Recours contentieux : le cachet de la poste fait désormais foi

Le Conseil d’Etat fait évoluer sa jurisprudence en considérant qu’un recours contentieux envoyé par voie postale ne doit plus désormais être parvenu à la juridiction administrative avant la fin du délai de recours mais doit être posté avant l’expiration de ce délai, le cachet de la poste faisant foi. Avant l’intervention de cet arrêt de Section et selon une jurisprudence constante, la tardiveté d’un recours contentieux formé par voie postale (et via le téléservice Télérecours) était appréciée au regard du jour de la présentation du pli au greffe de la juridiction[1].

Sous réserve des cas où la loi permet de remettre le recours à une autorité administrative chargée de le transmettre à la juridiction (comme c’est le cas en matière électorale), la jurisprudence a toujours refusé de prendre en compte la date d’un acte antérieur au dépôt au greffe, même s’il manifestait l’intention d’engager la procédure contentieuse[2]. Ainsi, selon cette jurisprudence, il appartenait au requérant de poster son recours suffisamment à l’avance pour qu’il parvienne à la juridiction avant le terme du délai. Cela étant, un recours présenté tardivement restait néanmoins recevable s’il avait été remis aux services des postes « en temps utile », pour y parvenir à temps selon « les délais normaux d’acheminement du courrier »[3].

En pratique, la jurisprudence retenait le plus souvent qu’un recours posté deux jours ouvrables (48 heures) avant l’expiration du délai pouvait être considéré comme remis en temps utile[4]. Or, l’évolution de cette jurisprudence apparaissait souhaitable et/ou nécessaire pour au moins trois séries de considérations relevées par le rapporteur public dans ses conclusions.

D’abord en raison de ses difficultés d’application géographique qui, notamment outre-mer, rendait la notion de « délai normal d’acheminement » particulièrement aléatoire avec des jurisprudences incertaines et parfois contradictoires.

Ensuite du fait de la réforme du service postal universel entrée en vigueur le 1er janvier 2023. En effet, les délais de la plupart des offres de distribution du courrier ont évolué vers un nouveau standard de délai d’acheminement en J+3, évolution qui semblait faire obstacle à ce que soit maintenue la règle des 48 heures précitée. Notons enfin que les justiciables qui utilisent le téléservice Télérecours pouvaient déposer leur recours contentieux jusqu’au dernier jour du délai de recours tandis que la règle de la date d’enregistrement contraignait les justiciables qui envoient leur recours par voie postale à le poster plusieurs jours avant l’expiration de ce délai pour être certains qu’il parvienne dans les temps à la juridiction. A l’occasion de sa décision rendue le 13 mai dernier, le Conseil d’Etat a donc fait évoluer la jurisprudence en jugeant que, pour les recours par voie postale, le respect du délai s’apprécie désormais à la date d’envoi du courrier, attestée par le cachet de la poste.

Ce faisant, le Conseil d’Etat procède à une double harmonisation. D’une part, les justiciables bénéficient désormais, en pratique, du même délai de recours qu’ils utilisent ou non le téléservice Télérecours. D’autre part, les règles de délai sont désormais identiques pour les citoyens, qu’ils saisissent la justice ou l’administration. En effet, la règle du cachet de la poste faisant foi est déjà celle qui s’applique chaque fois qu’une personne est tenue, à l’égard de l’administration, de respecter une date limite pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document (article L. 112-1 du Code des relations entre le public et l’administration).

 

[1] V. en ce sens CE, 27 février 1885, élections de Prétin, Rec. p. 251 ; CE, 30 décembre 1998, Epoux Serot, n° 167843 ; CE, 30 juillet 2003, Mme Chenilco, n° 240756.

[2] V. sur ce point CE, 2 février 1864, Oxéda, Rec. p. 69.

[3] V. en ce sens CE, 14 janvier 1910, Sieur Levallois, Rec. P. 25.

[4] V. par ex. CE, 3 juin 1991, Société Dormeuil, n° 61896.

Le principe général du droit à la protection fonctionnelle des agents publics peut fonder l’octroi de la protection fonctionnelle aux conseillers municipaux qui n’exercent pas de fonctions exécutives

L’obligation de protection fonctionnelle des élus communaux est prévue par les articles L. 2123-34 et L. 2123-35 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), qui visent respectivement les cas dans lesquels l’élu est mis en cause ou victime.

Plus particulièrement, ces deux articles réservent le bénéfice de la protection fonctionnelle aux seuls élus communaux exerçant ou ayant exercé des fonctions exécutives, soit le maire, ses adjoints ou les conseillers ayant reçu une délégation de la part du maire.

Dans l’affaire soumise à la Cour administrative d’appel de Versailles, le conseil municipal de Maurepas avait cependant, sur le fondement de l’article L. 2123-34 du CGCT, accordé la protection fonctionnelle à des conseillers municipaux alors que ceux-ci ne disposaient d’aucune délégation du maire.

Après avoir rappelé que les délibérations attaquées ne pouvaient être prises sur le fondement de l’article L. 2123-34 susvisé, qui ne permet à une commune d’accorder sa protection qu’au maire ou aux seuls élus municipaux le suppléant ou ayant reçu une délégation de sa part, la Cour a néanmoins relevé que ces délibérations auraient pu être prises sur le fondement d’un autre texte ou d’un autre principe que celui dont la méconnaissance est invoquée, à savoir le principe général du droit à la protection fonctionnelle des agents publics[1].

Elle a ainsi rappelé que, aux termes de ce principe général du droit, « cette protection s’applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions, notamment à l’ensemble des conseillers municipaux, même ceux n’ayant pas reçu de délégation du maire et n’exerçant en conséquence pas de fonction exécutive ».

Faisant usage de son pouvoir de substitution de base légale, la Cour a dès lors considéré que les délibérations du conseil municipal de Maurepas trouvaient leur fondement légal dans le principe général du droit à la protection fonctionnelle des agents publics, qui pouvait être substitué aux dispositions de l’article L. 2123-24 du CGCT.

Conformément aux conditions de mise en œuvre de la substitution de base légale posées par la célèbre jurisprudence « El Bahi »[2], la Cour a alors relevé, en premier lieu, que les conseillers municipaux concernés se trouvaient dans une situation où, en application du principe général précité, la commune pouvait décider de leur accorder la protection fonctionnelle, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n’avait pour effet de priver les intéressés d’aucune garantie et, en troisième lieu, que l’administration disposait du même pouvoir d’appréciation pour appliquer le principe général du droit ou les dispositions de l’article L. 2123-34 du CGCT.

Notons qu’une position inverse avait toutefois été adoptée par la Cour administrative d’appel de Nancy en 2019, laquelle avait considéré que ce principe général du droit n’implique pas que la protection fonctionnelle doive être accordée à ceux des élus qui, n’exerçant aucune fonction exécutive, ne sauraient être regardés comme ayant, en raison de leur seule qualité de membres de l’organe délibérant de leur collectivité, la qualité d’agents publics[3].

Cette appréciation ambivalente sur l’extension du droit à la protection fonctionnelle aux conseillers municipaux n’exerçant pas de fonctions exécutives appelle dès lors une clarification de la part du Conseil d’Etat.

 

[1] CE, 11 février 2015, Min. de la Justice, n° 372359

[2] CE, sect., 3 décembre 2003, Préfet de la Seine-Maritime c/ El Bahi, n° 240267

[3] CAA Nancy, 12 décembre 2019, n° 18NC02134

Commande publique et RGPD : quelle responsabilité pour quel acteur ?

Lorsque les administrations concluent des marchés publics et des contrats de concession, les cocontractants sont amenés à mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel, en particulier des données relatives au personnel ou aux usagers du service public.  Ces traitements de données doivent nécessairement respecter les exigences posées par le Règlement Général sur la Protection des Données RGPD (ci-après « RGPD »).

En juin 2022, la CNIL a alors publié un guide pratique intitulé « la responsabilité des acteurs dans le cadre de la commande publique » pour accompagner les professionnels concernés à identifier leurs responsabilités. La Commission précise tout d’abord que la qualification des acteurs (responsable de traitement, sous-traitant, responsable conjoint) doit intervenir le plus tôt possible. Pour cela, il est nécessaire d’analyser le contexte contractuel, et de se demander quelle est l’entité qui a initié et organisé le traitement. La qualité retenue pour chaque acteur a une incidente sur la nature et l’étendue de ses responsabilités au regard des données traitées, et ainsi, sur les clauses relatives à la protection des données qui doivent être insérées au contrat.

A titre d’illustration, si l’administration est qualifiée de responsable de traitement, elle devra – après avoir déterminé les finalités de traitement des données et leur durée de conservation – mettre en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées pour circonscrire tout risque de violation de données.

Si l’opérateur économique revêt quant à lui la qualité de sous-traitant, l’ensemble des clauses prévues à l’article 28 du RGPD devra figurer dans le contrat, à savoir :

  • L’interdiction pour l’opérateur économique de recruter un autre sous-traitant sans l’accord écrit préalable de l’administration ;
  • L’obligation pour l’opérateur économique de ne traiter les données personnelles que sur instruction documentée de l’administration ;
  • L’obligation pour l’opérateur économique de prendre toutes les mesures pour veiller à la sécurité du traitement.

Le guide publié par la CNIL fournit alors aux administrations et aux opérateurs économiques de nombreux indices pour arriver à déterminer les qualités et responsabilités de chacun.

Les collectivités et administrations dans le viseur des cyberattaquants

En 2023, la cybermenace n’a fait qu’augmenter : elle devient systémique et s’attaque désormais à tous les pans de la société. A l’occasion de la publication de son rapport d’activité annuel, cybermalveillance.gouv fait état des principales cybermenaces pesant, notamment, sur certains acteurs publics.

Cybermalveillance.gouv.fr : l’outil d’assistance et de prévention du risque numérique

Cybermalveillance.gouv.fr est un outil d’assistance en ligne qui délivre aux victimes un diagnostic du problème qu’elles rencontrent et des conseils de cybersécurité permettant d’y faire face. L’analyse des données recueillies par cet outil a permis de mettre en évidence les cyber malveillances les plus répandues.

