ainsi rappeler les critères qui, au regard des dispositions du Code de la santé publique, doivent distinguer les actes chirurgicaux soumis à autorisation et ceux pour lesquels cette autorisation n’est pas requise.

Dans le premier temps de son raisonnement, le Conseil d’Etat va rappeler qu’aux termes des dispositions de l’article L. 6122-1 du Code de la santé publique : « Sont soumis à l’autorisation de l’agence régionale de santé les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la conversion, le regroupement des activités de soins […] et l’installation des équipements matériels lourds ». Ces dispositions sont complétées par celles de l’article L. 6122-25 : « sont soumise à autorisation les activités de soins y compris lorsqu’elles sont exercées sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation, énumérées ci-après : 1° Médecine ; 2° Chirurgie […]. ».

Enfin, la Haute Juridiction rappelle qu’aux termes de l’article R. 6121-4 du Code de la santé publique, les alternatives à l’hospitalisation comprennent les activités de soins dispensées par des structures pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoire. Sont ainsi soumis à autorisation de l’Agence régionale de santé les actes chirurgicaux qui nécessitent une anesthésie au sens de l’article D. 6124-91 du Code de la santé publique, pratiquée dans un secteur opératoire qui doit prévoir une zone opératoire protégée propre à garantir la réduction des risques infectieux, suivant en cela les dispositions de l’article D. 6124-302 du même Code.

Or, les actes de chirurgie réfractive, pratiqués en l’espèce par la société Optical Center, sont réalisés directement sur la cornée des patients, par le moyen de techniques laser, n’impliquant ni anesthésie, ni recours à un secteur opératoire. Le Conseil d’Etat en tire donc la conséquence que ces activités ne sont pas soumises à autorisation de l’Agence régionale de santé. On retiendra donc comme déterminants les deux critères désormais rappelés par le Conseil d’Etat.

Pour qu’une activité de chirurgie soit soumise à autorisation de l’Agence régionale de santé il faut qu’elle ait recours à l’anesthésie et qu’elle soit pratiquée en secteur opératoire, suivant la définition que le Code de la santé publique donne de ces deux éléments. Il s’agit d’une grille de lecture qui va faciliter le développement des techniques de chirurgie ambulatoire, à l’heure où tous les moyens doivent être déployés pour éviter le recours à des hospitalisations longues, coûteuses et souvent préjudiciables aux patients. Un éclaircissement qui est donc le bienvenu tant pour les opérateurs, que les agences régionales de santé ou les instances ordinales.

Victimes d’infraction : des avancées dans leurs droits inscrites dans la loi du 20 novembre 2023

Dans le prolongement des Etats généraux de la Justice et du plan d’action présenté par le Garde des Sceaux en janvier 2023, les parlementaires ont souhaité, par la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, introduire de nouvelles garanties à l’exercice des droits de la partie civile au stade de l’instruction, mais également lui permettre de saisir plus largement la Commission d’indemnisation des Victimes d’Infraction (CIVI) en vue de garantir une meilleure indemnisation.

I. Les évolutions en faveur des droits de la partie civile au stade de l’instruction

  • L’accès au dossier dès la constitution de partie civile

La loi du 20 novembre 2023 a procédé à une réécriture attendue par les praticiens de l’article 114 du Code de procédure pénale afin de permettre, à compter du 30 septembre 2024, un accès simplifié pour la partie civile au dossier de procédure dès la constitution de partie civile, puisque la partie civile ou, si elle est représentée, son avocat pourra se faire délivrer copie des pièces du dossier « dès qu’elle s’est constituée et sans attendre d’être convoquée par le juge ».

En effet, actuellement, la mise à disposition du dossier à la partie civile intervient quatre jours ouvrables au plus tard avant la première audition de partie civile, qui a lieu généralement plusieurs mois voire des années après l’ouverture de l’information judiciaire, faisant obstacle à l’exercice des droits attachés à ce statut pendant cette même période. À compter du 30 septembre 2024, la partie civile pourra solliciter, dès constitution, une copie de la procédure, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour les avocats de partie civile, en particulier s’agissant des prérogatives offertes par les articles 81, 82-1 et 156 et suivants du Code de procédure pénale, qui permettent aux parties de formuler des demandes d’actes et d’expertises.

Néanmoins, cette nouveauté est encadrée puisque le juge d’instruction pourra toujours s’opposer à une telle transmission par une ordonnance motivée, dont la partie civile aura la possibilité d’interjeter appel devant le président de la chambre de l’instruction.

  • La simplification des démarches pour l’exercice de leurs droits

La loi du 20 novembre 2023 a également entériné le retour au régime antérieur à la loi du 23 mars 2019 qui avait consacré la nécessité pour les parties, dont la partie civile, de faire parvenir une déclaration d’intention au magistrat instructeur, dans les 15 jours soit de chaque interrogatoires ou auditions réalisés au cours de l’information, soit de la notification de l’avis de fin d’information, et ce, en vue de pouvoir ensuite adresser au magistrat des observations ou de formuler des demandes (article 175, III, C.pr.pén.).

Ce formalisme critiqué par un grand nombre de praticiens comme étant une exigence chronophage et superflue est abandonné par la loi étudiée, de sorte que les parties, dont la partie civile, n’auront plus à déclarer leur volonté d’exercer leurs droits. En définitive, le principe redevient donc l’exercice pour les parties des droits attachés à leur statut respectif dans le temps de l’information judiciaire. Les nouvelles dispositions de l’article 175 du Code de procédure pénale, issues de la loi du 20 novembre 2023, entreront également en vigueur à compter du 30 septembre prochain.

II. L’amélioration de l’indemnisation des victimes

  • Sur l’extension du champ de compétence de la CIVI à de nouvelles infractions

En parallèle de l’action civile de la partie civile envisagée par les articles 2 et suivants du Code de procédure pénale, la loi n° 83-1983 du 8 juillet 1983 a mis en place un système d’indemnisation des victimes d’infractions reposant sur la solidarité nationale et mis en œuvre par les Commission d’indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) près les tribunaux judiciaires. Ce système a la particularité d’associer le Fonds de Garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), ayant la charge de payer l’indemnisation allouée par la CIVI à la victime, le Fonds pouvant ensuite se retourner contre la personne condamnée afin de recouvrer les sommes avancées à la victime (706-9, dernier alinéa, 706-11 C.pr.pén.). Pour rappel, le champ de compétence de la CIVI est précisé par les articles 706-3 et 706-14 du Code de procédure pénale, qui ont connu une évolution notable à la faveur de la loi du 20 novembre 2023. Ainsi, depuis le 22 novembre 2023, entrent dans le champ de l’indemnisation par la CIVI ;

  • les préjudices subis à la suite de fait de violences intrafamiliales graves, à savoir des violences volontaires ou des violences habituelles, qu’elles soient commises sur un mineur ou par l’actuel ou un ancien conjoint, concubin de la victime ou encore l’actuel ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (706-3 2° C.pr.pén.) ;
  • sous condition de ressources pour la victime, les préjudices tirés de la commission des infractions de chantage, d’abus de faiblesse ou d’une atteinte de traitement automatisé de données (706-14 C.pr.pén.) ;
  • sous condition de ressource pour la victime, les préjudices liés au délit de violation de domicile sur le territoire national, et ce, pour toute personne qui se trouve, en raison de cette infraction et de l’absence d’indemnisation, dans une situation matérielle grave (article 706-14-3 C.pr.pén.).

Concrètement, à la suite de cette réforme, la CIVI devient compétente pour les violences conjugales et les violences sur mineur, et ce, sans considération particulière pour la durée d’I.T.T. retenue par le corps médical, mais également, sous condition de ressources, pour des faits liés à l’utilisation d’un rançongiciel ou encore pour ceux en lien avec une violation de domicile commise par des squatteurs.

  • Sur le report du point de délai de forclusion à la majorité de la victime mineure au moment des faits

Par ailleurs, la loi du 20 novembre 2023 a introduit le report du point de départ du délai de forclusion pour les mineurs. Ce délai de 3 ans à compter de la date de l’infraction ou d’un an à compter de la décision juridictionnelle ayant statué définitivement sur l’action publique ou civil engagée devant la juridiction répressive commence à courir à la majorité de la victime (706-5 alinéa 1er C. pr. pén).

En conclusion, la loi du 20 novembre 2023 offre de nouvelles garanties dans l’exercice des droits de la partie civile et tend à faciliter la saisine de la CIVI à d’autres catégories de victimes, qui, jusqu’à présent, ne pouvaient compter sur la solidarité nationale pour l’indemnisation de leurs préjudices.

Entre la « pantoufle » et la « botte » , il faut choisir : des précisions de la Cour de cassation sur le délit de pantouflage

Par un arrêt en date du 13 septembre 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé le champ d’application du délit réprimé par l’article 432-13 du Code pénal, dit délit de pantouflage, qui sanctionne en substance la prise illégale d’intérêts commise par un ancien agent public – fonctionnaire, titulaire de fonctions exécutives locales, agent d’établissements publics, de société d’économie mixte, etc. – au titre d’une participation dans une entreprise privée ou assimilée dont il avait la charge d’assurer le contrôle ou la surveillance, dans un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.

En l’espèce, une société avait porté plainte et s’était constituée partie civile pour des faits de prise illégale d’intérêts – dans leur forme issue de l’article 432-13 précité – imputés à un ancien membre de l’Autorité de la concurrence (anciennement Conseil de la concurrence) y ayant exercé des fonctions entre 1999 et 2012. Cette société lui reprochait en effet d’avoir, entre 2012 et 2015, pris une participation par travail, en prodiguant des conseils et recommandations en matière de droit de la concurrence à une entreprise dont il aurait assuré la surveillance ou le contrôle dans le cadre de ses fonctions au sein de l’Autorité de la concurrence. Saisi d’une demande de l’intéressé à cette fin, la chambre de l’instruction avait annulé sa mise en examen de ce chef au motif que l’article 432-13 du Code pénal ne visait pas, à la date des faits, les membres d’une autorité administrative indépendante.

