Energie
le 05/06/2025
Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE
Simon OLLIC

Le Versement nucléaire universel, successeur du tarif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique

Article 17 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025

La fin de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ci-après, ARENH) approche et le mécanisme qui lui succèdera se dévoile. Le législateur a en effet profité du projet de la loi de finances pour 2025 pour fixer le cadre applicable au mécanisme qui succèdera à l’ARENH à partir du 1er janvier 2026.

En modifiant le chapitre VI du titre III du livre III de la partie législative du Code de l’énergie pour lui faire prendre le nom de Partage des revenus de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques, ce qui témoigne de l’esprit de cette réforme, le législateur a mis en place un mécanisme reposant sur deux volets :

  • Un volet fiscal consistant en une taxation du combustible nucléaire utilisé par EDF pour la production d’électricité ;
  • Un volet tarifaire consistant en une minoration, pour les consommateurs, des prix de l’électricité fixés contractuellement avec les fournisseurs d’électricité, minoration compensée par le produit de la taxe sur l’utilisation du combustible nucléaire.

Ce nouveau mécanisme, appelé Versement nucléaire universel, transcrit une partie de l’accord conclu entre l’Etat et EDF sur le prix de l’électricité nucléaire pour succéder à l’ARENH (I.).

Le nouveau cadre légal, porté par l’article 17 de la loi 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 (II.), devrait être prochainement complété par un décret d’application (III.).

 

1. Rappel sur l’ARENH et les suites à donner à sa fin programmée

Le dispositif de l’ARENH a été mis en place par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (dite loi NOME). L’ARENH est entré en vigueur le 1er juillet 2011.

Le dispositif de l’ARENH visait alors deux objectifs :

  • Encourager la concurrence sur le marché de détail tout en permettant aux consommateurs finals de bénéficier de l’électricité produite par le parc nucléaire ;
  • Concourir au développement de la concurrence en amont, en permettant aux fournisseurs d’investir dans des moyens de production.

Pour rappel, le fonctionnement de l’ARENH est le suivant : 100 TWh d’électricité sont accordés chaque année aux fournisseurs alternatifs en fonction des prévisions de consommation des consommateurs finals. La Commission de régulation de l’énergie (ci-après, CRE) opère un contrôle a posteriori des consommations réelles. Les fournisseurs ayant bénéficié de volumes supérieurs à la consommation réelle doivent s’acquitter de compléments de prix.

Aux termes de l’article L. 336-8 du Code de l’énergie, le dispositif de l’ARENH s’appliquera jusqu’au 31 décembre 2025.

A l’approche de cette date, un accord a été conclu entre l’État et EDF, le 14 novembre 2023, pour convenir d’un dispositif prenant la suite de l’ARENH.

Présenté le 14 novembre 2023 par le Ministre de l’Économie, des Finances et de Souveraineté industrielle et numérique, l’accord visait, selon la déclaration du ministre, à permettre une « redistribution aux consommateurs des bénéfices d’EDF au-delà d’un certain niveau de prix ».

Si l’accord vise à faire bénéficier les consommateurs finals de l’électricité produite par le parc nucléaire historique, tout comme l’ARENH, il s‘en distingue nettement dans la mesure où EDF retrouve sa liberté contractuelle pour l’intégralité de sa production et ne devra plus céder une partie de sa production à des fournisseurs alternatifs.

Le détail du fonctionnement du nouvel outil a été présenté dans le cadre d’une consultation publique qui s’est tenue du 21 novembre 2023 au 20 décembre 2023.

Le dispositif envisagé a pour objectif de sécuriser dans la durée l’accès des consommateurs français d’électricité à un prix de vente cohérent avec la structure de coûts du mix électrique. Il vise en outre à maintenir le bénéfice de l’électricité produite par le parc nucléaire français aux consommateurs.

Concrètement, l’outil envisagé fonctionnera par seuil de prix au-delà desquels EDF sera tenu de verser à l’Etat une fraction des revenus tirés de la production du parc nucléaire. Aux termes de la consultation, il était envisagé les seuils suivants :

  • Un premier seuil d’activation correspond à l’addition du coût comptable complet de production du nucléaire existant et d’une composante représentative du coût du programme : nouveau nucléaire de France. Ce seuil était évalué à 78 euros par MWh et son taux de prélèvement serait fixé à 50 %
  • Un deuxième seuil, fixé à 110 euros par MWh, de nature à protéger les consommateurs contre les épisodes de prix élevés sur les marchés. Son taux de prélèvement serait fixé à 90 %.

Les montants récupérés par l’Etat seraient par suite reversés aux consommateurs sous forme d’un versement apparaissant sur la facture en déduction du prix de l’électricité conclu avec le fournisseur.