Les principales cybermenaces pesant sur les collectivités et les administrations

Les collectivités et les administrations doivent en premier lieu se méfier de tout message s’apparentant à de l’hameçonnage, aussi connu sous son nom anglais de phishing. Cette pratique, consistant à obtenir du destinataire d’un courriel ou d’un SMS, d’apparence légitime, qu’il transmette ses coordonnées bancaires ou ses identifiants de connexion, afin de lui dérober de l’argent, constitue la première cybermenace pour les acteurs publics.

Autre attaque majeure : les rançongiciels ou ransomware. Ces logiciels malveillants (ou virus) bloquent l’accès à l’ordinateur ou à des fichiers et réclament à la victime le paiement d’une rançon pour en obtenir de nouveau l’accès.

La troisième cybermenace que les collectivités et les administrations doivent avoir en tête est le piratage de compte en ligne. Cette attaque désignant l’utilisation frauduleuse par un cyberattaquant d’un compte (messagerie, site administratif, réseau social, …) au détriment de son propriétaire légitime, afin de dérober des informations confidentielles, peut avoir des conséquences dramatiques pour les victimes.

Pour les collectivités et administrations, les principales menaces qui les visent continuent de gagner en intensité. Partant, elles doivent veiller à toujours adopter de bonnes pratiques permettant d’évincer tout risque cyber (sécurisation des sites et applications, utilisation d’antivirus, mise à jour régulière des logiciels utilisés, …). Cybermalveillance.gouv.fr se présente comme une précieuse aide pour affronter ces menaces.

Prospection commerciale et RGPD : quelles obligations à ne pas manquer ?

Par une délibération en date du 4 avril 2024, la formation restreinte de la CNIL a sanctionné la société HUBSIDE.STORE pour avoir procédé à de la prospection commerciale en passant sous silence plusieurs exigences du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) !

Manquement à l’obligation de recueillir le consentement des personnes concernées

La société HUBSIDE.STORE a pour habitude de procéder à des campagnes de démarchage par téléphone et par SMS, et ce, à partir de fichiers de prospects achetés auprès de partenaires. Or, ces partenaires collectent les données sans que les personnes concernées aient donné leur consentement par un acte positif clair et dénué d’ambiguïté, comme l’exigent pourtant le Code des Postes et des Communications Electroniques (CPCE)[1] et le RGPD[2].

La CNIL rappelle que la société HUBSIDE.STORE, en sa qualité de responsable de traitement, est tenue de vérifier elle-même si le consentement donné par les utilisateurs peut être considéré comme valide. Ce qu’elle ne fait malheureusement pas ! Or, sans consentement valide, HUBSIDE.STORE n’est pas autorisée à utiliser les données achetées auprès de ses partenaires.

Manquement à l’obligation de traiter les données de manière licite

Pour fonder ses opérations de prospection commerciale par téléphone, la société HUBSIDE.STORE peut se prévaloir de la base légale de l’intérêt légitime. Mais, pour cela, elle doit informer les personnes concernées, au moment de la collecte de leurs données, qu’elles peuvent faire l’objet de prospection commerciale. En l’état, il n’en est rien.

Sans une telle information, HUBSIDE.STORE ne peut se prévaloir de la base légale de l’intérêt légitime pour fonder ses opérations de prospection commerciale par téléphone, mais, à défaut de justifier d’un tel intérêt, ces traitements dépourvus de base légale sont alors considérés comme illicites !

Manquement à l’obligation d’information

Au regard de l’article 14 du RGPD, lorsque des données personnelles ne sont pas collectées auprès des personnes concernées, le responsable de traitement doit fournir à celles-ci des informations précises sur les traitements qu’il met en œuvre. Or, une nouvelle fois, HUBSIDE.STORE ne fournit pas de telles informations aux personnes démarchées par téléphone. Après avoir souligné ces divers manquements au RGPD, la CNIL a sanctionné la société HUBSIDE.STORE d’une amende de 525 000 euros, condamnation qu’elle a décidée de rendre publique !

 

[1] Article L.34-5 CPCE

[2] Article 4.11 RGPD

Développement de système d’IA et protection des données : de nouvelles fiches pratiques publiées par la CNIL

Le 8 avril 2024, à la suite d’une consultation publique du 15 décembre 20231 sur l’intelligence artificielle (IA), la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a publié sept fiches pratiques concernant le développement de systèmes d’IA. Élaborées en vue d’une articulation intelligible avec les futures obligations du Règlement européen sur l’IA (AI Act)2, ces fiches ont vocation à orienter les organismes développant des systèmes d’IA dans leur mise en conformité au RGPD.

Au sein de sa première fiche, la CNIL propose un faisceau d’indices pour parvenir à déterminer le régime juridique applicable aux phases de développement et de déploiement d’un système d’IA, étant précisé que ces phases constituent des traitements de données personnelles distincts. Elle détaille les différents régimes juridiques à envisager, à savoir le régime résultant du RGPD, celui spécifique aux secteurs « police-justice » et celui intéressant la défense nationale de l’Etat régi par les dispositions de la loi Informatiques et Libertés[1]. Ensuite, la CNIL rappelle la nécessité de définir une finalité pour tout traitement de données personnelles, et, notamment, pour les bases de données utilisées dans le développement d’un système d’IA.

La CNIL expose au sein de la fiche 3 les différents critères permettant de qualifier les acteurs de responsable de traitement, de responsables conjoints de traitement, ou de sous-traitant.

Par la fiche 4, la CNIL met en exergue la nécessité de fonder le traitement sur l’une des bases légales prévues par le RGPD.  Elle exclut de son champ d’analyse l’étude de celle relative à la sauvegarde des intérêts vitaux de la personne, laissant présager qu’une telle base légale ne pourrait donc pas être mobilisable. En outre, elle rappelle que lorsque le responsable de traitement réutilise des données qu’il a collectées pour une finalité initiale, il doit vérifier si ce traitement ultérieur est compatible avec ladite finalité.

La CNIL rappelle que la constitution d’une base de données pour l’apprentissage d’un système d’IA peut engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes. Une analyse d’impact sur la protection des données (AIPD) doit alors être réalisée, afin de cartographier et d’évaluer les risques pour les personnes concernées (fiche 5). La Commission revient sur la nécessité de mener une réflexion sur le développement d’un système d’IA respectueux de la protection des données dès la conception dudit système (fiche 6), et, par la suite, de veiller au respect du principe de minimisation durant toute la collecte et la gestion des données (fiche 7).

Par ces fiches, la CNIL met en avant le fait que l’AI Act, adopté le 13 mars dernier par le Parlement européen, n’a pas vocation à écarter le RGPD dans le développement de systèmes d’intelligence artificielle impliquant le traitement de données personnelles. Elle souligne, au contraire, leur complémentarité. Ainsi, elle tente de démontrer que la protection des données personnelles ne constitue pas un obstacle à l’innovation en matière d’IA, mais qu’elle favorise l’émergence de technologies plus respectueuses des droits des individus.

[1] La loi nᵒ 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés

Le rapport annuel de 2023 de la CNIL : un nombre record de plaintes reçues, une intelligence artificielle au cœur des préoccupations et des sanctions en hausse

CNIL, rapport annuel 2023

Le 23 avril 2024, la CNIL a publié son rapport annuel. L’année 2023 a été marquée par le 45ème anniversaire de la CNIL et le 5ème de l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Au sein de ce rapport, la CNIL fait le point sur son activité à travers quatre grandes missions dont elle est investie.

Au titre de la protection des droits des individus, on notera que la CNIL a traité 16 433 plaintes, soit 35 % de plus par rapport à l’année précédente. Malgré cette hausse, la CNIL a instruit, pour la deuxième année consécutive, autant de plaintes qu’elle en a reçu. Même s’il est difficile d’établir un constat précis de l’amélioration de son efficacité en raison de la singularité de chaque plainte, on peut tout de même conclure à une accélération du rythme de traitement des plaintes. De surcroît, elle a reçu 20 810 demandes d’exercice de droits indirects via un téléservice dédié, soit une augmentation de 217 % en un an. Ces chiffres témoignent d’une meilleure appréhension des droits protecteurs des données personnelles par les individus.

En outre, s’agissant de sa mission d’accompagnement et de conseil des acteurs dans leur mise en conformité, en 2023, l’accent a été mis sur l’intelligence artificielle (IA), avec un accompagnement renforcé de trois entreprises innovantes et la création d’un « bac à sable » dédié à cette thématique, qui consiste à sélectionner des projets et à les accompagner dans leur sécurisation juridique. Par ailleurs, le nombre de notification pour violation de données est en augmentation depuis 5 ans, avec 4 668 notifications en 2023, soit une augmentation de 14 % par rapport à 2022 mais une diminution de 8 % par rapport à 2021. A cet égard, la CNIL estime que les organismes sont généralement mieux préparés à faire face à ces incidents.

Au titre de sa mission d’innovation et d’anticipation, la CNIL a favorisé l’interaction entre les chercheurs et les régulateurs, notamment via l’organisation de la seconde édition du « Privacy research day » qui a réuni 4439 participants. Elle a également publié une feuille de route sur le thème de l’intelligence artificielle, articulée autour de trois principes fondamentaux : guider le développement d’une IA respectueuse de la vie privée, fédérer et accompagner les acteurs innovants et auditer les systèmes existants pour protéger les personnes.

Enfin, au titre de sa mission de contrôle et de sanction, la CNIL a procédé à 340 contrôles en 2023, aboutissant notamment à 168 mises en demeure et 33 rappels aux obligations légales. 42 sanctions ont été prononcées, soit plus du double par rapport à l’année précédente, dont 36 ayant entraîné des amendes pour un montant global de 89 179 500 euros. Cette augmentation témoigne notamment de l’efficacité de la procédure simplifiée, lancée en 2022, qui s’applique à des dossiers d’une moindre complexité et ne pouvant donner lieu à une amende excédant un montant de 20 000 euros. En effet, 24 des 42 sanctions prononcées l’ont été dans le cadre de la procédure simplifiée, totalisant un montant cumulé de 229 500 euros.