Tout en confirmant cette décision d’annulation, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette ce moyen et saisi l’occasion de préciser les contours de cette infraction :

  • Sur l’auteur de l’infraction (le moyen retenu par l’arrêt déféré) : la Cour considère qu’en dépit de l’absence de mention de l’article 432-13 du Code pénal dans sa rédaction antérieure[1] à la loi du 20 janvier 2017[2], le délit de pantouflage pouvait être imputé aux membres d’une autorité administrative indépendante, cette fonction étant inclue dans la notion d’« agent d’une administration publique » ;[3]
  • Sur le pouvoir exercé par l’auteur dans le cadre de ses fonctions publiques: la Cour rappelle que l’auteur doit avoir exercé une surveillance effective de l’entreprise ou de l’opération concernée, le seul fait que l’agent « ait eu vocation à connaître ces éléments en raison de son statut » ne suffisant pas ;[4]
  • Sur le point de départ du délai de trois ans: la Cour tranche enfin et de manière explicite la question en retenant qu’il court, non pas à compter de la cessation des fonctions de l’auteur[5] mais de la « cessation de la surveillance ou du contrôle » que l’auteur a exercé lors de ses fonctions.

Cette précision est la bienvenue d’autant qu’elle s’inscrit dans la continuité de l’appréciation de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique qui considérait déjà que le délai de trois ans courrait « à partir du dernier acte de surveillance ou de contrôle, de la date de conclusion du dernier contrat, de la dernière décision adoptée ou, encore, du dernier avis formulé, chacun de ces actes correspondant à l’exercice effectif des fonctions »[6].

[1] Issue de la Loi n° 2007-148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique

[2] Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes

[3] §13, §21, §22

[4] §27

[5] §26

[6] Guide déontologique II, Contrôle et prévention des conflits d’intérêts, HATVP, publié le 1er février 2021, p.19

Contentieux d’urbanisme : Précision sur la présomption simple d’intérêt à agir du voisin immédiat.

Par une décision du 19 janvier 2024 (req. n° 469266), le Conseil d’État rappelle que le voisin immédiat d’un projet de construction ne dispose que d’une présomption simple d’intérêt à agir et précise que l’existence d’une procédure judiciaire portant sur la détermination d’une servitude de passage est dépourvue de tout lien avec la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction.

Par un arrêté en date du 21 juin 2018, le Maire de Nîmes (département du Gard) a délivré à la SARL Société de Développement Rural un permis de construire pour la réalisation d’une maison individuelle et d’un garage. Par un arrêt du 29 septembre 2022, la Cour administrative d’appel de Marseille a annulé, à la demande de M. et Mme A., le jugement du 3 décembre 2019 du Tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du Maire de Nîmes et ledit permis de construire.

Dans cette affaire, pour retenir l’intérêt à agir des requérants, la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré que M. et Mme A avaient fait état d’un litige portant sur la détermination d’une servitude de passage sur leur fonds au bénéfice du pétitionnaire et que la construction projetée était de nature à porter atteinte aux conditions de jouissance de leur propriété, notamment à leur vue et à leur tranquillité.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État a tout d’abord rappelé que, conformément aux dispositions de l’article L. 600-1-2 du Code de l’Urbanisme, un tiers (autre que l’État, une collectivité territoriale ou une association) ne dispose d’un intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme que si la construction, l’aménagement ou les travaux autorisés sont « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » du bien qu’il occupe ou détient.

À ce titre, il a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient au requérant de justifier son intérêt à agir « en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». Le voisin immédiat dispose, quant à lui, d’une présomption d’intérêt à agir dès lors qu’il « fait état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction » (voir en ce sens : CE 13 avril 2016, n° 389798). Cela étant rappelé, le Conseil d’État a, d’une part, eu l’occasion de rappeler que la présomption d’intérêt à agir du voisin immédiat ne le dispense pas de son obligation de faire état d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction, lesquels doivent ressortir de leurs écritures. À ce titre, il a considéré que la seule proximité du projet n’est pas suffisante.

D’autre part, le Conseil d’État a précisé que l’existence d’un litige judiciaire relatif à la « détermination d’une servitude de passage sur [le] fonds » des requérants est « sans lien avec la nature, l’importance ou la localisation du projet de construction ». Dans ces conditions, le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille et rejeté la requête de M. et Mme A pour défaut d’intérêt à agir contre le permis de construire litigieux.

L’étude d’impact ne doit pas nécessairement comporter une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées généré par un projet

La décision du Conseil d’Etat n° 468655 en date du 10 janvier 2024 apporte des précisions sur le contenu de l’étude d’impact des projets.

En l’espèce, la commune de Belle-Eglise dans l’Oise a approuvé une déclaration de projet de réalisation d’un parc d’activité logistique valant mise en compatibilité (MEC) de son plan local d’urbanisme (PLU) sur le fondement de l’article L. 300-6 du Code de l’urbanisme. Dans ce cadre, une étude d’impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements a été réalisée (article R. 122-1 à R. 122-14 du Code de l’environnement).

L’association pour l’aménagement de la Vallée de l’Esches a tenté d’en obtenir l’annulation de la délibération approuvant la déclaration de projet valant MEC devant le Tribunal administratif d’Amiens[1] puis devant la Cour administrative de Douai[2], sans succès. Elle a ensuite formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

L’association soutenait que l’étude d’impact devait quantifier, sous peine d’irrégularité, le volume d’eaux usées et évaluer si le réseau d’assainissement était suffisant pour le traiter, autrement dit devait comporter une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées généré par un projet.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les dispositions de l’article R. 122-5 du Code de l’environnement relatives au contenu de l’étude d’impact, répond de la manière suivante :

« 2. En premier lieu, il résulte de ces dispositions que le contenu de l’étude d’impact doit comprendre une description des facteurs mentionnés au III de l’article L. 122-1 du code de l’environnement, parmi lesquels figurent notamment la santé humaine et l’eau. L’étude d’impact doit également comprendre une description des incidences notables que le projet est susceptible d’avoir sur l’environnement, résultant notamment de l’émission de polluants, de la création de nuisances et de l’élimination et la valorisation des déchets. Si les caractéristiques particulières d’un projet peuvent rendre pertinente une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées généré par un projet au sein de l’étude d’impact, il ne résulte ni des dispositions de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, ni d’aucune autre disposition législative ou réglementaire qu’une telle évaluation serait au nombre des points obligatoirement traités par l’étude d’impact. Par suite, en écartant pour ce motif le moyen tiré de ce que l’étude d’impact était insuffisante faute d’avoir évalué le volume d’eaux usées généré par le projet et les capacités du réseau d’assainissement, la cour administrative d’appel de Douai n’a pas entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

Autrement dit, aucune loi ou règlement n’impose la réalisation d’une évaluation des capacités du réseau d’assainissement et du volume d’eaux usées qu’un projet est susceptible de générer. Toutefois, le Conseil d’Etat précise les « caractéristiques particulières » d’un projet peuvent rendre pertinente une telle évaluation.

Cependant, aucune définition des caractéristiques particulières du projet n’est donnée. L’appréhension de cette notion se fera donc au cas par cas, et les décisions à venir des juges du fond permettront peut-être d’affiner la notion au fur et à mesure qu’ils auront à appliquer cette solution.

En l’espèce, le Conseil d’Etat estime que la Cour n’a pas commis d’erreur de droit en estimant que cette évaluation n’était pas nécessaire pour ce projet de parc d’activité logistique de 41 hectares le long de la route départementale 1001, à proximité de l’autoroute A16, composé d’un pôle logistique comprenant trois entrepôts de grande taille pour une superficie de 31,8 hectares, d’un pôle destiné à l’implantation d’activités et de services pour une superficie de 5,2 hectares et un parc paysagé de 4 hectares comprenant notamment un parcours de santé et un lieu de culture maraichère. En tout état de cause, en l’espèce, l’étude d’impact avait quantifié le volume d’eaux usées à 100 m3 par jour.

Par ailleurs, l’association soutenait que l’arrêt de la Cour n’était pas suffisamment motivé sur l’insuffisance de l’étude d’impact.

Le Conseil d’Etat écarte ce moyen :

« 3. En deuxième lieu, pour écarter le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact, la cour administrative d’appel de Douai a principalement relevé, s’agissant du défaut d’analyse des impacts du projet sur les sols et l’artificialisation des terres, au regard de la vocation agricole du terrain d’assiette du projet, que l’étude préalable agricole traitait de manière suffisante, au regard du 5° du II de l’article R. 122-5 du code de l’environnement, des incidences du projet sur les terres agricoles, dès lors qu’elle présentait une analyse des conséquences du projet sur les exploitations et la filière agricole, que la surface du projet n’excèderait pas 2,7 % des terres agricoles des deux communes d’implantation, et que le terrain d’assiette du projet était déjà classé en zone à urbaniser ce qui ne permettait pas de le regarder comme un terrain agricole pérenne. La cour a également relevé qu’il ne ressortait d’aucune pièce du dossier que le terrain d’assiette du projet comprendrait une zone humide. Si la requérante avait également fait valoir que le contenu de l’étude d’impact était insuffisant en ce qui concerne les incidences du projet sur le climat et la qualité de l’air, notamment au regard des impacts de l’artificialisation projetée, la cour a jugé que ces allégations n’étaient pas de nature à établir une insuffisance de l’étude d’impact et qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier qu’à les supposer établies, ces insuffisances de données et de chiffrage auraient eu, dans les circonstances de l’espèce, pour effet de nuire à l’information complète de la population sur l’incidence du projet sur le trafic routier, les gaz à effet de serre, la qualité de l’air, le bilan carbone et le climat, ou auraient été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. En statuant ainsi, compte tenu de l’argumentation présentée devant elle et de l’avancement du projet, la cour, qui n’était pas tenue de répondre à tous les arguments soulevés par la requérante, a suffisamment motivé son arrêt ».

