Contrats publics
le 25/05/2023

Annulation d’un marché de fourniture d’un produit ne bénéficiant pas d’une autorisation de mise sur le marché

CE, 5 avril 2023, n° 459834

Pour rappel, un tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Il s’agit d’un recours dit « Tarn-et-Garonne », en référence à la décision du Conseil d’Etat ayant défini ses modalités (CE, 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, req. n° 358994).

En présence d’un vice entachant la validité du contrat, le juge doit, en fonction de la nature dudit vice, décider :

  • soit que la poursuite de l’exécution du contrat est possible ;
  • soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ;
  • soit, dans le cas où le vice n’est pas régularisable, prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général :
    • soit la résiliation du contrat ;
    • soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci.

Quelle décision le juge saisi d’un recours « Tarn-et-Garonne » doit-il prendre en présence d’un vice tenant au fait que le produit dont la fourniture faisait l’objet du marché ne bénéficiait pas d’une autorisation de mise sur le marché ?

C’est à cette question que le Conseil d’Etat apporte une réponse par sa décision Commune de Hyères du 5 avril 2023, publiée au Recueil Lebon.

Cette décision intervient dans le cadre d’un recours dirigé contre un marché de fourniture d’un produit larvicide destiné à la lutte contre les moustiques, attribué par la Commune de Hyères à la Société CERA, qui proposait le produit « Aquabac XT ». Le recours a été introduit par un candidat évincé, la Société Sumitomo Chemical Agro Europe, qui demandait l’annulation ou, à tout le moins, la résiliation du marché. Si sa demande a été rejetée en première instance, elle a en revanche été satisfaite par la Cour administrative d’appel de Marseille, qui a prononcé l’annulation du contrat par un arrêt du 25 octobre 2021.

Saisi par la Commune et l’attributaire d’un pourvoi contre cet arrêt, le Conseil d’Etat commence par confirmer que le produit « Aquabac XT » ne disposait pas d’une autorisation de mise sur le marché prévue par le règlement (UE) 528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides, et qu’il ne pouvait bénéficier d’un des régimes transitoires prévus par ce règlement pour les demandes d’autorisation déposées avant le 1er septembre 2013, dès lors qu’il ressortait de l’instruction que la demande d’autorisation n’avait, en l’occurrence, été déposée par la Société CERA que le 6 septembre 2013. La Commune et la Société CERA ne pouvaient davantage se prévaloir de ce que la substance active constituant le produit était inscrite par l’Agence européenne des produits chimiques sur une liste prévue par le règlement du 22 mai 2012 et que la Société CERA avait fourni à l’appui de son offre une justification de dépôt de demande d’autorisation de mise sur le marché de ce produit effectuée le 6 septembre 2013 et une attestation sur l’honneur d’enregistrement et d’autorisation du produit « Aquabac XT », dès lors que de telles circonstances ne pouvaient valoir autorisation de mise sur le marché.

Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle sa décision Cerba par laquelle il avait donné une définition restrictive de la notion de contenu illicite du contrat susceptible d’entrainer l’annulation du contrat, de sorte à réserver cette solution radicale aux irrégularités les plus graves (CE, 9 novembre 2018, req. n° 420654-420663) :

« […] le contenu d’un contrat ne présente un caractère illicite que si l’objet même du contrat, tel qu’il a été formulé par la personne publique contractante pour lancer la procédure de passation du contrat ou tel qu’il résulte des stipulations convenues entre les parties qui doivent être regardées comme le définissant, est, en lui-même, contraire à la loi, de sorte qu’en s’engageant pour un tel objet, le cocontractant de la personne publique la méconnaît nécessairement ».

Puis, après avoir constaté qu’en l’espèce, la fourniture du produit « Aquabac XT » constituait l’objet même du contrat litigieux, il conclut que le défaut d’autorisation de mise sur le marché entachait d’illicéité le contenu de ce contrat, ce qui était de nature à justifier l’annulation de celui-ci. Il juge donc que la Cour administrative d’appel n’avait pas commis d’erreur de droit en statuant en ce sens et, en conséquence, rejette le pourvoi.

Pour autant, il ressort des conclusions du Rapporteur public, Nicolas Labrune, que l’annulation totale du contrat n’était pas inévitable et qu’il aurait pu y avoir une régularisation partielle du contrat pour la période postérieure à l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché, qui est finalement intervenue le 19 août 2019. Encore aurait-il fallu que les parties soulevassent ce moyen, ce qu’elles n’ont pas fait, ce qui pouvait s’expliquer au demeurant par le fait qu’une telle mesure de régularisation n’aurait, en tout état de cause, pu porter que sur les derniers mois du marché, sans pouvoir éviter l’annulation pour les deux ans et demi qui avaient précédé.