De plus, dans le cadre de la procédure ordinaire, deux sanctions s’élevant respectivement à 40 et 32 millions d’euros ont été prononcées. La première, en date du 22 juin 2023, a visé la société Criteo, spécialisée dans le « reciblage publicitaire », en raison de divers manquements, à savoir l’absence de preuve concernant le recueil du consentement des internautes par ses partenaires dont elle traite les données, la fourniture de données incomplètes lors des demandes d’accès, le défaut de suppression des données lors du retrait du consentement, une politique de confidentialité incomplète et peu claire ainsi que des accord avec ses partenaires ne détaillant pas l’ensemble des obligations requises par le RGPD. La seconde concerne Amazon France Logistique qui a été sanctionné le 27 décembre dernier en raison de la mise en place d’un système de surveillance de la productivité et de l’activité de ses salariés, jugé excessivement intrusif.

Par conséquent, le rapport annuel de la CNIL met en lumière un accroissement des sollicitations de cette institution et du rythme de cette dernière pour tenter d’y répondre. Dans le contexte d’une innovation technologique croissante, l’IA semble s’inscrire au cœur des préoccupations de la CNIL. Cette dernière, dans l’attente du rôle qu’elle sera amenée à jouer dans l’application de l’Artificial Intelligence Act (dénommé l’IA Act), se positionne de manière proactive sur le sujet. Il est fort à parier que l’année 2024 sera également marquée par cette volonté comme l’illustre la publication, le 8 avril 2024, de sept fiches pratiques à destination des organismes pour les accompagner dans leur mise en conformité concernant le développement de systèmes d’IA.

L’édition 2024 du Guide de la sécurité des données personnelles

CNIL, guide de la sécurité des données personnelles

CNIL, 26 mars 2024, Guide de la sécurité des données personnelles : suivi des modifications entre les différentes versions

Les responsables de traitement et les sous-traitants sont soumis à une obligation de sécurité en vertu des articles 5 et 32 du RGPD. Pour répondre à cette exigence, ils doivent donc mettre en œuvre un ensemble de mesures techniques et organisationnelles. Afin de les aider dans cette démarche, la CNIL publie depuis plusieurs années un guide de la sécurité des données personnelles, composé de diverses fiches thématiques, régulièrement actualisé. La dernière version de ce guide, parue en mars dernier, présente plusieurs améliorations.

Cinq nouvelles fiches (numéro 1, 22, 23, 24 et 25) ont été ajoutées. Si la première traite d’un sujet plus global, puisqu’elle vise à assurer la mise en place et le maintien dans la durée de la sécurité des données en prévoyant notamment une prise en compte de ce sujet dans les processus de décision des organismes, les dernières abordent des enjeux actuels.

En effet, la fiche 22 porte sur le Cloud, à cette occasion la CNIL rappelle notamment que le fournisseur de service et le client ont une responsabilité partagée qui doit être formalisée dans un contrat, qu’une cartographie des données et des traitements dans le cloud doit être créée, qu’une politique d’habilitation stricte doit être mise en œuvre, que les données au repos et en transit doivent être chiffrées et qu’une méthode de gestion des clés cryptographiques appropriée doit être prévue.

La fiche numéro 23 est quant à elle dédiée à la conception et au développement des applications mobiles. La CNIL insiste, entre autres, sur l’importance du principe de minimisation, de la sécurisation des échanges de données, au moins pour les serveurs, via l’utilisation des canaux TLS conformément aux instructions de l’ANSSI (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information). Elle encourage également à privilégier les fonctionnalités de sécurité matérielles disponibles sur les appareils mobiles pour stocker les secrets cryptographiques.

La fiche 24 traite de la conception et de l’apprentissage des systèmes d’intelligence artificielle en mettant en avant des aspects tels que la qualité des données utilisées pour entraîner les modèles d’IA, ou encore la mise en œuvre d’une procédure obligatoire pour le développement et l’intégration continus.

Enfin, la fiche 25 concerne les interfaces de programmation applicative (API) qui permettent d’échanger des données. Afin de sécuriser correctement les échanges, la CNIL encourage à identifier les acteurs et leur rôle fonctionnel pour organiser le périmètre des habilitations, à tenir des journaux détaillés afin de tracer les échanges et détecter tout comportement inhabituel, à respecter le principe de minimisation et à maintenir une documentation à jour. Cette actualisation du guide traduit donc une prise en compte des nouveaux risques pour la protection des données.

En outre, la CNIL a renforcé les recommandations en termes de sensibilisation et de formation en matière de sécurité informatique, elle a fourni des directives plus précises concernant le stockage des mots de passe, l’utilisation de gestionnaires de mots de passe, et l’interdiction des pratiques risquées telles que la conservation de mots de passe en clair. Ces évolutions témoignent de la nécessité d’adapter les pratiques et les politiques de sécurité pour faire face aux défis émergents qui pèsent sur la protection des données personnelles.

Droit pour l’aménageur de se voir proposer par la collectivité une convention de projet urbain partenarial dans une zone de PUP prédéfinie

Rappel des faits et de la procédure :

Dans cette affaire, une commune a délibéré pour délimiter un périmètre à l’intérieur duquel les propriétaires fonciers, les aménageurs, les constructeurs se livrant à des opérations d’aménagement ou de construction participent, par le biais de conventions de projet urbain partenarial (PUP), à la prise en charge des équipements publics nécessaires à l’aménagement et à la construction d’un secteur de la commune, que ces équipements soient à réaliser ou déjà réalisés, dès lors qu’ils répondent aux besoins des futurs habitants ou usagers de ces opérations. Par cette même délibération, le conseil municipal a précisé la liste de ces équipements, à savoir des créations et réhabilitations de voiries bénéficiant à l’ensemble de la zone, mais également les modalités du partage de leurs coûts au prorata de la superficie foncière aménagée.

Cela étant posé, un promoteur immobilier a sollicité de la commune la transmission d’un projet de convention de PUP pour ses parcelles situées dans le périmètre défini par la délibération précitée. En l’absence de toute réponse sur cette demande par la commune, une décision implicite de rejet est née. En parallèle, le promoteur a déposé auprès de cette même commune une demande de permis d’aménager.

Seulement, la commune a adressé au pétitionnaire un courrier lui demandant de compléter sa demande faute de contenir un extrait de la convention de PUP signé avec la commune. Le promoteur a alors saisi le juge des référés d’une demande de suspension de la décision implicite de rejet et de la demande de production de la pièce manquante.

En première instance, le juge des référés a rejeté les demandes du pétitionnaire, lequel a exercé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.

Décision du Conseil d’Etat :

Dans la décision ici commentée, le Conseil d’Etat a d’abord rappelé le I. de l’article L. 332-11-3 du Code de l’urbanisme selon lequel il est possible de conclure entre une collectivité et un aménageur une convention de PUP prévoyant la prise en charge financière en tout ou partie des équipements autres que les équipements propres, si le foncier est compris dans un périmètre déterminé par la collectivité.

Selon le rapporteur public, « ce dispositif repose donc sur une logique « gagnant-gagnant« . Il permet ainsi à l’opérateur privé de faire avancer plus rapidement son projet en préfinançant des équipements publics nécessaires à son opération de façon proportionné à l’usage qui en sera retiré par les usagers et futurs habitants, et sans attendre que la collectivité y procède de son côté. Quant à celle-ci, elle perçoit, sous forme numéraire ou d’apport foncier, un préfinancement de cet équipement, qui sera parfois supérieur aux ressources issues de la seule taxe d’aménagement », conclusions de Monsieur Thomas JANICOT sous cet arrêt.

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle que cet article a été complété par un II. par la loi Alur de 2014, afin de disposer que, lorsque des équipements publics faisant l’objet d’une première convention de PUP desservent des terrains autres que ceux mentionnés dans le projet de ladite convention, la collectivité compétente en matière de plan local d’urbanisme peut fixer par délibération les modalités de partage des coûts des équipements et délimiter un périmètre à l’intérieur duquel les propriétaires fonciers, les aménageurs ou les constructeurs qui s’y livrent à des opérations d’aménagement ou de construction, participent, dans le cadre de conventions, à la prise en charge de ces mêmes équipements publics, qu’ils soient encore à réaliser ou déjà réalisés, dès lors qu’ils répondent aux besoins des futurs habitants ou usagers de leurs opérations. Il s’agit ici de la « zone de PUP », également appelée « périmètre de PUP ». Comme le relève justement le Rapporteur public, cette possibilité « cherche ainsi à éviter la naissance de contentieux entre les différents aménageurs intervenant sur une même zone. »

On distingue donc deux outils :

  • La convention de PUP, parfois appelée « PUP initial »: laquelle peut en principe toujours être librement négociée et conclue entre la collectivité et l’opérateur privé ;
  • La zone de PUP, impliquant de conclure des conventions ultérieures: dans l’hypothèse où les équipements publics, objets de la « convention initiale » desservent des terrains destinés à accueillir une future opération d’aménagement et répondent aux besoins de leurs futurs habitants ou usagers, la collectivité pourra en effet délimiter une « zone de PUP » et chaque opérateur privé qui souhaiterait à l’avenir y réaliser une opération devra participer au financement des équipements publics mentionnés dans le PUP initial, en signant leur propre convention de PUP avec la collectivité.

La signature de telles conventions en application d’une zone de PUP sort donc de la logique partenariale à l’origine de l’instauration de l’outil PUP. Ces conventions ultérieures sont nécessairement beaucoup moins libres car les modalités de répartition du financement des équipements publics entre les opérateurs auront été préalablement définies par la délibération de la collectivité fixant la zone de PUP. Surtout, et ainsi que le relève le Conseil d’Etat, cette obligation pour l’opérateur privé, n’en ait pas moins une pour la collectivité elle-même qui ne peut donc, par principe, refuser de conclure une telle convention prise en application de la zone de PUP qu’elle a elle-même instauré.