 

[1] TA Amiens, 23 février 2021, n°1903593

[2] CAA Douai, 17 mai 2022, n°s 21DAOA251, 21DA01505

Notification claire du décompte général au maître d’œuvre : point de départ du délai lui conférant un caractère définitif

TA Montpellier, 14 décembre 2023, n° 2205945

Les stipulations relatives à la notification du décompte général en matière de travaux figurent au sein de l’article 12.4.3 du CCAG Travaux de 2021 (anciennement article 13. 4.3 du CCAG Travaux de 2009), aux termes duquel :

« Dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle ce décompte général lui a été notifié, le titulaire envoie au maître d’ouvrage, avec copie au maître d’œuvre, ce décompte revêtu de sa signature, avec ou sans réserve, ou fait connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer. Si la signature du décompte général est donnée sans réserve par le titulaire, il devient le décompte général et définitif du marché. La date de sa notification au maître d’ouvrage constitue le départ du délai de paiement ».

Par un arrêt récent, le Conseil d’Etat a précisé que le décompte général n’est pas définitif si la date de notification de celui-ci ne ressort pas clairement des pièces du dossier car, dans une telle situation, la créance résultant de ce décompte ne présente pas un caractère certain.

Dans cette affaire, la commune de Saint-Thibéry a attribué un marché de construction d’une station d’épuration, en cotraitance, à la société Génie civil en bâtiment. Cette dernière a cédé à la société Banque Courtois les créances qu’elle détenait sur la commune. Par la suite, la société Banque Courtois a demandé au Tribunal administratif de Montpellier de condamner la commune à lui verser la somme de 197 336, 44 euros au titre des créances non honorées et, à titre subsidiaire, la somme de 75 611,99 euros correspondant au solde du décompte général définitif.

Le Tribunal administratif de Montpellier a fait droit aux conclusions subsidiaires de la société Banque Courtois. La Cour administrative d’appel de Toulouse a rejeté l’appel formé par la commune de Saint-Thibéry, qui s’est pourvue en cassation.

Les Juges suprêmes ont considéré que la seule circonstance que le décompte général aurait été notifié à la société Génie civil le 14 septembre 2011 alors qu’aucune pièce du dossier ne permettait de le démontrer de façon claire, ne suffit pas à considérer que le décompte général serait devenu définitif :

« Pour juger que le décompte général établi par le maître d’œuvre était devenu le décompte général et définitif du marché, la cour administrative d’appel s’est fondée sur la circonstance que ce décompte avait été notifié à la société Génie civil et bâtiment le 14 septembre 2011. En statuant ainsi, alors qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette notification serait intervenue à cette date et alors que la commune de Saint-Thibéry contestait le caractère définitif du décompte général et, par suite, le caractère certain de la créance de la société, la cour a dénaturé les pièces du dossier ».

En d’autres termes, le caractère définitif du décompte général d’un marché de travaux impose que la date de sa notification au titulaire du marché soit établie avec certitude. Cette exigence de clarté de la notification du décompte général retranscrit l’idée sous-jacente d’une créance ou d’une dette clairement définie.

Le Conseil d’Etat, par cet arrêt, martèle une nouvelle fois les points de vigilances et la rigueur à mettre en œuvre lors de l’établissement du décompte général pour qu’il puisse devenir définitif dans les marchés publics de travaux.

Dans le même sens, les juges du Tribunal administratif de Montpellier ont récemment considéré que le décompte général ne peut être définitif que s’il est démontré que le titulaire du marché de travaux a transmis clairement un projet de décompte final au maître d’œuvre. Dans cette autre espèce, ils ont considéré que le décompte général n’était pas définitif car « le document [dont il se prévaut constituerait un décompte général et définitif], n’est d’ailleurs ni daté, ni signé et dont il n’est pas démontré qu’il aurait été transmis préalablement au maître d’œuvre conformément aux dispositions précitées. […] Par suite, le requérant n’est pas fondé à demander le paiement ».

Notons alors que sans preuve d’une notification clairement établie du décompte général lui conférant un caractère définitif au maître d’œuvre (signature et date), le titulaire ne peut se prévaloir d’aucun droit à paiement de ses prestations puisqu’aucun délai de paiement n’a pu être déclenché au regard des dispositions de l’article 12.4.3 du CCAG Travaux de 2021 (anciennement article 13. 4.3 du CCAG Travaux de 2009).

Précisions sur le devoir de conseil du maître d’œuvre

Pour rappel, la réception d’un ouvrage, qui est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve, met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage ; par conséquent, le maître de l’ouvrage ne peut, postérieurement à la réception, invoquer à l’encontre des constructeurs de nouveaux désordres apparents causés à l’ouvrage ou des désordres causés aux tiers, sous réserve de la garantie de parfait achèvement.

En application de ce principe, le Conseil d’Etat a jugé que lorsque le maître d’œuvre a en charge la conception de l’ouvrage et est donc lui-même un constructeur, la réception de l’ouvrage fait obstacle à ce que sa responsabilité puisse être recherchée pour des fautes de conception qui n’auraient pas antérieurement fait l’objet de constats ou de réserves (CE, 2 décembre 2019, Guervilly, req. n° 423544).

Cependant, la responsabilité du maître d’œuvre peut-elle être recherchée postérieurement à la réception non pas au titre de sa mission de constructeur mais au titre de sa mission de conseil du maître d’ouvrage ?

C’est à cette question que répond, par l’affirmative, la décision OPH Domanys rendue le 22 décembre 2023.

Cette décision est intervenue à l’occasion d’un litige relatif à la réception d’un ensemble de quarante logements commandés par l’Office public de l’habitat (OPH) Domanys. Postérieurement à la décision de réception avec réserve des ouvrages, l’OPH a été mis en demeure par la direction départementale des territoires de l’Yonne de mettre les logements en conformité aux normes portant sur leur aération et leur accessibilité aux personnes handicapées. Ces non-conformités réglementaires n’avaient pas été signalées lors des opérations de réception et les travaux de reprise ont généré un surcoût pour l’OPH. Celui-ci a donc recherché la responsabilité du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil, afin de lui faire supporter ce surcoût.

En première instance, l’OPH avait obtenu gain de cause. Mais, le jugement rendu par le Tribunal administratif de Dijon le 2 juin 2020 a été annulé par la Cour administrative d’appel de Lyon qui, par son arrêt du 2 février 2023, a rejeté les conclusions de l’OPH. La Cour administrative d’appel a en effet jugé que les non-conformités réglementaires relevées par la direction départementale des territoires de l’Yonne n’auraient pas pu figurer au nombre des réserves assortissant la réception, dès lors qu’elles ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications des marchés de travaux. Et, en admettant que ces réserves relevassent d’erreurs de conception de l’ouvrage, leur signalement ne relevait pas, selon la Cour, de la mission d’assistance aux opérations de réception incombant au maître d’œuvre.

Saisi par l’OPH d’un pourvoi, le Conseil d’Etat prononce l’annulation de l’arrêt pour erreur de droit. Et, pour cause : la jurisprudence avait déjà précisé que le devoir de conseil du maître d’œuvre implique pour celui-ci de signaler au maître d’ouvrage l’entrée en vigueur, au cours de l’exécution des travaux, de toute nouvelle réglementation applicable à l’ouvrage, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage (CE, 10 décembre 2020, req. n° 432783).

Dès lors, la circonstance que les non-conformités réglementaires affectant ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications du marché ne pouvait avoir d’incidence sur les obligations pesant sur le maître d’œuvre en vertu de son devoir de conseil, contrairement à ce qu’a jugé la Cour administrative d’appel.

En outre, cette nouvelle décision nous apprend que la responsabilité du maître d’œuvre peut être engagée même lorsque les vices de construction non-signalés en phase de réception alors qu’ils étaient décelables par un maître d’œuvre normalement diligent résultent non pas d’une évolution de la réglementation en cours de chantier (comme cela avait été le cas pour l’affaire ayant fait l’objet de la décision précitée du 10 décembre 2020), mais d’une méconnaissance de ces normes dès l’origine, au stade de la conception de l’ouvrage.

Ainsi, le Conseil d’Etat pose un considérant de principe qui constitue tout l’apport de cette décision OPH Domanys et explique sa mention aux tables du Recueil Lebon :

« La responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur des désordres affectant l’ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l’ouvrage ou d’assortir la réception de réserves. Ce devoir de conseil implique que le maître d’œuvre signale au maître d’ouvrage toute non-conformité de l’ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l’art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’ouvrage ».

Cette solution vient significativement limiter la portée de la décision Guervilly de 2019 : même si la responsabilité du maître d’œuvre ne peut plus être engagée au titre de sa mission de constructeur pour des vices de conception postérieurement à la réception, elle peut toujours l’être au titre de son devoir de conseil.

En d’autres termes et pour reprendre la formule du rapporteur Nicolas Labrune dans ses conclusions : « les deux responsabilités du maître d’œuvre – comme constructeur et comme conseil du maître d’ouvrage – sont distinctes et se cumulent : le fait que la réception éteigne l’une doit, selon nous, demeurer sans incidence sur l’autre ».

