Vie des acteurs publics
le 06/03/2023
Elise HUMBERT
Jalil WILHELM

CAA Paris, 3 mars 2023, n° 22PA04811 : vers une possible remise en cause du subventionnement des collectivités à l’association SOS Méditerranée ?

CAA Bordeaux, 7 février 2023, n° 20BX04222

CAA Paris, 3 mars 2023, n° 22PA04811

Les actions des collectivités locales, notamment en matière d’aides financières, ont toujours été encadrées, sous le contrôle du juge administratif, par la notion d’intérêt public local.

Il en va néanmoins autrement dans le cadre de certains régimes particuliers tel que celui de l’aide internationale prévue par l’article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) où ce sont des considérations tenant aux engagements internationaux et à la politique étrangère de la France qui viennent limiter l’action des collectivités locales.

Plus précisément, par les dispositions précitées, le législateur a autorisé, « dans le respect des engagements internationaux de la France », les collectivités territoriales et leurs groupements à « mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire » – cette aide prenant dans bien des cas la forme d’une subvention.

Au titre de cette action extérieure, plusieurs tribunaux administratifs[1] avaient déjà admis la légalité des interventions des collectivités locales venant en aide aux associations secourant les migrants en mer, non pas sur la base du contrôle classique de l’intérêt public local des subventions, mais sur le fondement de cette coopération dite « décentralisée » prévue par l’article L. 1115-1 du CGCT. Parmi les bénéficiaires, l’association SOS Méditerranée dont l’activité a  récemment consisté à affréter des navires, d’abord l’Aquarius puis l’Ocean Viking, afin de secourir en Méditerranée des migrants tentant de rejoindre l’Europe par la mer.

Par un arrêt du 7 février 2023, la cour administrative d’appel de Bordeaux est venue en tous point confirmer la position de ces tribunaux administratifs.

En l’espèce, par une délibération du 16 novembre 2018, le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine avait attribué une aide humanitaire d’urgence d’un montant de 50 000 euros à l’association SOS Méditerranée. Deux conseillers régionaux avaient demandé l’annulation de cette délibération devant le juge administratif. En cause d’appel, la Cour confirme le rejet de cette demande par le tribunal administratif de Bordeaux.

Elle rappelle d’abord que la loi autorise les collectivités, dans le respect des engagements internationaux de la France, à soutenir toute action internationale de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire. Elle relève ensuite que l’objet statutaire de l’association est de « sauver la vie des personnes en détresse, en mer Méditerranée » et qu’elle « est une association humanitaire indépendante de tout parti politique et de toute confession ». La Cour en déduit que cette action présente un caractère humanitaire au sens de l’article L. 1115-1 du CGCT. Elle considère enfin que cette aide ne porte pas atteinte aux engagements internationaux de la France.

Toutefois, près d’un mois plus tard, par un arrêt du 3 mars 2023, la cour administrative d’appel de Paris vient prendre – sans mauvais jeu de mots – le contrecourant de cette (ces) jurisprudence(s).

Le cas d’espèce était pourtant similaire : par une délibération du 11 juillet 2019, le conseil de Paris avait attribué, sur le fondement des mêmes dispositions de l’article L. 1115-1 du CGCT, une subvention d’un montant de 100 000 euros pour un programme de sauvetage en mer et de soins aux migrants dans le cadre d’une aide d’urgence à l’association SOS Méditerranée.

La juridiction a d’abord pris soin de préciser qu’ « une collectivité territoriale ne saurait méconnaître les engagements internationaux de la France ni, en attribuant une subvention, prendre parti dans un conflit ou un différend international de nature politique ou interférer dans la conduite de la politique extérieure de la France constitutionnellement réservée à l’Etat ».

Ensuite, elle relève que si l’action de l’association revêt bien un caractère humanitaire, « [ses] responsables ont, aussi, publiquement critiqué, et déclaré vouloir contrecarrer par leur action les politiques définies et mises en œuvre par l’Union européenne et les Etats membres en matière d’immigration et d’asile ». Toujours selon la Cour, « cette action a, en outre, eu pour effet d’engendrer de manière régulière des tensions et des différends diplomatiques entre Etats membres de l’Union, notamment entre la France et l’Italie ».

Partant, la Cour a estimé, en se fondant sur la teneur des débats qui ont précédé l’adoption de la délibération contestée, que « le Conseil de Paris a entendu s’approprier les critiques de cette association à l’encontre de ces politiques migratoires ».

Dans ces conditions, il a été jugé qu’en accordant cette subvention, « le Conseil de Paris doit être regardé comme ayant entendu prendre parti et interférer dans des matières relevant de la politique étrangère de la France et de la compétence des institutions de l’Union européenne, ainsi que dans des différends, de nature politique, entre Etats membres ». La délibération litigieuse est ainsi annulée.

Cela étant exposé, une discordance des jurisprudences des Cours de Bordeaux et Paris, pourtant rendues à propos de la même association, doit être relevée. Si les deux juridictions s’accordent à dire que l’action de l’association présente un caractère humanitaire, leur appréciation de la condition tenant à l’absence d’interférence dans les relations internationales de la France diffère.

En effet, pour rappel, la Cour de Bordeaux a pour sa part estimé que la subvention ne portait pas atteinte aux engagements internationaux de la France, alors même qu’elle soulignait expressément dans son arrêt que les membres du conseil régional s’étaient « félicités du soutien ainsi apporté par le président de la Région à l’association SOS Méditerranée alors en butte à l‘hostilité de ces gouvernements et critiquée par plusieurs ministres du gouvernement français comme faisant ‘’le jeu des passeurs’’ ».

Dans les deux cas, les élus avaient donc exprimé leur approbation voire leur soutien à l’égard  des prises de positions de l’association. Alors que la Cour de Bordeaux s’est attachée aux statuts de l’association et aux motifs de la délibération litigieuse, la Cour de Paris semble s’être focalisée sur contexte d’adoption de la délibération, et en particulier sur débats qui ont précédé son adoption.

Cette appréciation ambivalente rend nécessaire une clarification de la part du Conseil d’Etat, lequel pourrait d’ailleurs être saisi par l’association qui a réagi à cette décision en indiquant étudier « très sérieusement la possibilité d’un recours devant le Conseil d’Etat ».

[1] Voir en ce sens TA Montpellier, 19 octobre 2021, n° 2003886 ; TA Paris 12 septembre 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n° 202012829.