Comme le souligne le Rapporteur public dans cette affaire : « nous convenons qu’il est inhabituel d’imposer à une personne publique de contracter avec une personne privée, configuration que l’on trouve rarement dans votre jurisprudence. Mais nous pensons que cette limitation de sa liberté́ contractuelle découle non seulement de la loi mais surtout de sa propre décision de fixer une zone de PUP. En adoptant la délibération la délimitant, la collectivité́ accepte donc sciemment de se lier les mains pour l’avenir et de proposer une convention à tout opérateur qui la demanderait lorsque les conditions légales pour le faire sont remplies ».

Relevons cependant, ainsi que le défendait la commune dans cette affaire, que l’opérateur sollicitant la conclusion de cette convention de PUP doit mettre la collectivité – par les pièces qu’il fournit – en mesure de connaître la nature et les caractéristiques du projet de manière à pouvoir appliquer la clef de répartition définie dans la zone de PUP.

Sans ces éléments, la Commune ne pourra donc pas se voir opposer l’obligation de signer cette convention de PUP dès lors qu’elle ne sera pas en mesure de s’assurer que le projet répond aux besoins des futurs habitants ou usagers du projet d’aménagement ou de construction qu’il porte. A défaut, cela reviendrait à imposer à la collectivité de signer une convention de PUP sans s’assurer du respect du principe de lien direct et du principe de proportionnalité régissant le financement des équipements publics.

Au cas présent, et au regard de la clef de répartition prévue dans le cadre de la délibération de la zone de PUP, le Conseil d’Etat a jugé que le requérant était « en droit […] de se voir proposer par la commune ou l’établissement public un projet de convention de projet urbain partenarial appliquant à l’opération en cause les modalités de répartition des coûts de ceux des équipements publics répondant aux besoins des futurs habitants ou usagers de cette opération que cette autorité a elle-même décidé de fixer. ».

Ainsi, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés de première instance en tant qu’elle a rejeté la demande de suspension par le pétitionnaire de l’exécution de la décision implicite de rejet opposée à sa demande de transmission d’un projet de convention de PUP. Pour autant, statuant au fond, le Conseil d’Etat a considéré qu’il n’y avait pas d’urgence à suspendre l’exécution de ladite décision sollicitée par le promoteur. La demande de ce dernier présentée devant le juge des référés de première instance est donc rejetée.

L’application du règlement européen Digital Service Act (DSA) aux plateformes en ligne gérées par des personnes publiques

Le Digital Service Act (ou communément appelé « DSA ») est entré en vigueur le 17 février 2024. Ce règlement européen encadre les services numériques et a souvent été mentionné comme un nouveau cadre applicable aux GAFAM (pour « Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft », plateformes qualifiées, aux termes de ce règlement, de « très grandes plateformes en lignes »).

Le DSA a cependant un champ d’application beaucoup plus large que les seules GAFAM puisque, depuis son entrée en vigueur le 17 février dernier, il s’applique à toutes les plateformes en ligne, y compris celles gérées par les personnes publiques. En effet, l’objectif du texte est de rendre l’environnement en ligne plus sûr, plus équitable et plus transparent. A ce titre, son champ d’application est défini par référence aux types de services proposés et non par référence aux catégories de personnes qui fournissent ces services.

Le champ d’application du DSA est en ce sens très large car il s’applique à tous les « services intermédiaires » proposés à des destinataires au sein de l’Union européenne (article 1 du DSA). Ces « services intermédiaires » sont définis par référence notamment à la notion de « service de la société de l’information » (article 3.g du DSA). Cette notion du droit de l’Union précède le DSA et est définie notamment par la directive 2015/1535[1] comme « tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services ».

Concernant la condition de rémunération, cette condition était déjà présente au sein de la directive 2000/31 dite « directive sur le commerce électronique »[2] qui évoque, à propos des services de la société de l’information, un « large éventail d’activités économiques qui ont lieu en ligne » qui peuvent s’étendre « à des services qui ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent ».

Ainsi, dès lors que les dispositions du DSA ne distinguent pas en fonction du public visé ou de la nature des produits ou services fournis, il n’est pas possible d’exclure l’application de ce règlement aux plateformes en ligne gérées par des personnes publiques, sous réserve que ces plateformes entrent bien dans la définition de « service intermédiaire ». A ce titre, les plateformes en ligne gérées par des personnes publiques et pour lesquelles aucune rémunération n’est prévue, que ce soit de manière directe ou indirecte, ne seront pas concernées par ce règlement.

Il convient, en outre, de ne pas omettre que certaines des obligations imposées par le DSA sont exclues pour les microentreprises (i.e. celles ayant moins de 10 salariés et un chiffre d’affaires annuel ou un total du bilan annuel n’excédant pas 2 millions d’euros) et les petites entreprises (i.e. celles qui ont moins de 50 salariés et un chiffre d’affaires annuel ou un total du bilan annuel n’excédant pas 10 millions d’euros). Cette exonération pourrait s’appliquer à certaines personnes publiques.

Les personnes publiques gérant une plateforme en ligne entrant dans le champ du DSA devront donc se conformer à un régime de responsabilité particulier qui comprend notamment la mise en place d’un système de traitement des réclamations contre les décisions prises après le signalement d’un contenu illicite, l’information des utilisateurs sur les publicités ou la mise à disposition de rapports de transparence (article 20 à 28 du DSA).

Il convient, en outre, de préciser que l’application du DSA n’exclut pas le respect par la personne publiques des autres règles nationales et européennes applicables, telles que le règlement européen « P2B »[3] ou encore les normes issues du Code de la consommation.

 

[1] Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des règlementations techniques et des règles relatives aux services de la société́ de l’information.

[2] Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société́ de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché́ intérieur, transposé par la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique dite « LCEN »).

[3] Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne.

Place à l’efficacité en matière de collecte et de stockage des eaux pluviales !

Par un arrêt en date du 19 avril 2024, le Conseil d’Etat est venu préciser l’articulation des dispositions entre plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN), le règlement national d’urbanisme (article R. 111-2 du Code de l’urbanisme) et les autorisations d’urbanisme.

Il était question de savoir si des dispositifs dits intermédiaires, comme ce qui était prévu en l’espèce (cuve de rétention et une tranchée d’infiltration très lente), pouvaient répondre aux impératifs de sécurité du Code de l’urbanisme, au même titre que la cuve de rétention d’eau utilisée traditionnellement, dès lors que le plan d’exposition aux risques ne prévoyait pas de dispositif particulier.

En l’espèce, les requérants soutenaient que le permis de construire modificatif (délivré après un sursis à statuer) s’il permettait de régulariser le vice tenant à la méconnaissance de dispositions du PLUi de Grenoble Alpes Métropole (qui s’était substitué au PLU communal) ne permettait pas de régulariser le vice entachant le permis de construire initial tenant à la gestion des eaux pluviales au regard des dispositions du plan d’exposition aux risques et de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme.

Le Conseil d’Etat trouve ici l’occasion de faire application de sa jurisprudence de principe, Commune de Fondettes du 4 mai 2011 (n° 321357) rappelant que si les dispositions du PPRN n’ont pas besoin d’être reprises dans le PLU pour être opposables aux demandes d’autorisation d’urbanisme, il revient toutefois à l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’urbanisme, « si les particularités de la situation qu’il lui appartient d’apprécier l’exigent », soit :

  • De préciser dans l’autorisation les conditions d’application d’une prescription générale ;
  • Ou de subordonner, en application des dispositions précitées de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d’autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles du plan de prévention des risques naturels prévisibles.

En l’espèce, non seulement le dispositif de gestion des eaux pluviales mis en place ne répondait pas aux exigences du PPRN mais plus encore, le terrain sur lequel l’ouvrage était projeté, étant situé dans une zone soumise à un aléa faible de glissement de terrain, les modalités retenues faisaient « nécessairement peser un risque pour la sécurité, au sens des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme » (TA Grenoble, 14 novembre 2022, n° 1902558).

Le permis de construire initial ainsi que le permis modificatif avaient alors été annulés. Toutefois, le Conseil d’Etat relève qu’il ressortait d’un rapport géotechnique du bureau d’études Kaéna que la solution retenue par le pétitionnaire proposait « une infiltration très lente, comparable dans son principe à celui d’une cuve de rétention ». Ainsi, si les dispositions du PPRN visaient à éviter tout système d’infiltration concentrée, le Conseil d’Etat a souligné qu’elles ne prescrivaient pas de dispositif particulier et que le système mis en place permet « drainage efficace […] autour des constructions » au sens de ces dispositions :

« 4. Il en ressort également que ce type de dispositif de collecte et de stockage intermédiaire des eaux pluviales avant une infiltration très lente, comparable dans son principe à celui d’une cuve de rétention comme celle qui avait été prévue à l’origine et estimée par l’étude Kaéna à 0,05 litre par seconde, constitue un drainage efficace des eaux pluviales autour des constructions au sens de l’article 3.4.2.1 du chapitre 2 du titre I du règlement du plan d’expositions aux risques, dont les dispositions ne prescrivent pas un dispositif particulier. En jugeant néanmoins qu’un tel dispositif d’infiltration à la parcelle méconnaissait les dispositions de l’article 3.4.2.1 du chapitre 2 du titre I du plan d’exposition aux risques dont les prescriptions visent à éviter tout système d’infiltration concentrée et qu’il présentait un risque pour la sécurité au sens de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, le tribunal administratif, qui n’a en outre pas recherché si des prescriptions spéciales complétant celles déjà prévues par le permis modificatif délivré par le maire de La Tronche n’étaient pas de nature à en assurer la légalité au regard de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, a, comme le soutient le pourvoi, implicitement jugé que seul un dispositif organisé sous forme de cuve de rétention répondrait aux exigences du règlement du plan d’exposition aux risques de La Tronche pour la collecte des eaux pluviales et a, ce faisant, commis une erreur de droit. Par suite, son jugement doit être annulé pour ce motif, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi. ».

Pour le Conseil d’Etat, il est donc possible de recourir à des dispositifs de gestion des eaux pluviales intermédiaires, dès lors que ceux-ci assurent un drainage comparable à une cuve de rétention et efficace sur le terrain.