Faisant application de cette solution ainsi dégagée au cas d’espèce, le Conseil d’Etat juge que l’OPH Domanys était bien fondé à soutenir que le devoir de conseil de son maître d’œuvre impliquait que ce dernier lui signalât, lors des opérations de réception, toute non-conformité de l’ouvrage aux normes applicables, notamment aux prescriptions techniques en matière de construction relatives à l’aération des logements et à leur accessibilité aux personnes handicapées, afin qu’il puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à leur mise en conformité. Il renvoie ainsi l’affaire au fond.

La responsabilité des communes en matière de marnières

Dans une question écrite auprès du Ministre de l’Intérieur et des outre-mer et du Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des collectivités territoriales et de la ruralité du 20 octobre 2022, la question de la responsabilité des communes en matière de marnières qui se situeraient sous une voirie transférée à l’intercommunalité a été posée.

On précisera qu’une marnière est une cavité qui a été creusée pour extraire de la craie.

Pour rappel, comme le prévoit l’article L. 1321-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) le transfert de la compétence voirie relève du régime de la mise à disposition des biens meubles et immeubles nécessaires à l’exercice de la compétence. Toutefois, même en cas de transfert de la compétence voirie à l’intercommunalité, la commune reste propriétaire de la voirie. A cet effet, la commune propriétaire est donc responsable de la cavité en vertu de l’article 552 du Code civil : « La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ».

Ainsi, en tant que propriétaires, les communes doivent entretenir les sous-sols et supporter les dépenses d’identification et de comblement d’une marnière située sous la voie transférée à l’intercommunalité. Ces travaux sont onéreux car ils peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros, voire plusieurs centaines selon le volume de la cavité.

Le député souhaitait donc savoir si une modification du cadre légal pourrait permettre une prise en charge des travaux par l’intercommunalité pour les marnières situées sous les voiries relevant de la compétence des intercommunalités, ou de rendre éligibles les dépenses d’identification et de comblement de ces marnières au fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM, dit « fonds Barnier »).

Dans sa réponse du 26 octobre 2023, le Ministre a indiqué que le Gouvernement n’envisageait pas de modifier le cadre légal actuel.

Pour justifier cela, il a déjà rappelé que les cavités présentes sous les voies communales mises à disposition des intercommunalités relèvent du domaine privé de la commune. En effet, le sous-sol ne relève du domaine public que s’il fait l’objet d’aménagements indispensables à l’exécution d’un service public (article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques – CG3P) ou s’il en constitue un accessoire indissociable (article L. 2111-2 du même code).

De plus, il a ensuite été confirmé que le fonds Barnier ne peut pas être mobilisé lorsque les cavités menacent uniquement une infrastructure de transport de sorte que sa mobilisation n’est donc pas possible pour la réalisation d’études de reconnaissance ou des travaux de protection des voiries.

Cependant, le Ministre a précisé qu’il existait plusieurs autres dispositifs de soutien financier pour assurer l’entretien des marnières :

  • Les communes peuvent faire appel à la solidarité intercommunale en application de l’article L. 115-3 du Code de la voirie qui prévoit que lorsque des travaux sur le domaine d’une commune sont nécessaires pour la conservation ou la sécurisation d’une voie, la commune peut en confier la maîtrise d’ouvrage, par convention, au gestionnaire de la voie, et donc à l’intercommunalité. Cette convention précise les conditions dans lesquelles la maîtrise d’ouvrage est exercée et en fixe le terme. La maîtrise d’ouvrage est exercée à titre gratuit. ;
  • En vertu de l’article L. 125-1 du Code des assurances, les marnières bénéficient d’un niveau de prise en charge élevé pour la protection des biens couverts par un contrat d’assurance. Ainsi, si le fonds Barnier ne peut pas être mobilisé lorsque les cavités menacent uniquement une infrastructure de transport, peut en revanche être mobilisé par la collectivité concernée pour la mise en œuvre des mesures nécessaires, d’une part, pour évaluer le risque d’instabilité, d’affaissement et d’effondrement de cavités souterraines, en particulier au regard de la menace pour la vie des personnes, et d’autre part, pour réduire voire supprimer ce risque. Les opérations de reconnaissance et les travaux menés sous la maîtrise d’ouvrage d’une collectivité visant à leur comblement, y compris sous une voirie lorsque cela est rendu nécessaire pour la protection d’un bien assuré, peuvent intervenir même en l’absence de plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) sur la commune, ce qui n’est pas le cas des autres risques naturels ;
  • Les communes peuvent également solliciter des subventions au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), sous réserve des catégories d’opérations prioritaires fixées par la commission d’élus, et de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL).

Reprise des personnels exerçant une activité accessoire en cas de substitution d’une communauté d’agglomération à un syndicat mixte

Pour rappel, l’article L. 5216-6 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que la communauté d’agglomération est substituée de plein droit au syndicat de communes ou au syndicat mixte dont le périmètre est identique au sien pour la totalité des compétences qu’il exerce. La communauté d’agglomération est également substituée de plein droit, pour les compétences qu’elle exerce, au syndicat de communes ou au syndicat mixte inclus en totalité dans son périmètre.

L’article L. 5216-6 du CGCT précise, par ailleurs, que cette substitution s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 5211-41 du même Code.

Or le deuxième alinéa de l’article L. 5211-41 du CGCT dispose que « l’ensemble des biens, droits et obligations de l’établissement public de coopération intercommunale transformé sont transférés au nouvel établissement public qui est substitué de plein droit à l’ancien établissement dans toutes les délibérations et tous les actes de ce dernier à la date de l’acte duquel la transformation est issue. L’ensemble des personnels de l’établissement transformé est réputé relever du nouvel établissement dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les siennes ».

Le Conseil d’Etat en déduit qu’en cas de substitution d’une communauté d’agglomération à un syndicat mixte, l’ensemble des personnels du syndicat mixte est réputé relever de la communauté d’agglomération dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les siennes, ce qui concerne également les personnels exerçant une activité accessoire.

En effet, il considère que le législateur, qui a entendu éviter les effets de discontinuité en cas de substitution d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à un syndicat mixte, n’a assorti les dispositions prévoyant que l’ensemble des personnels de l’établissement transformé est réputé relever du nouvel établissement dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les siennes d’aucune restriction quant à leur champ d’application de sorte que les personnels exerçant une activité accessoire n’ont pas à être exclu de ce dispositif.

Dans cette affaire, il s’agissait d’un directeur général des services d’une commune recruté par le syndicat mixte pour exercer, sans limitation de durée, une mission d’expertise et de conseil dans le domaine de la gestion administrative et financière d’une durée hebdomadaire de 5 heures dans le cadre d’une activité accessoire autorisée par son employeur principal.

Le Conseil d’Etat a, ainsi, jugé que la Cour administrative d’appel de Versailles en jugeant que le directeur général des services n’était pas un personnel de la communauté d’agglomération au sens du deuxième alinéa de l’article L. 5211-41 du CGCT, alors qu’il exerçait une activité accessoire pour le compte du syndicat mixte à la date à laquelle la communauté d’agglomération s’est substituée, a commis une erreur de droit.

Il a également estimé que la Cour administrative d’appel de Versailles, en jugeant que cet agent devrait être regardé, à compter de cette date, comme employé sur la base d’un contrat à durée déterminée, au seul motif qu’un tel contrat avait été préparé par la communauté d’agglomération et que, si ce contrat n’avait pas été signé par l’intéressé, les modifications de rémunération et de quotité de travail qu’il emportait ne pouvaient lui avoir échappé eu égard aux mentions figurant sur les bulletins de salaire qu’il avait reçus, avait commis une erreur de droit.

Compétence du Président d’un Conseil de territoire pour répartir les crédits de la dotation d’investissement

Pour rappel, la Métropole d’Aix-Marseille Provence est un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) issu de la fusion de six intercommunalités préexistantes, dont le périmètre a néanmoins perduré à travers les six « territoires » institués au sein de la Métropole (cf. décret n° 2015-1520 du 23 novembre 2015 portant fixation des limites des territoires de la métropole d’Aix-Marseille Provence). On précisera immédiatement que cette organisation a été largement modifiée par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, qui est venue amender le régime juridique de la Métropole en supprimant les dispositions portant sur les territoires (cf. article 181 de cette loi). Les conseils de territoire étaient composés de conseillers de la Métropole des communes de son périmètre et étaient présidés par un président élu par le conseil. Les compétences de ces conseils de territoire étaient financées par une dotation de gestion.

Cette dotation de gestion comprenait une dotation de fonctionnement et une dotation d’investissement. Les sommes destinées respectivement aux dotations de fonctionnement et aux dotations d’investissement étaient calculées et réparties entre les conseils de territoire en application de critères déterminés par le Conseil de la Métropole, tenant compte des caractéristiques propres de chaque territoire, notamment la population et les attributions exercées. C’est dans ces conditions qu’un des six territoires s’est vu attribuer une dotation de gestion et que son président a procédé à la répartition des deniers métropolitains entre les communes du territoire.

Toutefois, cette répartition a été contestée par une des communes composant le territoire. Si par un jugement n° 1706788 en date du 3 mars 2020, le Tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de la commune, la Cour administrative d’appel de Marseille a, quant à elle, fait droit à sa demande en jugeant que si le président du conseil de territoire était compétent pour engager, liquider et ordonnancer les dépenses inscrites à l’état spécial, il ne disposait, en revanche, d’aucune compétence pour définir des critères de répartition par communes des crédits votées.