En considération de la conformité du système de drainage au PPRN, et dans la mesure où les juges du fond n’avaient examiné le nouveau système d’infiltration des eaux pluviales prévues par le PCM (ajoutant la tranchée d’infiltration) au regard de l’existence d’un éventuel risque pour la sécurité au sens de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a reconnu l’erreur de droit commise par les juges du fond.

D’un point de vue opérationnel, l’arrêt rendu par les juges de cassation éclaire les rédacteurs des documents d’urbanisme sur le degré de précision de leurs dispositions. Les articles de ces documents peuvent se contenter de prescrire les objectifs et les impératifs de sécurité auxquels les projets doivent se soumettre, mais ne doivent pas nécessairement prévoir les solutions devant être retenues par les pétitionnaires. Il appartiendra à ces derniers d’opter pour les dispositifs répondant de manière efficace aux contraintes inhérentes au terrain d’implantation de leur projet.

Précisions sur la mesure de remise en état des lieux prononcée par un juge pénal

Cass. Crim., 6 février 2024, n° 23-81.748

Par deux arrêts de la chambre criminelle en date du 6 février 2024, la Cour de cassation a précisé le champ d’application et les modalités de la mesure de mise en conformité des lieux ordonnée sur le fondement des articles L. 480-5 et L. 610-1 du Code de l’urbanisme à la suite d’une condamnation pénale.

Aux termes du premier arrêt (pourvoi n° 23-81.748), la Cour de cassation a statué sur l’application de la mise en conformité en cas d’infractions aux règles fixées par le Plan local d’urbanisme (PLU).

En l’espèce, une société et une personne physique ont été poursuivies pour avoir utilisé le sol en méconnaissance du PLU, le bâtiment principal de la société, initialement destiné à un usage aquacole – stocker et conditionner des crustacés -, s’étant progressivement transformé en poissonnerie et en restaurant. En cause d’appel, les juges du fond ont confirmé le jugement déféré en ce qu’il a déclaré les prévenus coupables des faits reprochés, considérant que l’activité de restauration ne constituait pas un accessoire de l’activité aquacole mais était prédominante d’un point de vue économique.

La Cour d’appel a également ordonné la remise en état des lieux conformément au permis de construire, aux motifs que « les permis avaient été délivrés compte tenu de l’activité d’ostréiculture du prévenu et de ses déclarations sur la nature des travaux envisagés telle qu’elle figurait dans ses demandes de permis de construire » relatives à une activité aquacole et qui ne « mentionnaient pas ce qui s’est finalement révélé être un changement de destination, avec la création d’une activité de restauration. » Les demandeurs au pourvoi ont alors fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir ordonné une telle remise en état, cependant qu’elle n’était pas saisie de faits de travaux réalisés en méconnaissance du permis de construire, mais uniquement du défaut de conformité de l’activité effectivement exercée au règlement du PLU.

La Cour de cassation a ainsi pu préciser que les infractions aux dispositions des PLU peuvent donner lieu à une remise en état, la « seule circonstance que l’infraction porte sur l’utilisation des bâtiments de manière non conforme à celle autorisée par le PLU ne faisant pas obstacle à ce qu’une telle mesure à caractère réel soit prononcée » ; par ailleurs, la Cour d’appel qui était saisie des infractions consistant à avoir, en violation du PLU n’y autorisant que les activités aquacoles, dédié la partie supérieure d’un bâtiment à une activité commerciale de restauration, n’a pas excédé sa saisine en ordonnant une telle mesure, dès lors que ces permis de construire, dont les préconisations n’ont pas été respectées, avaient été délivrés en application de ce document de planification et sur le fondement de l’activité d’ostréiculteur du demandeur.

Aux termes du second arrêt (pourvoi n° 22-82.833), la Cour de cassation s’est prononcée sur la nature de l’astreinte assortissant la remise en état et ses conséquences en termes de motivation.

En l’espèce, une personne physique a été poursuivie des chefs d’exécution de travaux sans permis de construire et de poursuite de travaux malgré une décision judiciaire ou un arrêté en ordonnant l’interruption. Les juges du premier degré l’ont déclarée coupable de ces faits et l’ont condamnée à remettre en état les lieux sous astreinte de 50 euros par jour de retard. La Cour d’appel a confirmé le jugement déféré sauf en ce qui concerne l’astreinte, qu’elle a portée à hauteur de 100 euros par jour de retard passé un délai de six mois.

Et c’est en vain que la demanderesse au pourvoi fait grief à la cour d’appel de n’avoir pas motivé sa décision au regard des revenus et des charges de la prévenue. En effet, la Cour de cassation a jugé que l’astreinte « prononcée au titre de l’article L. 480-5 du Code de l’urbanisme, étant une mesure comminatoire, qui a pour objet de contraindre son débiteur à exécuter une décision juridictionnelle et non de le sanctionner à titre personnel, n’a pas, en l’absence de tout texte le prévoyant à être motivée au regard des ressources et des charges du prévenu ».

Garde à vue : une précision importante sur l’obligation d’information du procureur de la République

Aux termes des dispositions du second alinéa de l’article 63 du Code de procédure pénale, l’officier de police judiciaire doit informer le procureur de la République du placement en garde à vue d’une personne, « dès le début » « par tout moyen ». A cette occasion, il l’avise des motifs qui justifient cette mesure et de la qualification des faits notifiés au gardé à vue. La jurisprudence de la chambre criminelle considère que cette obligation d’information n’est soumise à aucun formalisme particulier.[1]

Néanmoins, s’il suffisait auparavant que le procès-verbal indique que le procureur avait été « informé, dès le début, de la mesure de garde à vue »[2] ou « avisé de la mesure de garde à vue immédiatement »[3], par la décision en date du 6 mars 2024, la Cour de cassation renforce la protection des personnes placées en garde à vue en jugeant que :

 

« […] faute d’indiquer l’heure à laquelle a été donné l’avis contesté, le procès-verbal dressé par l’officier de police judiciaire n’établit pas que le procureur de la République a été informé du placement en garde à vue […] dès le début de cette mesure […] ».[4]

En l’espèce, le mis en cause avait formé un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles l’ayant condamné a :

  • Cinq mois d’emprisonnement avec sursis probatoire et cinq ans d’interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation pour violence aggravée et outrage ;
  • 300 euros d’amende pour mauvais traitement envers un animal domestique.

Le prévenu reprochait notamment à la Cour d’avoir confirmé le jugement en ce qu’il avait rejeté l’exception de nullité tirée du caractère tardif de l’avis adressé au parquet lors de son placement en garde à vue. De fait, par suite de son placement en garde à vue le 20 janvier 2020 à 8 heures 25, le procès-verbal établit par l’officier de police judiciaire indiquait que le procureur de la République avait été avisé de la garde à vue sans préciser l’heure de cet avis. A ce propos, la chambre criminelle relève que :

« Pour rejeter l’exception de nullité tirée de l’information tardive du procureur de la République sur la mesure de garde à vue, l’arrêt attaqué se borne à énoncer que ce magistrat en a été avisé quasi immédiatement ».[5]

Elle estime alors que la cassation de l’arrêt est encourue car, en l’absence d’indication de l’heure sur le procès-verbal d’avis au parquet, le juge pénal ne peut s’assurer que le procureur a été informé dès le début de la mesure, comme l’exige le texte. Or, « tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par des circonstances insurmontables, fait nécessairement grief aux intérêts de ladite personne. »[6] et entraîne la nullité de la garde à vue, comme il en ressort de la jurisprudence constante de la Cour de cassation.[7] Notons que cette évolution jurisprudentielle renforce la protection des droits du gardé à vue au même titre que la loi récente d’adaptation au droit de l’Union européenne du 22 avril 2024[8] dans laquelle, trois points ont notamment été abordés :

  • La possibilité pour le gardé à vue de choisir librement le tiers qu’il veut prévenir[9] ;
  • La suppression du délai de carence de deux heures au terme duquel l’audition peut commencer sans avocat[10];
  • La suppression de la possibilité de commencer immédiatement l’audition sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République lorsque les « nécessités de l’enquête l’exigent»[11] .

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[1] Cass. Crim., 14 avr. 2010, no 10-80.562 

[2] Cass. Crim., 15 mars 2011, n°09-88.083 

[3] Cass. Crim., 9 novembre 2010, n°10-85.278

[4] §9 de la décision

[5] §8 de la décision

[6] §7 de la décision

[7] Cass. Crim., 10 mai 2001, no 01-81.441 ; Cass. Crim., 24 mai 2016, n°16-80.564

[8] Loi n°2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole

[9] Article 63-2 du Code de procédure pénale

[10] Article 63-4-2 du Code de procédure pénale

[11] Article 63-4-2 alinéa 3 du Code de procédure pénale

Notifier la sanction avant la réception de l’avis du conseil de discipline ? C’est oui pour la Fonction Publique Territoriale !

Par une décision en date du 23 novembre dernier, la Cour administrative d’appel de Lyon est venue rappeler qu’une sanction disciplinaire peut être notifiée à l’agent, et donc entrer en vigueur, avant même que le procès-verbal de la séance du conseil de discipline, également appelé « avis » ne soit établi et adressé à l’agent.

Pour mémoire, les textes applicables sont les suivants :

  • L’article L. 532-5 CGFP :
  • « Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe de l’échelle des sanctions de l’article L. 533-1 ne peut être prononcée à l’encontre d’un fonctionnaire sans consultation préalable de l’organisme siégeant en conseil de discipline au sein duquel le personnel est représenté.
    L’avis de cet organisme et la décision prononçant une sanction disciplinaire doivent être motivés
    ». ;
  • L’article 14 du décret 89-677 du 18 septembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires territoriaux : « L’avis émis par le conseil de discipline est communiqué sans délai au fonctionnaire intéressé ainsi qu’à l’autorité territoriale qui statue par décision motivée […]».

A aucun moment il n’est donc imposé que l’avis ait été notifié à l’agent avant de prendre la décision, et c’est en effet ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans sa décision n° 444511 du 15 octobre 2021, publiée aux Tables : « les dispositions précitées n’imposent pas que la communication à l’agent de l’avis du conseil de discipline intervienne, à peine d’illégalité de la décision de sanction, avant que cette décision ne soit prise. »

D’ailleurs, le Conseil d’Etat dans cette décision censure la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui elle, avait considéré que la communication préalable de l’avis était nécessaire mais qu’elle ne constituait pas une garantie pour l’agent au sens de la jurisprudence Danthony. Il a ainsi substitué à ce motif erroné sur lequel la Cour s’était fondée celui tiré de ce que le défaut de communication à l’agent de l’avis du conseil de discipline préalablement à l’intervention de la décision lui infligeant une sanction n’était pas de nature à entacher d’illégalité de cette décision.

Les conclusions du Rapporteur public sous cette décision, lesquelles sont particulièrement éclairantes, opposent la FPE justement à la FPH et à la FPT pour en conclure qu’il n’est pas nécessaire de communiquer préalablement l’avis pour prendre la sanction. En réalité, la question est celle de la portée d’une décision concomitante du Conseil d’Etat (n° 435352 du 12 février 2021) aux termes de laquelle :

« Aucun avis motivé de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline le 21 juillet 2016 pour examiner le cas de M. A… ni même aucun procès-verbal de sa réunion n’ayant été produits au dossier, l’exigence de motivation de l’avis du conseil de discipline prévue par les dispositions citées au point précédent, qui constitue une garantie, ne peut être regardée comme ayant été respectée ».

Au-delà du fait que cette décision est rendue en matière de FPE (avec un texte différent de celui de la FPT et de la FPH), l’exigence est donc uniquement celle de pouvoir démontrer l’existence, à savoir la réalité, de l’avis du conseil de discipline. Et cette preuve peut être rapportée à tout moment de la procédure juridictionnelle. C’est cette analyse qui est confirmée par la décision rendue par la Cour Administrative d’Appel de Lyon le 23 novembre 2023, n° 23LY00310 :

« L’exigence de motivation de l’avis de la commission administrative paritaire compétente siégeant en conseil de discipline constitue une garantie. Cette motivation peut être attestée par la production, sinon de l’avis motivé lui-même, du moins du procès-verbal de la réunion de la commission administrative paritaire comportant des mentions suffisantes ».

En synthèse : on peut notifier la sanction avant de recevoir le procès-verbal du conseil de discipline, mais à condition de pouvoir rapporter la preuve de ce dernier devant le juge.

Le régime particulier de réparation des accidents de service des agents contractuels

La réparation des accidents de service des agents contractuels de la fonction diffère drastiquement des règles applicables aux fonctionnaires. Les agents contractuels ne peuvent en effet rechercher la responsabilité sans faute de leur employeur devant le juge administratif à l’instar des fonctionnaires pour obtenir la réparation de leurs préjudices notamment personnels (CE, 4 juillet 2003, Moya-Caville, n°211106).

L’agent contractuel peut en revanche exercer une action en réparation de l’ensemble des préjudices résultant de cet accident, non couverts, par le livre IV du code de la sécurité sociale, contre son employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de ce dernier, ou contre une personne autre que l’employeur ou ses préposés, conformément aux règles du droit commun, lorsque la lésion dont il a été la victime est imputable à ce tiers.

Cependant, le Conseil d’état a admis que les agents contractuels recherchent devant le juge administratif la responsabilité de leur employeur pour solliciter la réparation du préjudice que lui a causé l’accident du travail dont il a été victime, à la double condition que ce préjudice ne n’ait pas été réparé par application du Code de la sécurité sociale, et lorsque cet accident est dû à la faute intentionnelle de cet employeur ou de l’un de ses préposés (CE, 22 juin 2011, n° 320744).

La Cour administrative d’appel de Versailles est venue apporter récemment une illustration à ce principe et préciser la notion de faute intentionnelle. Cette juridiction avait été saisie par la requête indemnitaire d’un agent contractuel afin d’obtenir la condamnation du centre hospitalier qui l’employait à lui verser la somme totale de 50 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d’existence ainsi que des préjudices financiers et moraux qu’il aurait subis à la suite de son accident de service et du harcèlement moral dont il estime avoir fait l’objet.

La Cour administrative d’appel a d’abord rappelé les règles évoquées ci-dessus, à savoir qu’un agent contractuel de droit public peut demander au juge administratif la réparation par son employeur du préjudice que lui a causé l’accident du travail dont il a été victime, dans la mesure où ce préjudice n’est pas réparé par application du Code de la sécurité sociale, lorsque cet accident est dû à la faute intentionnelle de cet employeur ou de l’un de ses préposés. En revanche, elle a également rappelé qu’un agent contractuel de droit public, dès lors qu’il ne se prévaut pas d’une faute intentionnelle de son employeur ou de l’un des préposés de celui-ci, ne peut exercer contre cet employeur une action en réparation devant les juridictions administratives sur le seul fondement d’un accident du travail dont il a été la victime.

Examinant, après ces rappels, la situation dont elle était saisie, la Cour a relevé que l’accident de l’agent qui résultait d’une chute sur le sol mouillé de son lieu de travail, et qu’elle n’était donc imputable à aucune faute intentionnelle de l’employeur. Le juge relève ainsi qu’il n’est pas démontré que l’agent de service, chargé du nettoyage de la zone où la victime de l’accident avait chuté, aurait volontairement omis de poser des panneaux de signalisation dans l’objectif de faire chuter ce dernier. Elle en a déduit qu’il n’était pas démontré que son accident de service résulterait d’une faute intentionnelle de son employeur, qui se caractériserait, selon le juge, par des actes volontaires accomplis dans l’intention de causer des lésions corporelles ou un dommage psychologique.

Dès lors, en l’absence de tels actes volontaires de l’administration ou de l’un de ses agents, la responsabilité administrative de l’employeur ne peut être engagée par l’agent contractuel victime d’un accident de service.

L’absence d’obligation de l’administration d’informer son agent de son droit à être assisté d’un délégué du personnel lors d’une enquête administrative

Par une décision en date du 27 février 2024, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a précisé que la circonstance qu’un agent n’ait pas été informé de la possibilité d’être assisté d’un délégué du personnel lors d’entretiens menés dans le cadre d’une enquête administrative, dès lors qu’elle n’avait pas été diligentée à son encontre, n’était pas de nature à caractériser une volonté de nuire.

En l’espèce, un agent de maintenance aux services techniques de la commune de Biganos a été temporairement exclu de ses fonctions pour une durée de deux ans pour avoir volé du carburant au détriment de son employeur. L’intéressé avait, de surcroît, été condamné pour ces faits par un jugement du Tribunal correctionnel de Bordeaux confirmé par un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux le 25 avril 2018.

L’agent a saisi le Tribunal administratif de Bordeaux d’une demande de condamnation de la commune à lui verser la somme de 200 000 euros en réparation du harcèlement moral dont il s’était estimé victime. Ces conclusions ont été rejetées par le Tribunal et cette décision a été confirmée en appel. L’intérêt de l’arrêt réside dans un point particulier du litige : l’agent estimait que le harcèlement moral dont il se prévalait résidait notamment dans la circonstance qu’il n’avait pas été informé d’un droit à être assisté d’un délégué du personnel dans le cadre de cette enquête. Répondant sur ce point, la Cour administrative d’appel a considéré que l’enquête administrative qui avait été conduite, et lors de laquelle l’agent avait avoué les vols pour lesquels il a été sanctionné, n’était pas une enquête disciplinaire dirigée contre le requérant, mais une enquête administrative dont la portée était plus générale. Pour cette raison, la Cour a considéré que l’absence d’information du droit d’un agent d’être assisté d’un délégué du personnel lors des auditions menées dans le cadre d’une enquête administrative ne caractérisait pas une intention de nuire. L’importance de la charge émotionnelle de l’intéressé au cours de ces entretiens, durant lesquels il a d’ailleurs reconnu les faits, est sans incidence à cet égard.

Autrement dit, la Cour semble ici affirmer que la collectivité n’avait aucune obligation d’informer son agent lors de la convocation à ces entretiens de sa possibilité de se faire assister par le représentant de son choix, dès lors que l’enquête administrative n’était pas dirigée contre lui et ne revêtait donc pas un caractère disciplinaire.

L’arrêt pose ici la distinction qu’il réaffirme entre l’enquête administrative et l’enquête disciplinaire. Alors que les droits de la défense se renforcent en matière disciplinaire, allant jusqu’à l’annulation d’une sanction prise contre un fonctionnaire au motif qu’il n’avait pas été informé de son droit de se taire lors de la procédure disciplinaire (CAA Paris, 2 avril 2024, n°22PA03578), l’enquête administrative, si elle n’est pas dirigée contre un agent en particulier en vue de lui infliger une sanction, n’est pas encadrée par de tels droits, alors même que l’enquête aboutirait à établir l’existence d’une faute disciplinaire.

Reste à connaître le sort de cette jurisprudence : la distinction entre enquête administrative et disciplinaire n’est que peu précisée par la décision, et les conséquences, le cas échéant, d’un défaut d’information pendant une enquête dite « disciplinaire » ne sont pas non plus précisées, l’analyse faite par la Cour de Bordeaux se limitant au seul cadre de la qualification de harcèlement.

Du « botox » dans les effectifs : la volonté de rajeunir les effectifs peut justifier le refus de maintenir en activité un fonctionnaire au-delà de la limite d’âge

Dans une décision rendue le 11 avril 2024, le Conseil d’Etat a considéré que l’employeur public, dans le cadre de l’intérêt du service, peut refuser de faire droit à la demande d’un fonctionnaire tendant à être maintenu en activité au-delà de la limite d’âge, au motif qu’il préfère privilégier le recrutement de jeunes agents. Et la Haute Juridiction de ne pas y voir un motif discriminatoire.