Saisi de cette affaire, le Conseil d’Etat a, quant à lui, jugé que le président du Conseil de Territoire était compétent, en sa qualité d’ordonnateur, pour répartir les crédits mis à sa disposition dans la limite prévue par les dispositions de l’article L. 5218-8-5 du CGCT.

Pour rappel, l’article L. 5218-8-5 du CGCT disposait, dans sa rédaction alors applicable, que :

« Le président du conseil de territoire engage, liquide et ordonnance les dépenses inscrites à l’état spécial lorsque celui-ci est devenu exécutoire. […]. Si l’assemblée délibérante décide de voter l’état spécial par article, le président du conseil de territoire peut effectuer des virements d’article à article à l’intérieur du même chapitre dans la limite du cinquième de la dotation initiale du chapitre de l’état spécial. Au-delà, le virement fait l’objet d’une décision conjointe du président du conseil de la métropole et du président du conseil de territoire ».

Le Conseil d’Etat a, ainsi, considéré que la Cour administrative d’appel de Marseille, en jugeant que le président du conseil de territoire n’était pas compétent pour définir des critères de répartition des crédits de la dotation d’investissement entre les communes du territoire, sans rechercher si les modifications décidées par le président du conseil de territoire excédaient cette limite posée par l’article L. 5218-8-5 du CGCT, à savoir l’impossibilité pour le président du territoire de procéder à des virements d’article à article au sein d’un même chapitre au-delà du cinquième de la dotation initiale du chapitre dans le cas où l’état spécial est voté par article, avait commis une erreur de droit.

Le Conseil d’Etat a, par ailleurs, renvoyé le dossier à la Cour administrative d’appel de Marseille.

La compétence des intercommunalités en matière de règlementation du changement d’usage (Airbnb) est-elle suffisante ?

Pour faire face aux difficultés engendrées par la multiplication des locations de meublés de tourisme pour de courtes durées, plusieurs mécanismes ont été complétés, adaptés ou instaurés par la loi n° 2014-366 en date du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, aux articles L. 631-7 et suivants du Code de la construction et de l’habitation (CCH), afin précisément d’encadrer et de réguler les transformations de locaux destinés au logement en location de meublés de tourisme.

Ces dispositifs permettent de soumettre à autorisation le changement d’usage d’un local destiné à l’habitation et incluent notamment :

  • Un dispositif d’autorisation préalable de changement d’usage des locaux destinés à l’habitation, défini à l’article L. 631-7-1 du CCH, permet notamment de soumettre le changement d’usage à une obligation de compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. Cela consiste donc à transformer un local ayant un usage autre que l’habitation, commercial par exemple, en local d’habitation pour compenser le changement d’usage d’un local d’habitation en meublé de tourisme ;
  • Un dispositif d’autorisation temporaire de changement d’usage, permettant à une personne physique de louer pour de courtes durées des locaux destinés à l’habitation à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile, défini à l’article L. 631-7-1 A du CCH.

L’autorisation de changement d’usage vise à protéger les propriétaires et les locataires, et à répondre à la dégradation des conditions d’accès au logement et à l’exacerbation des tensions sur le marché immobilier notamment en régulant ses dysfonctionnements. Ceci doit permettre l’accroissement de l’offre de logements dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires, dans la mesure où le logement est un bien de première nécessité, que le droit à un logement décent constitue un objectif protégé par la Constitution française et que l’objectif poursuivi par l’instauration d’une autorisation de changement d’usage constitue une raison impérieuse d’intérêt général au sens du droit de l’Union européenne (CJUE, 22 septembre 2020, Cali Apartments SCI, n° C‑724/18, §65-66).

Les communes et certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre se partagent la mise en place de cette règlementation de sorte qu’il s’agira d’analyser la répartition des interventions entre les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les communes (I) avant de s’interroger sur les limites de cette répartition et des solutions pour y remédier (II).

I. Sur la répartition des interventions en matière de changement d’usage

La répartition des rôles entre communes et EPCI sera présentée pour la mise en œuvre de la règlementation du changement d’usage (A), pour l’instruction des demandes d’autorisation (B) ainsi que pour la mise en œuvre des contrôles et sanctions (C).

A. Sur la compétence pour mettre en œuvre cette règlementation

Conformément aux dispositions de l’article L. 631-9 du CCH, l’instauration d’un régime d’autorisation des changements d’usage est décidée par :

  • délibération de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière de plan local d’urbanisme pour les communes visées par l’article 232, I du Code général des impôts qui renvoie lui-même au décret n° 2023-822 du 25 août 2023 modifiant le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d’application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l’article 232 du Code général des impôts ;
  • arrêté du préfet sur proposition du maire pour les autres communes ou parties de communes.

Il appartient ensuite à l’organe délibérant de l’EPCI compétent en matière de plan local d’urbanisme, ou au conseil municipal le cas échéant, de fixer les conditions dans lesquelles seront délivrées ces autorisations, en application des articles L. 631-7-1 A et L. 631-7-1 du CCH.

A ce stade on précisera que le législateur n’a pas justifié l’intervention des EPCI compétents en matière de plan local d’urbanisme (PLU) pour réglementer les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage. On peut néanmoins valablement considérer que la personne publique titulaire de la compétence PLU est la plus compétente pour exercer cette mission en tant qu’elle connait parfaitement le territoire et que cela permet une application uniforme des règles en matière de changement d’usage à l’ensemble des communes membres de l’EPCI.

Cette mission se traduit par l’adoption d’un règlement des autorisations de changement d’usage sur le périmètre des collectivités concernées qui fixe les conditions de délivrance des autorisations.

Ces règlements de changement d’usage font l’objet d’une « guerrila juridique et contentieuse » selon le rapport n° 1928 fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi n° 1176 visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue élaboré par Monsieur Inaki Echaniz et Madame Annaïg Le Meur.

Ce même rapport identifie d’ailleurs les règles les plus fréquemment introduites dans les règlements de changement d’usage :

  • « à condition de ne pas dépasser 120 jours de location cumulée par année civile, le loueur est uniquement soumis à une obligation de déclaration électronique du logement afin d’obtenir un numéro d’enregistrement, qui doit apparaitre dans les annonces publiées ;
  • au-delà de cette limite, il ne s’agit plus d’une activité occasionnelle de location du logement pendant l’absence du résident : la règlementation relative aux résidences secondaires s’applique. Outre la déclaration d’enregistrement du meublé, il est dès lors nécessaire de solliciter une autorisation de changement d’usage auprès de la mairie ;
  • s’il s’agit du premier logement mis à la location meublée touristique, une autorisation temporaire de changement d’usage d’une durée d’un an, renouvelable cinq fois, peut être accordée par propriétaire. Cette autorisation est limitée à une résidence par foyer fiscal et est personnelle, donc incessible ;
  • si la période de location s’étend au-delà de la cinquième année, le propriétaire est alors soumis à changement d’usage définitif, et donc à une obligation de compensation ;
  • une compensation est également obligatoire dès la deuxième logement mis à la location meublée touristique pour un même loueur, ce qui obligera celui-ci à transformer en logements de surface équivalente des locaux non habitables, le plus souvent des commerces ou bureaux, de surface équivalente».

A toutes fins utiles, on précisera que la Cour administrative de Bordeaux s’est d’ailleurs prononcée sur les critères de la compensation dans un arrêt récent (CAA Bordeaux, 30 janvier 2024, Association des hôtes de Bordeaux Nouvelle-Aquitaine, n° 21BX04629).

B. Sur la compétence pour instruire les demandes et délivrer les autorisations

Une fois le régime de l’autorisation du changement d’usage mis en place, il est prévu que « l’autorisation préalable au changement d’usage est délivrée par le maire de la commune dans laquelle est situé l’immeuble, après avis, à Paris, Marseille et Lyon, du maire d’arrondissement concerné » (article L. 631-7-1). Le changement d’usage doit donc faire l’objet d’une autorisation du maire (de même pour les autorisations temporaires de l’article L. 631-7-1 A du CCH).

Aussi, on relèvera qu’en principe l’instruction d’une autorisation qu’il est habilité à délivrer relève des pouvoirs propres du maire (CE, 30 juillet 1997, Association Orcet environnement, n° 136958). Ainsi, il revient en principe au maire d’instruire la demande d’autorisation.

C. Sur le contrôle et la sanction des manquements

Plusieurs sanctions sont définies par le juge en cas de manquement aux exigences de la règlementation applicable au changement d’usage et sont définies à l’article L. 651-2 du CCH.

L’article L. 651-3 du CCH prévoit également des sanctions en matière pénale.

Ainsi, la commune sur le territoire de laquelle est situé le bien utilisé en méconnaissance de la règlementation sur le changement d’usage est l’autorité compétente pour assigner le contrevenant devant les juridictions judiciaires, qui pourront le condamner au versement d’une amende civile dont le montant est versé à la commune.

S’agissant des modalités de contrôle, on précisera dès à présent qu’aucune disposition de la section des articles L. 631-7 et suivants ne prévoient des modalités de contrôle.

Toutefois, sur le fondement de l’article L. 651-6 du CCH, qui s’inscrit dans un chapitre consacré de manière générale aux sanctions sur plusieurs dispositifs de protection du logement, il est prévu que les agents du service municipal du logement se voient reconnaitre, lorsqu’ils sont assermentés, une habilitation « à visiter les locaux à usage d’habitation situés dans le territoire relevant du service municipal du logement ». La procédure d’assermentation est également définie et les agents doivent donc être nommés par le maire, puis prêter serment devant le Tribunal judiciaire pour être considérés comme assermentés. Ils ne pourront toutefois visiter que les locaux situés dans le territoire relevant du service du logement, et donc de la commune pour le service municipal.

Si l’article L. 621-1 du CCH prévoit que « plusieurs communes peuvent s’associer pour demander l’institution à titre temporaire d’un service intercommunal du logement ». et ainsi, créée un service intercommunal du logement, il ressort toutefois de ce texte que la possibilité de création d’un service intercommunal ne correspond pas à un service d’un EPCI mais à l’association de plusieurs communes.

Partant, le contrôle du respect de la règlementation sur le changement d’usage dépendrait du service municipal du logement, rattachés donc à la commune et dont les agents assermentés sont nommés par le maire.

Par ailleurs, on mentionnera que, dans le but de faciliter les contrôles opérés par les communes, le Code du tourisme prévoit également un dispositif de déclaration des locations de meublés de tourisme. L’article L. 324-1-1 de ce Code prévoit en effet que toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé. En outre, les communes où la règlementation sur le changement d’usage a été introduite peuvent instaurer un dispositif d’enregistrement. Des mécanismes d’information auprès des plateformes et de sanction des contrevenants sont ainsi prévus.

A cela on ajoutera que ces mêmes agents disposent également de prérogatives pour le contrôle des manquements aux obligations de déclaration et d’enregistrement définies par le Code du tourisme (article L. 324-2-1, IV de ce Code tourisme)

En outre, les prérogatives de contrôle du respect de la règlementation du changement d’usage sont ainsi exercées par ce service dont les agents sont assermentés par le maire. Et c’est la commune qui peut assigner les contrevenants aux obligations découlant de cette règlementation. A ce stade, aucun rôle n’est donc a priori confié par les textes à l’EPCI ayant adopté le règlement sur le changement d’usage.

II. Identification des limites de cette répartition et des solutions pour y remédiées

On l’a vu, l’instruction et le contrôle des autorisations de changement d’usage sont confiées par les textes à l’échelon communal.

Or, dans le cadre de la mise en œuvre des opérations d’instruction et de contrôle du respect de la règlementation des locations de meublés pour de courtes durées applicable sur leur territoire, certains EPCI, compétents en matière de PLU, souhaiteraient procéder eux-mêmes à l’instruction et au contrôle de la réglementation qu’ils ont eux-mêmes élaborés.

Leurs objectifs sont entendables, il s’agirait d’assurer une application uniforme des règlements de changement d’usage sur leurs territoires et éventuellement pallier le manque de moyens de certaines communes en la matière.

Si l’on peut envisager de mettre en œuvre des outils de mutualisation entre les communes et les ECPI compétent en matière de PLU, au moins sur la question de l’instruction, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit pas d’une solution pérenne dès lors ces outils reposent essentiellement sur la volonté des acteurs concernés.

La proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue qui est actuellement en cours de discussion devant le parlement prévoit que de nouvelles prérogatives soient attribuées aux EPCI en matière de règlementation du changement d’usage sans pour autant proposer que l’instruction et le contrôle de la réglementation en matière de changement d’usage relèvent exclusivement de l’EPCI compétent en matière de PLU.

Plus exactement, à l’heure où nous écrivons ces lignes, les propositions de modifications suivantes sont en cours d’analyse par le Sénat :

  • L’article L 651-2 du CCH permettrait à l’autorité organisatrice de l’habitat ou l’EPCI compétent en matière d’urbanisme d’assigner en justice la personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 précité, à des fins d’application de l’amende administrative :

« Toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 € par local irrégulièrement transformé.

Cette amende est prononcée par le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, sur assignation de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé, de l’autorité organisatrice de l’habitat, de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme ou de l’Agence nationale de l’habitat. Le produit de l’amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal judiciaire compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local. […]. »

  • Introduction d’un nouvel article L. 151-14-1 au sein du Code de l’urbanisme qui donne la faculté à l’autorité compétente en matière de PLU d’instituer, dans le règlement de ce document, des secteurs où les constructions nouvelles à destination d’habitations soumises à une obligation d’usage au titre de résidence principale. Cette capacité ne sera ouverte qu’aux seules collectivités qui connaissent un taux de résidences secondaires supérieur à 20 % :

« Le règlement [du PLU] peut délimiter, dans les zones urbaines ou à urbaniser, des secteurs dans lesquels toutes les constructions nouvelles de logements sont à usage exclusif de résidence principale, au sens de l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n 86-1290 du 23 décembre 1986 ».

On précisera néanmoins que pour le contrôle de cette mesure, le législateur a introduit un nouvel article (article L.481-4 du Code de l’urbanisme) en application duquel « en cas d’occupation d’un logement en méconnaissance de l’obligation prévue à l’article L. 151-14-1, constatée par l’agent d’une collectivité publique commissionné par le maire en application de l’article L. 480-1, le maire, après avoir invité l’intéressé à présenter ses observations, met en demeure le propriétaire du logement de régulariser la situation ».

Dans ces conditions, la question se pose de créer une compétence relative au marché locatif en zone tendue qui pourrait le cas échéant être transférée aux EPCI compétents en matière de PLU et qui pourrait être accompagnée du transfert des pouvoirs de police comme c’est le cas pour d’autres compétences (article L. 5211-9-2 du Code général des collectivités territoriales).

Raccordement au réseau de distribution d’électricité : réponse étonnante du Ministre sur les modifications à venir du Code de l’urbanisme

Une question au Gouvernement a permis au Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé du logement, de tenter d’apporter des précisions sur les modifications à venir du Code de l’urbanisme pour le mettre en cohérence avec les modifications du Code de l’énergie relative aux raccordements aux réseaux d’électricité. Les modifications du Code de l’énergie relatives au raccordement aux réseaux d’électricité ont été apportées par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (article 29) et par l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité. A titre liminaire, il convient d’opérer une distinction entre raccordement au réseau de distribution, extension du réseau de distribution et branchement au réseau. Ces opérations sont définies comme suit par le Code de l’énergie :

  • Le raccordement comprend « selon le cas, de manière combinée ou séparée, la création d’ouvrages d’extension, la création d’ouvrages de branchement en basse tension ou le renforcement des réseaux existants» (article L. 342-1 du Code de l’énergie) ;
  • L’extension est « constituée des ouvrages, nouvellement créés ou créés en remplacement d’ouvrages existants dans le domaine de tension de raccordement et nouvellement créés dans le domaine de tension supérieur qui, à leur création, concourent à l’alimentation des installations du demandeur ou à l’évacuation de l’électricité produite par celles-ci» (article D. 342-2 du Code de l’énergie) ;
  • Le branchement est « constitué des ouvrages basse tension situés à l’amont des bornes de sortie du disjoncteur ou, à défaut, de tout appareil de coupure équipant le point de raccordement d’un utilisateur au réseau public et à l’aval du point du réseau basse tension électriquement le plus proche permettant techniquement de desservir d’autres utilisateurs, matérialisé par un accessoire de dérivation» (article D. 342-1 du Code de l’énergie).

Dès lors, le raccordement est composé, en général, de l’extension du réseau et du branchement du demandeur au réseau.

Pour rappel, les modalités de répartition du coût d’extension du réseau public de distribution d’électricité sont partagées entre le Code de l’urbanisme et le Code de l’énergie. Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi APER précitée, ces dispositions organisaient la répartition du coût de l’extension, comme suit :

  • Le demandeur du raccordement était débiteur du coût de l’extension pour la partie située sur le terrain d’assiette de l’opération (article L. 332-15 du Code de l’urbanisme) ;
  • La collectivité ayant accordé l’autorisation d’urbanisme était débitrice du coût de l’extension située en dehors du terrain d’assiette de l’opération (article L. 342-11 ancien du Code de l’énergie).

Par ailleurs, par exception aux dispositions précitées, aux termes du quatrième alinéa de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme, lorsque le raccordement emprunte en toute ou partie des voies ou emprises publiques, qu’il est destiné à desservir uniquement l’installation du demandeur et qu’il n’excède pas cent mètres, il peut être à la charge du demandeur. Dans un tel cas, le demandeur, qui doit donner son accord, sera alors débiteur du raccordement dans son ensemble, c’est-à-dire du branchement et de l’extension du réseau.

A contrario, lorsque le raccordement excède cent mètres et qu’il ne respecte pas les critères mentionnés au paragraphe précédent, il sera à la charge de la collectivité, dans les limites rappelées ci-dessus. Le Ministre était interrogé sur l’obligation faite à certaines petites communes de prendre en charge les coûts de raccordement de plus de cent mètres. Sa réponse est toutefois incomplète.

En premier lieu, le Ministre rappelle les modifications apportées par la loi d’accélération des énergies renouvelables relatives à l’extension des réseaux de distribution d’électricité, quand la question qui lui était posée portait sur le raccordement dans son ensemble. L’article 29 de la loi APER a supprimé le deuxième alinéa du 1° de l’article L. 342-11 du Code de l’énergie, dans sa version alors applicable. Cet alinéa mettait à la charge de la collectivité ayant accordé l’autorisation d’urbanisme à l’origine de la demande de raccordement la part de l’extension du réseau de distribution située en dehors du terrain d’assiette de l’opération. L’ordonnance du 23 août 2023 relative au raccordement a modifié le Code de l’énergie pour prévoir que le demandeur du raccordement est le débiteur du coût de l’extension. Malgré une lacune temporelle observée dans notre lettre d’actualité juridique de septembre 2023 (consultable ici), les dispositions du Code de l’énergie sont désormais cohérentes entre elles, mais restent en contradiction avec celles du Code de l’urbanisme.