Dans cette affaire, un inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, ayant atteint la limite d’âge de 67 ans, avait sollicité auprès du ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse son maintien en activité jusqu’à l’âge de 70 ans. Son employeur avait refusé de faire droit à cette demande, se fondant sur la nécessité de renouveler, dans l’intérêt du service, la composition du service par le recrutement d’inspecteurs plus jeunes. Si le Tribunal administratif de Paris, statuant en référé, a pu voir dans cette prise en compte de l’âge de l’intéressé un motif discriminatoire susceptible de faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision, le Conseil d’Etat n’a pas partagé cette analyse.

En effet, ce dernier a estimé, pour sa part, que les dispositions permettant à un agent de demander à prolonger son activité jusqu’à l’âge de 70 ans (en l’espèce celles de l’article L. 556-1 du Code général de la fonction publique), « confèrent à l’autorité compétente un large pouvoir d’appréciation de l’intérêt, pour le service, d’autoriser un fonctionnaire atteignant la limite d’âge à être maintenu en activité ». Et le Conseil d’Etat d’en déduire que l’autorité administrative « peut ainsi, notamment, se fonder sur l’objectif tendant à privilégier le recrutement de jeunes agents par rapport au maintien en activité des agents ayant atteint la limite d’âge ».

Rappelons à cet égard que les dispositions spécifiques relatives à la limite d’âge des fonctionnaires ne prévoient pas de droit au maintien en activité au-delà de cette limite, mais au contraire l’obligation pour l’agent qui souhaite travailler au-delà de 67 ans de demander l’accord de son employeur, qui doit alors prendre en considération l’intérêt du service et l’aptitude de l’agent pour accorder, ou non, un maintien en fonctions.

De ces dispositions, et ainsi qu’il l’avait déjà admis sous l’empire des textes précédant l’adoption du Code général de la fonction publique (CE, 21 septembre 2020, n° 425960, le Conseil d’Etat en a logiquement déduit l’existence d’un « large pouvoir d’appréciation » au bénéfice de l’administration, s’agissant d’autoriser ou non un agent à se maintenir en activité au-delà de la limite d’âge.

Jusqu’alors, les Juridictions du fond avaient pu admettre, en la matière, le bien fondé de décisions de refus de prolongation d’activité au-delà de la limite d’âge, voyant de « l’intérêt du service » dans l’existence de « mesures d’économies budgétaires au nombre desquelles figure le départ à la retraite d’un enseignant » (CAA de Versailles, 1er décembre 2016, n° 15VE01255), une politique en cours de restructuration du service (CAA de Paris, 20 octobre 2015, n° 14PA00781), la prise en compte du comportement de l’agent inadapté au fonctionnement d’un service (CAA de Marseille, 10 janvier 2023, n° 21MA00595), ou encore une fin de carrière « marquée par une relation conflictuelle avec sa hiérarchie » susceptible d’affecter le bon fonctionnement du service (CAA de Marseille, 26 janvier 2021, n° 19MA01368).

A ce catalogue, le Conseil d’Etat vient aujourd’hui ajouter, par sa décision en date du 11 avril 2024, le motif tiré du rajeunissement des effectifs. Considérant que le motif tenant à la volonté de rajeunir les effectifs (et donc tenant, indirectement, à une prise en compte de l’âge de l’agent) pouvait caractériser un intérêt du service sur lequel pouvait légalement se fonder l’administration pour refuser le maintien en activité.

L’appréciation ainsi portée sur l’âge du fonctionnaire ne traduisant pas l’existence d’une discrimination. Pour reprendre les mots de Monsieur Marc PICHON de VENDEUIL, Rapporteur public sur cette affaire, « l’article L. 556-1 du CGFP n’interdit nullement – au contraire – à l’administration de mettre en œuvre une politique de recrutement répondant le cas échéant à des impératifs démographiques, qui sont eux-mêmes de nature à caractériser l’intérêt du service et donc à justifier un éventuel refus ».  Une position au demeurant conforme à la jurisprudence européenne (CJUE, 21 juillet 2011, n°C-159/10 et n°C-160/10), derrière laquelle s’était déjà retranché le Conseil d’Etat concernant le principe de fixation d’une limite d’âge pour une mise à la retraite pour ancienneté, en jugeant que l’objectif visant à promouvoir l’accès à l’emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l’âge (CE, 22 mai 2013, n°351183).

Indiquons enfin que dans une décision du même jour, rendue sous le n° 490652, le Conseil d’Etat a adopté la même solution s’agissant du refus opposé à une demande de maintien en activité au-delà de la limite d’âge sollicitée par une inspectrice générale des finances sur le fondement de l’article 1er de la loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986 (CE, 11 avril 2024, n° 490652).

Pour résumer, refuser le maintien en activité d’un fonctionnaire ayant atteint la limite d’âge c’est possible, au nom de l’intérêt du service, dans le but de rajeunir les effectifs. Mais attention à ne pas céder au réflexe que pourrait inspirer cette décision et à faire de l’impératif démographique un motif stéréotypé, en se dispensant de motiver et de justifier, à partir d’éléments tangibles, la décision de refus de maintien en activité au-delà de 67 ans. 

Extension de l’expérimentation permettant aux infirmiers d’établir les certificats de décès

Ainsi que nous le commentions alors dans notre précédente LAJEE, le ministre de la Santé et de la prévention avait annoncé dans une réponse ministérielle de novembre 2022 la mobilisation prochaine des infirmiers dans l’établissement des certificats de décès. Un mois plus tard, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 est publiée et prévoit en son article 36 qu’à titre expérimental l’Etat peut autoriser les infirmières et infirmiers à signer les certificats de décès, tout en renvoyant à un décret le soin de déterminer les modalités de cette expérimentation.

C’est ainsi qu’un décret du 6 décembre 2023 est venu prévoir que, dans les régions participant à cette expérimentation (précisées par arrêté), les infirmiers volontaires inscrits sur une liste prévues à cet effet peuvent pour établir le certificat de décès d’une personne. Au-delà de sa limitation géographique cette prérogative était alors enfermée dans de strictes conditions prévues par l’article 3 de ce décret, parmi lesquelles figurent en premier lieu l’indisponibilité d’un médecin dans un délai raisonnable (y compris retraité dans les conditions prévues par l’article R. 2213-1-1-1 du CGCT). Ces deux exigences ont été supprimées par le décret du 23 avril 2024 ici commentée. En effet, par son article 1er celui-ci étend l’expérimentation susvisée au territoire nationale et supprime la condition tenant à l’indisponibilité d’un médecin.

Ce dispositif de secours demeure tout de même encadré. On observera notamment que seuls les infirmiers diplômés depuis plus de trois ans et ayant suivi une formation de douze heures à cette fin pourront y participer. En outre, ils ne peuvent pas établir de certificats de décès pour les personnes mineurs ou lorsque le caractère violent du décès de la personne est manifeste.

Reste à savoir si cet assouplissement permettra de réduire la longueur des délais d’établissement des certificats de décès, souvent subis par les familles endeuillées (voir en ce sens notre précédente brève).

La loi Economie Sociale et Solidaire fête ses 10 ans : bilan et perspectives du secteur de l’ESS

L’heure du focus annuel de la Lettre d’actualités juridiques dédié à l’Economie Sociale et Solidaire est arrivée. Dans la droite ligne des Lettres d’actualités juridiques parues en 2022 (numéro #128) et en 2023 (numéro #143), le focus est consacré, cette année, aux 10 ans de la Loi ESS, dite « Loi Hamon », promulguée le 31 juillet 2014. Il est aussi l’occasion de faire écho à la récente nomination de Sara BEN ABDELADHIM comme directrice du secteur « économie sociale et solidaire » au sein du cabinet et qui a pris la plume pour la rédaction de ce focus.

Très engagé aux côtés de tous les acteurs de l’ESS, SEBAN AVOCATS, dont l’ADN est l’intérêt général, est heureux d’étoffer son équipe d’avocats dédiés à l’ESS pour les accompagner, avec les autres équipes du cabinet, dans toutes leurs problématiques de droit privé, public et pénal. Bonne lecture.

Audrey LEFEVRE, avocate associée

 

La Loi ESS, également connue sous le nom de « Loi Hamon », s’apprête à fêter ses dix ans puisqu’elle a été promulguée le 31 juillet 2014. Cet anniversaire est ainsi l’occasion de faire un nécessaire bilan de ce mode alternatif de développement économique.

Nous sommes heureux de constater que l’ESS est un mode d’entreprendre qui gagne aujourd’hui du terrain selon le dernier état des lieux de l’Observatoire de l’Economie Sociale, publié en 2022, et occupe aujourd’hui une place significative au sein de l’économie française. En effet, l’ESS représente plus de 2 millions d’emplois salariés pour plus de 220 000 établissements employeurs, soit environ un emploi salarié sur dix. L’ESS est présente dans tous les secteurs d’activités (l’action sociale, l’enseignement, la santé, les arts et spectacles, les activités financières et d’assurance, le sport et les loisirs, l’agriculture…) et s’invite également dans de nouvelles filières telles que le BTP, les médias, le textile…

En l’espace de 10 ans, l’ESS a ainsi gagné en notoriété auprès du grand public, représentant l’idéal d’une économie plus respectueuse de la personne, plus sobre, et favorisant différentes transitions (inclusive, verte et numérique). Ce secteur séduit notamment par l’idée centrale selon laquelle les acteurs de l’ESS ne sont pas motivés par la lucrativité, mais par le développement de projets au service de l’intérêt collectif.

C’est à partir de ce postulat que la Loi Hamon a posé, pour la première fois en France, une définition de l’Economie Sociale et Solidaire, reposant sur trois conditions :

  • Le but poursuivi est autre que le seul partage des bénéfices ;
  • La gouvernance adoptée est démocratique en prévoyant la participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise, ce qui place ainsi l’acteur au cœur du mouvement ESS ;
  • La gestion de l’entreprise a pour objectif principal le maintien ou le développement de son activité.

Cette loi a eu pour rôle essentiel d’élargir le périmètre de l’ESS, qui reposait jusque-là historiquement sur les associations, coopératives et mutuelles, à l’ensemble des acteurs du secteur non lucratif comme les fonds de dotations, les fondations et aussi les sociétés commerciales (sous réserve, pour ces dernières de remplir certaines conditions évoquées plus haut). Ainsi, et alors que le modèle anglo-saxon repose sur les charities et organismes non profit, la France a opté pour un modèle alliant véritablement financements publics et privés.