En second lieu, ainsi que le relève le Ministre, l’article 26 de la loi APER donnait habilitation au Gouvernement pour modifier les dispositions relatives au raccordement prévues par le Code de l’énergie. Elle ne lui donnait pas de pouvoir de modifier le Code de l’urbanisme. Ainsi, les dispositions du Code de l’énergie sont toujours en contradiction avec celles prévues par l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme, d’une part avec son troisième alinéa relatif à l’extension du réseau et d’autre part, avec son quatrième alinéa, relatif au raccordement. Toutefois, en dépit de la contradiction, il conviendra de faire application de la loi nouvelle, soit des nouvelles dispositions du Code de l’énergie.

En troisième lieu, le Ministre indique que la modification du Code de l’urbanisme est en cours d’élaboration. Il est étonnant que le Ministre n’ait pas cité le projet de loi de ratification de l’ordonnance raccordement qui prévoit en son article 2 la mise en cohérence du Code de l’urbanisme, et dont il convient de faire mention. Ce projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité et modifiant le code de l’urbanisme, prévoit notamment de modifier l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme, source de contradiction avec le code de l’énergie, en :

  • Supprimant le troisième alinéa limitant la prise en charge de l’extension par le demandeur à la partie de l’extension située sur le terrain d’assiette de l’opération ;
  • Supprimant au quatrième alinéa les références au réseau d’électricité.

Si ce projet de loi est voté en l’état, les demandes du député à l’origine de la question objet du présent commentaire seront résolues : les communes n’auront définitivement plus à verser de contribution pour les raccordements des tiers au réseau public de distribution d’électricité. Le nouvel article L. 342-21 du Code de l’énergie, aux termes duquel « le demandeur est le débiteur du raccordement », pourra s’appliquer sans contradiction. Espérons que ce projet de loi sera mis incessamment à l’ordre du jour de l’une des chambres du Parlement pour mettre fin à ces incohérences, qui pour rappel n’auront pas nécessairement un impact sur l’application des nouvelles dispositions du Code de l’énergie du fait de la primauté de la loi nouvelle sur la loi ancienne.

En quatrième lieu, dans l’attente de cette modification des dispositions du Code de l’urbanisme relatives au raccordement aux réseaux d’électricité, le ministre encourage les autorités compétentes à ne plus prendre en compte le critère des cent mètres ci-avant énoncé. La réponse du ministre dispose :

« En attendant une modification législative du Code de l’urbanisme dont l’élaboration est en cours, le critère des 100 mètres prévu à l’alinéa 4 de l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme n’est plus à prendre en compte, dans le cadre de l’instruction d’une autorisation d’urbanisme, pour déterminer la personne qui doit assurer le financement de l’extension du réseau électrique en dehors du terrain d’assiette du projet ».

Ainsi, le Ministre incite à faire application d’une loi qui n’a pas été votée par le Parlement : proposition pragmatique mais illégale.

En cinquième et dernier lieu, le Ministre indique que « s’agissant de la situation de la commune de Montussan, le devis étant antérieur à la date du 10 septembre, la commune aurait en effet dû s’acquitter de l’opération en cas de délivrance du permis ». Or, c’est l’autorisation d’urbanisme et non le devis de raccordement qui détermine les débiteurs du raccordement (délibération de la Commission de régulation de l’énergie n° 2023-300 du 22 septembre 2023 ; article 3 du projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité et modifiant le code de l’urbanisme). Il reste à espérer que la nouvelle composition du Gouvernement et l’exercice des compétences relatives à l’énergie par Bercy remettent la lumière à tous les étages.

Contrats d’obligation d’achat d’électricité : modification et parution de plusieurs arrêtés tarifaires

Plusieurs arrêtés tarifaires ont été publiés aux journaux officiels de décembre et janvier. Ces arrêtés déterminent les modalités d’acquisition de l’électricité produite par les installations de production d’électricité éligibles aux contrats d’obligation d’achat.

Aux termes du Code de l’énergie, les producteurs d’électricité peuvent bénéficier de contrats de soutien conclus avec l’Etat lorsqu’ils remplissent les conditions fixées par ledit Code (article D. 314-15 du Code de l’énergie notamment). Ces conditions sont précisées par des arrêtés spécifiques à chaque type de production, dits arrêtés de filière ou arrêtés tarifaires.

Par trois arrêtés, le Ministre en charge de l’énergie a modifié les arrêtés tarifaires applicables :

  • Aux installations de production d’électricité implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts ;
  • Aux installations de production d’électricité implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts et situées dans les zones non interconnectées ;
  • Aux installations de production d’électricité utilisant à titre principal le biogaz produit par méthanisation de déchets non dangereux et de matière végétale brute implantées sur le territoire métropolitain continental d’une puissance installée strictement inférieure à 500 kW.

Sur l’arrêté du 22 décembre 2023 modifiant l’arrêté du 6 octobre 2021 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts telles que visées au 3° de l’article D. 314-15 du code de l’énergie et situées en métropole continentale

L’arrêté en date du 6 octobre 2021, dit arrêté tarifaire S21, fixe les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations photovoltaïques implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kW.

L’arrêté tarifaire S21 a été modifié par l’arrêté du 22 décembre 2023. On retiendra notamment les modifications suivantes :

  • Refonte du mécanisme de dégressivité tarifaire détaillé au sein de l’annexe 1 de l’arrêté tarifaire S21 ;
  • Modification de la méthode de calcul du bilan carbone des installations. Pour les installations dont la demande de raccordement a été déposée jusqu’au 31 mars, il conviendra de se référer aux annexes 6 et 6 bis. Pour les installations dont la demande de raccordement a été déposée postérieurement, il conviendra de se référer aux annexes 6 ter et 6 quater ;
  • Précisions sur les pièces à fournir par le producteur lors de la demande de raccordement, de contrat d’achat et en amont de la prise d’effet du contrat ;
  • Clarification sur l’application de la formule de calcul de la puissance (dite « P + Q ») dans le cas des installations réparties sur plusieurs bâtiments.

Aux termes de l’article 18 de l’arrêté du 22 décembre 2023, les conditions d’achat modifiées s’appliquent aux installations pour lesquelles une demande complète de raccordement a été déposée entre le 1er août 2023 et le 21 décembre 2023. Les modifications s’appliquent dans leur ensemble aux installations dont la demande complète de raccordement est déposée postérieurement au 22 décembre 2023.

Arrêté en date du 5 janvier 2024 fixant les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts telles que visées au 3° de l’article D. 314-15 du Code de l’énergie et situées dans les zones non interconnectées en Corse, en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, à Wallis-et-Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans certaines îles du Ponant non interconnectées au réseau métropolitain continental et habitées à l’année.

Les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental, dites ZNI, font l’objet d’arrêtés tarifaires spécifiques pour prendre en compte les particularités de ces territoires. Un nouvel arrêté tarifaire concernant les installations photovoltaïques sur bâtiment est paru. Il réhausse le plafond de puissance des installations de 100 kWc à 500 kWc.

Les conditions d’achat d’électricité produite à partir d’installations utilisant l’énergie photovoltaïque implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts, étaient jusqu’alors prévues par un arrêté du 4 mai 2017.

Par un arrêté du 5 janvier 2024, l’arrêté précité de 2017 a été abrogé et remplacé. Il convient dès lors de se référer à ce nouvel arrêté pour connaitre les conditions d’achat de l’électricité produite par les nouvelles installations implantées sur bâtiment, hangar ou ombrière utilisant l’énergie solaire photovoltaïque, d’une puissance crête installée inférieure ou égale à 500 kilowatts situées en ZNI. Les dispositions de l’arrêté du 4 mai 2017 resteront applicables aux contrats en cours (article 16 de l’arrêté du 5 janvier 2024).

Arrêté du 29 décembre 2023 modifiant l’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les conditions d’achat pour l’électricité produite par les installations utilisant à titre principal le biogaz produit par méthanisation de déchets non dangereux et de matière végétale brute implantées sur le territoire métropolitain continental d’une puissance installée strictement inférieure à 500 kW telles que visés au 4° de l’article D. 314-15 du Code de l’énergie. Aux termes du 4° de l’article D. 314-15 du Code de l’énergie, l’électricité produite par les installations utilisant à titre principal le biogaz produit par méthanisation de déchets non dangereux et de matière végétale brute implantées sur le territoire métropolitain continental d’une puissance installée strictement inférieure à 500 kilowatts peuvent bénéficier d’un contrat d’obligation d’achat.

Ces installations font donc également l’objet d’un arrêté tarifaire. L’arrêté tarifaire en vigueur (arrêté du 13 décembre 2016, dit arrêté tarifaire BG16) a été très légèrement modifié par un arrêté du 29 décembre 2023.

Aux termes de l’arrêté en date du 29 décembre 2023, l’une des variables de la formule de calcul du tarif d’achat de l’électricité produite a été modifiée. Ainsi, le 3° du A du I de l’annexe 1 de l’arrêté du 13 décembre 2016 est modifié comme suit :

« 3° ICHTrev-TS10 et FM0ABE00000 sont les dernières valeurs définitives à la date de demande complète de contrat des indices ICHTrev-TS1 et FM0ABE0000 connues à la date de demande complète de contrat ».

Comme le relève la Commission de régulation de l’énergie dans sa délibération portant avis sur le décret, cette modification a pour but de « pallier les difficultés économiques subies par les contrats ayant pris effet après le 1er janvier 2021 » (délibération de la CRE n° 2023-306 du 5 octobre 2023 portant avis sur un projet d’arrêté modifiant l’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les conditions d’achat pour l’électricité produite par les installations utilisant à titre principal le biogaz produit par méthanisation de déchets non dangereux et de matière végétale brute implantées sur le territoire métropolitain continental d’une puissance installée strictement inférieure à 500 kW telles que visées au 4° de l’article D. 314-15 du code de l’énergie)

En effet, l’arrêté vise à en modifier la date de référence pour le calcul du coefficient d’indexation L. Ainsi, ce dernier est calculé à partir de la date de demande complète de contrat, et non plus à partir de la prise d’effet de celui-ci.

Litige de la Métropole Européenne de Lille contre Alstom, le juge des référés ne peut pas tout …

Le 21 juin 2012, la métropole européenne de Lille (ci-après la MEL) a conclu avec la société Alstom Transport un marché public ayant pour objet la production des études, des fournitures, des travaux et des essais d’un système de « matériel roulant et contrôle commande et supervision des trains ». Le marché devait être exécuté en sept ans. Il devait donc être achevé en 2019. Nous sommes en 2024 et il n’est toujours pas achevé.

De guerre lasse, la MEL a introduit un référé mesures utiles devant le juge des référés du Tribunal administratif de Lille. Plus précisément, la MEL formulait trois demandes :

  • d’ordonner à la société Alstom transport de définir et de s’engager à prendre les mesures essentielles et indispensables pour assurer la continuité et la qualité du service public du métro ;
  • pour assurer plus précisément la continuité de service du métro, d’ordonner à la société de définir et de s’engager sans réserve sur les moyens et les délais de mise en service des 27 rames de nouvelle génération prévues pour circuler sur la ligne 1 ;
  • de contraindre la société Alstom transport à mettre en œuvre tous les moyens permettant de conserver la capacité totale de transport des deux lignes du métro, qui est actuellement de 143 rames, les modèles les plus anciens circulant sur la ligne 2 devant être mis au rebut à partir du mois d’août 2025.

Sauf que, dans son ordonnance en date du 25 janvier 2024 (TA Lille, 25 janvier 2024, Métropole européenne de Lille, n° 2310410) le juge des référés rappelle que saisi dans le cadre des relations contractuelles, ses pouvoirs restent limités :

  • il rejette la première demande au motif que la satisfaction de la demande impliquerait nécessairement des transferts de matériel d’une ligne (la ligne 1) vers l’autre (la ligne 2). Or, Alstom transport n’ayant pas en charge le fonctionnement de la ligne 2, il s’agirait d’aller au-delà de ses obligations contractuelles ;
  • Il rejette la deuxième demande en rappelant qu’il ne peut adresser d’injonction à un cocontractant que s’il existe une atteinte ou un risque avéré d’atteinte à la continuité du service public ou à son bon fonctionnement et que cette atteinte procède du refus caractérisé du cocontractant d’accomplir ses obligations contractuelles dans le délai fixé. Or, dans le cas présent, le juge reconnait un retard important à ALSTOM et de nature à porter atteinte à la continuité du service. Cependant, il note les moyens importants mis en œuvre par cette dernière pour exécuter le contrat et considère que, de ce fait, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la société ;
  • Enfin, il rejette la dernière demande qui ne correspond pas à la satisfaction d’une obligation contractuelle.

Le juge des référés rappelle, au détour d’un moyen à la MEL qu’elle peut toujours introduire un recours pour obtenir l’indemnisation de son préjudice. Notons toutefois que ce recours n’aura de chances de succès que si le retard n’est pas déjà sanctionné par des pénalités, par nature forfaitaires et libératoires.

Première décision du Conseil d’Etat dans le recours opposant SNCF Réseau et l’ART à 8 régions

Rappelons que sept régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Hauts-de-France, Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Grand-Est) et Ile-de-France Mobilités (IDFM) ont déposer un recours devant le Conseil d’Etat contre le Document de référence du Réseau Ferré National (ci-après le DRR) publié par SNCF réseau et l’avis conforme de l’Autorité de Régulation des Transports (ART) ; le contentieux portant sur le montant des péages pour l’utilisation du réseau ferré national sur les années 2024-2026.

Comme le note la Rapporteure publique, Dorothée PRADINES, dans ses conclusions sous l’arrêt portant sur l’avis de l’ART, le contentieux est très intéressant et éminemment technique. Il s’agira en effet de se prononcer sur la refonte des bases de calcul de ces redevances d’utilisation qui a pour objet d’en augmenter la part forfaitaire et d’en réduire la part variable (part de la redevance fixée au sillon/km).

Cependant, c’est sur un point de droit bien loin des considérations ferroviaires que le juge vient de rejeter le recours contre l’avis de l’ART. Faisant application d’une jurisprudence classique, dans un arrêt en date du 5 février 2023, (CE, 29 janvier 2023, IDFM et autres, n° 473507) il a jugé que l’avis conforme de l’ART était un acte préparatoire à la décision de publication de l’ART et n’était donc pas, en tant que tel, un acte susceptible de recours. Il a donc rejeté le recours contre l’avis de l’ART.

Mais que nos lecteurs se rassurent, le Conseil d’Etat se penchera bientôt sur cette belle question des conditions de fixation des redevances en appréciant le recours au fond contre le DRR lui-même. Et nous ne manquerons pas de commenter cette décision.

Aéroport Nantes-Atlantique : Ouverture d’une instruction par l’Autorité de Régulation des Transports tendant à la recherche et à la constatation de manquements à l’obligation de réunion de la CoCoéco

Conformément aux articles R. 6325-54 et suivants du Code des transports, les aéroports d’une certaine envergure sont dotés d’une commission consultative économique (CoCoéco) au sein de laquelle sont notamment représentés l’exploitant de l’aérodrome, les compagnies aériennes et les représentants d’organisations professionnelles du transport aérien.

Au titre de ses compétences, la CoCoéco doit se réunir au moins une fois chaque année afin d’émettre un avis sur les modalités d’établissement et d’application des redevances pour services rendus et sur les programmes d’investissement de l’aérodrome considéré. Elle débat également des perspectives d’évolution de la qualité des services rendus.

Dans ce contexte réglementaire, et sur le fondement des dispositions de l’article L. 1264-1, 5 du Code des transports, l’Autorité de Régulation des Transports (ART) a décidé, le 18 janvier dernier, d’ouvrir une procédure d’instruction tendant à la recherche et à la constatation de manquements de la société concessionnaire Aéroports du Grand Ouest (AGO) à l’obligation de réunir la CoCoéco de l’aéroport de Nantes-Atlantique, conformément aux articles R. 6325-54 et suivants précités.

La libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir

L’Assemblée nationale a publié, le 13 décembre 2023, le rapport d’une commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir. Le rapport opère le constat d’une inversion de la place du fret ferroviaire dans l’activité de la SNCF et d’une accélération de ce phénomène. En 1938, première année d’existence de la SNCF, la part du transport de marchandises était légèrement majoritaire avec 26 milliards de tonnes-kilomètres de fret et 22 milliards de voyageurs-kilomètres. La prépondérance du fret ferroviaire a été notable durant les trente glorieuses avant de connaître un progressif décroît à compter des années 2000 qui ne cesse depuis lors de s’accentuer au profit du transport routier de marchandise.

Le rapport impute trois grandes causes à ce déclin progressif du fret ferroviaire :

  • En premier lieu, la désindustrialisation de la France. La part de la valeur ajoutée industrielle dans le produit intérieur brut (PIB) a été divisée par deux en cinquante ans et cette désindustrialisation diminue le volume de marchandises à transporter sur de longues distances au sein du territoire national ;
  • En second lieu, la nouvelle logique du zéro stock limite le fret ferroviaire. Le travail en flux tendu qui repose sur une étroite synchronisation entre la production et la demande réelle aboutit à privilégier le transport routier dès lors que le fret ferroviaire se révèle moins adapté à une telle logistique ;
  • En troisième lieu, le rapport estime que la libéralisation du fret a eu un effet délétère sur ce dernier notamment en raison d’une insuffisante préparation. La dérégulation du marché n’a pas été accompagnée par les politiques publiques qui auraient été nécessaires, permettant aux nouveaux entrants de se concentrer sur l’activité qui était la plus accessible et probablement la plus rentable, c’est-à-dire les trains complets, laissant les wagons isolés[1], qui représentaient une part importante du fret ferroviaire, à Fret SNCF. Or, l’opérateur historique s’est lui-même orienté vers une logique de rentabilité qui l’a conduit à délaisser les wagons isolés, ce qui a accentué davantage le déclin du fret ferroviaire.

La commission d’enquête a proposé une série de recommandations pour répondre à ces problématiques et revaloriser l’activité de fret ferroviaire. En substance, elle propose d’instituer un dialogue entre les pouvoirs publics et les entreprises pour opérer une revue des embranchements de fret ferroviaire et opérer une réorganisation stratégique des dessertes ferroviaires permettant de répondre au besoin des entreprises.

La commission propose également de « rétablir des conditions de concurrence entre le ferroviaire et le routier ». Elle estime effectivement que le transport routier échappe en partie aux péages et aux taxes, tout en générant « gratuitement » des externalités négatives très coûteuses pour la société. Plusieurs propositions visent donc à remédier à cette sorte de « concurrence déloyale » notamment en instaurant une écotaxe sur les poids lourds de l’ordre de 3 centimes d’euro par tonne et par kilomètre mais également à interdire la circulation des poids lourds de 44 tonnes, sauf transport combiné et véhicules zéro émission et le transport de nuit sauf pour le transport combiné.

 

[1] L’activité repose sur la constitution de trains à partir de l’assemblage de wagons individuels isolés provenant de différents clients. Ces wagons ont des origines et des activités différentes ce qui implique des activités de tri et d’assemblage supplémentaires. Le coût est donc significativement plus élevé que les trains complets qui n’implique que l’acheminement des wagons entre les plateformes de départ et d’arrivée.