L’ambition a été de créer un cadre juridique et d’aider les associations (qui continuent de représenter la majorité des acteurs de l’ESS) à changer d’échelle, en structurant par exemple le régime des fusions entre associations (issu du Décret n° 2015-832 du 7 juillet 2015 pris pour l’application de la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire et relatif aux associations, en grande partie inspiré du régime simplifié de fusion applicable aux sociétés).

Cette reconnaissance institutionnelle était devenue indispensable au développement de l’ESS et a sans aucun doute permis la structuration du secteur grâce à la reconnaissance d’organisations représentatives au niveau national et local et en créant des instances de débat avec l’Etat et les collectivités.

Malgré ce bilan positif, on constate encore des obstacles importants au développement de l’ESS en France, tel que l’insuffisance chronique de la volonté politique de soutien à l’ESS.

L’enjeu de l’emploi et de l’engagement bénévole dans l’ESS

Le développement de l’ESS devra faire face à deux enjeux majeurs en vue de solidifier la professionnalisation des emplois de ce secteur.

Tout d’abord, il existe une véritable difficulté d’attractivité de ce secteur due à de nombreux facteurs que sont le manque de valorisation des métiers, les faibles rémunérations, la multiplication des CDD, le temps partiel subi (tout particulièrement dans les métiers des secteurs sociaux et médico-sociaux). On dénombrerait aujourd’hui près de 100 000 emplois non pourvus dans certains secteurs essentiels de l’ESS selon l’UDES. Une meilleure reconnaissance des formations est aujourd’hui capitale.

Il est également à noter que le développement de l’ESS repose encore essentiellement sur l’engagement bénévole. Or, le recul de l’âge légal de départ à la retraite constitue une menace sur cet engagement puisque les bénévoles sont, encore aujourd’hui, en majorité des retraités. L’engagement des jeunes générations est essentiel à l’avenir de la branche non lucrative de l’ESS, rendant urgente la revalorisation du statut de bénévole.

En ce sens, la Loi n° 2024-344 du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative pourra jouer un rôle non négligeable notamment en favorisant l’engagement et la formation des bénévoles :

  • L’accès aux droits de formations est facilité ;
  • Les conditions de recours au congé d’engagement sont assouplies ;
  • Les activités bénévoles permettent désormais d’acquérir des droits inscrits sur le compte personnel de formation (CPF) ;
  • Le mécénat de compétence est encouragé grâce à l’ouverture à l’ensemble des entreprises (suppression du seuil d’au moins 5 000 salariés) et à l’allongement de deux à trois ans de la durée limite de mise à disposition du personnel sous cette forme ;
  • Les salariés ont désormais la possibilité de faire don de leurs congés payés ou RTT non pris au profit d’associations ou de fondations et de bénéficier à ce titre d’un avantage fiscal.

Outre ces mesures visant à faciliter le bénévolat, cette loi du 15 avril 2024 simplifie la vie associative en facilitant par exemple les conditions de prêt entre associations et l’organisation de lotos et tombolas solidaires.

Si ces mesures sont les bienvenues, on pourrait toutefois encore déplorer que l’ouverture du régime de « groupe TVA » n’ait pas été ouvert aux associations comme le proposait initialement la proposition de loi.

On retiendra toutefois que le Gouvernement est chargé de remettre dans un délai d’un an un rapport évaluant la performance de ces mesures et présentant des pistes nouvelles afin d’encourager encore l’engagement bénévole.

L’essor du mécénat dans l’ESS

Si l’engagement bénévole constitue l’une des ressources humaines essentielles de l’ESS, le mécénat constitue pour sa part une ressources financières importante qui n’a cessé de prendre de l’importance ces dix dernières années, comme en atteste l’analyse publiée par la DGFIP en janvier dernier (DGFiP Analyses n°06 – janvier 2024). Cette analyse chiffrée revient sur la période 2011-2021 et retrace l’évolution du nombre de donateurs et du montant de leurs dons ouvrant droit à une réduction d’impôt.

Il en ressort une hausse significative des dons sur cette période puisqu’en 2021, 5,9 milliards d’euros de dons ont été déclarés à l’administration fiscale, dont 3,3 milliards d’euros correspondent aux dons des particuliers, soit une augmentation de 50 % en 10 ans. Les dons des entreprises ont doublé sur cette période, étant précisé que le nombre d’entreprises mécènes a triplé en 10 ans. Il est intéressant de noter que bien que les dons de très petite entreprise progressent depuis 2015, les dons de grandes entreprises représentent chaque année la moitié des dons déclarés (ces dons transitent bien souvent par leurs fondations).

Cette progression démontre le fait que le secteur non lucratif de l’ESS repose sur des modèles juridiques solides (les fondations et fonds de dotation), bien que la multiplication des formes de fondations puisse quelque peu complexifier la démarche des mécènes qui peinent parfois à identifier le véhicule adéquat pour leur projet d’intérêt général, lequel repose bien souvent sur un modèle économique incluant le financement privé par le mécénat. Cette difficulté touche également les sociétés du type SEM ou SPL pour lesquelles les contraintes liées la présence de personnes publiques dans le capital devront être tout particulièrement prises en considération préalablement à tout montage incluant du mécénat.

En matière de mécénat, on rappellera également que cette pratique, avec celle du parrainage, n’est pas sans risque. Ceci a été rappelé récemment par l’Agence française anticorruption (AFA) au sein de son nouveau guide « sécuriser les opérations de mécénat et de parrainage des entreprises » publié en mars 2024. Parmi les risques identifiés au sein de ce guide, on citera par exemple la corruption, le trafic d’influence, la prise illégale d’intérêts, le favoritisme, le détournement de biens publics ou encore la concussion.

Ainsi, et avec la multiplication du nombre de dons, la prévention de ces risques par les associations et autres organismes sans but lucratif bénéficiaires ainsi que les mécènes doit impérativement être prise en compte sous forme de gouvernance, cartographie des risques, politiques et procédures, formation, contrôles internes, etc.

 Perspectives

La récente rencontre européenne intitulée « l’économie sociale au cœur des transitions » qui s’est déroulée les 12 et 13 février 2024 à Liège, en Belgique, dans le cadre de la présidence belge de l’Union européenne (UE) a été l’occasion pour les ministres en charge de l’Economie Sociale et Solidaire des États membres de signer une feuille de route visant à esquisser l’avenir de l’ESS au sein de l’Union, sous la forme de 25 recommandations adressées aux organes de gouvernance de l’Union européenne, signées par 21 Etats membres.

Plusieurs recommandations fortes ressortent de cette feuille de route :

  • Inclure le développement de l’ESS dans ses orientations politiques 2024-2029 et dans ses programmes de travail annuels, ainsi que d’attribuer la responsabilité de l’ESS à l’un des commissaires en poste ;
  • Encourager l’innovation sociale par le développement et le financement de groupements d’acteurs, d’incubateurs d’entreprises d’économie sociale, de clusters d’innovation sociale et de micro-projets, ainsi que par la mise en place de réseaux locaux capables de mettre en œuvre des coopérations efficaces pour structurer la réponse aux besoins territoriaux ;
  • Procéder à une analyse détaillée de la législation européenne et des règles en matière d’aides d’Etat afin d’identifier les potentielles difficultés rencontrées par l’ESS et apporter des solutions appropriées ;
  • Examiner comment adapter les réglementations en matière d’aides d’Etat pour mieux prendre en compte l’économie sociale ;
  • Publier un livre blanc recensant les bonnes pratiques d’accompagnement de l’ESS, notamment la mobilisation des aides publiques, le recours aux qualifications de services d’intérêt économique général (SIEG) et de services sociaux d’intérêt général (SSIG), ainsi que la formation continue aux spécificités de l’ESS des agents publics.

La volonté affichée est donc bien celle de placer l’ESS dans le programme d’action de la Commission européenne. Le soutien politique du développement de l’ESS, bien qu’encore insuffisant à ce jour, fait preuve de belles perspectives notamment européennes.

Sara BEN ABDELADHIM, avocate directrice

Association à but non lucratif : le Conseil d’Etat confirme que la sauvegarde de la compétitivité peut être un motif économique de licenciement en cas de perte de marché

En application de l’article L. 1233-3 du Code du travail, une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité peut caractériser un motif économique de licenciement. Tel est le cas, par exemple, d’une réorganisation mise en œuvre pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l’emploi, sans pour autant qu’elle soit subordonnée à l’existence de difficultés économiques à la date du licenciement. (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977).

En tous les cas, lorsque le licenciement économique est fondé sur la sauvegarde de la compétitivité, l’appréciation du motif du licenciement implique d’établir la réalité de la menace pour la compétitivité (en ce sens : CE 8-3-2006 n° 270857 ; CE 12-1-2011 n° 327191 ; CE 27-1-2016 n° 388211).

Au cas particulier, une association avait perdu un important marché de prestations de service. L’employeur a alors sollicité l’autorisation de l’inspection du travail pour licencier un salarié protégé, en fondant sa demande sur la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’association. L’autorisation de licenciement lui a été accordée par l’inspection du travail, mais le salarié a formé un recours hiérarchique, puis contentieux contre cette décision.

La Cour administrative d’appel a annulé cette décision, en expliquant qu’il n’existait pas de menace réelle sur la compétitivité de l’association. Contestant cet arrêt, l’employeur a, alors, formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt de la Cour d’appel administrative.

Pour la Haute juridiction administrative, les juges du fond avaient inexactement qualifié les faits, alors que les éléments matériellement établis devant eux pouvaient laisser penser que la perte de marché était susceptible de constituer une menace réelle pesant sur la compétitivité de l’association. Il s’évince donc de l’arrêt du Conseil d’Etat qu’une association, même à but non lucratif, peut licencier un salarié pour motif économique motivé par la nécessité de sauvegarder la compétitivité. Il sera toutefois nécessaire de caractériser la réalité de la menace pour la compétitivité de l’employeur.