L’accord conclu entre EDF et l’État et la consultation qui s’en est suivie se sont traduits par la création de la taxe sur le combustible nucléaire et par le versement nucléaire universel, issus de l’article 17 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

 

2. Dispositif consacré par l’article 17 de la loi de finances pour 2025

Le versement nucléaire universel était prévu dès le projet de loi de finances pour 2025 présenté par le gouvernement. Le mécanisme n’a été modifié qu’à la marge par le Parlement, l’Assemblée nationale n’ayant pas adopté la première partie du projet de loi de finances et celui‑ci ayant alors été considéré comme rejeté en première lecture, et le Sénat n’ayant adopté principalement que des amendements rédactionnels ou de précision.

Le mécanisme ainsi adopté par l’article 17 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 repose sur une double logique. :

  • Une taxation portant sur le combustible nucléaire utilisé par la société EDF et pesant sur celle-ci (1.) ;
  • Un reversement du produit de cette taxation aux consommateurs finals par le biais d’une minoration de leur facture d’électricité, appelé versement nucléaire universel (2.).

Ainsi, le dispositif consacré permet aux consommateurs finals de profiter indirectement de la compétitivité du parc nucléaire français, dans la même logique que l’ARENH, dans de moindres mesures néanmoins comme le demandait EDF.

Aux termes du VI. de l’article 17 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025, le nouveau dispositif entrera en vigueur le 1er janvier 2026, soit au lendemain de l’abrogation des dispositions relatives à l’ARENH.

 

A. La taxe sur le combustible nucléaire

Les dispositions relatives à la nouvelle taxation du combustible nucléaire sont à la fois prévues par le Code sur l’imposition des biens et des services (ci-après, CIBS) et par le Code de l’énergie.

En synthèse, on retiendra qu’aux termes de l’article L. 322-69 du CIBS, le fait générateur de la taxe sur le combustible nucléaire est constitué par l’achèvement de l’année civile au cours de laquelle est utilisé, au sein d’une centrale électronucléaire historique située sur le territoire de taxation mentionné à l’article L. 322-70, du combustible nucléaire pour la production d’électricité.

Et aux termes de l’article L. 322-77 du CIBS, l’unique redevable de cette taxe est l’exploitant des centrales électronucléaires historiques, c’est-à-dire EDF.

Quant aux modalités de calcul de la taxe, elles sont fixées par les articles L. 322-71 à L. 322-76 du CIBS, aux termes desquels les revenus constituant l’assiette de la taxe sont ceux imputables à l’utilisation du combustible nucléaire.

Le barème de la taxe comprend alors trois taux :

  • Un taux nul pour la fraction des revenus inférieure ou égale au seuil de taxation ;
  • Un taux de 50 % pour leur fraction supérieure au seuil de taxation et inférieure ou égale à un seuil dit d’écrêtement ;
  • Un taux de 90 % pour leur fraction supérieure au seuil d’écrêtement.

Les articles L. 322-73 et suivants du CIBS apportent les précisions requises pour le calcul des seuils de taxation et d’écrêtement.

S’agissant enfin des modalités de détermination de l’assiette de la taxe, un nouveau chapitre VI du titre III du livre III du Code de l’énergie, consacré à l’ARENH, portera désormais sur le fonctionnement et l’assiette de la taxe sur l’utilisation de combustible nucléaire pour la production d’électricité.

On retiendra notamment qu’aux termes de l’article L. 336-1 du Code de l’énergie, une centrale électronucléaire historique est « l’installation nucléaire de base qui produit de l’électricité pour laquelle l’autorisation initiale d’exploitation a été délivrée avant le 1er janvier 2026 ». Les centrales dont les autorisations d’exploiter sont postérieures à cette date ne seront donc pas concernées par la taxe.

Enfin, afin de pouvoir calculer correctement l’assiette de la taxe, la société EDF doit tenir une comptabilité appropriée des revenus issus de l’exploitation des centrales nucléaires historiques. En outre EDF doit établir des règles de comptabilité, validées par la CRE.

 

B. Le versement nucléaire universel

Le versement nucléaire universel consiste à répercuter le prélèvement effectué sur les revenus du parc nucléaire sur les factures des consommateurs en les minorant. Les dispositions relatives au versement nucléaire universel sont prévues par les articles L. 337-3 à L. 337-3-6 du Code de de l’énergie.

En premier lieu, la minoration des factures d’électricité, qui résultera donc d’un prélèvement effectué sur les revenus du parc nucléaire historique, devra être appliquée par les fournisseurs à l’ensemble de leurs clients.

L’article L. 337-3 prévoit que les contrats conclus par un fournisseur d’électricité avec des consommateurs finals ainsi que les tarifs réglementés de vente d’électricité font l’objet d’une minoration de plein droit lorsque les conditions de celles-ci définies par l’article L. 337-3-2 sont réunies (voir infra).

L’article L. 337-3 précité précise que « toute stipulation ayant pour objet ou pour effet d’atténuer, partiellement ou totalement, cette minoration est réputée non écrite » et ajoute que ses dispositions « sont d’ordre public »

En outre, la minoration doit apparaitre sur la facture par une mention expresse, dont les modalités seront déterminées par arrêté conjoint du ministre chargé de l’Énergie et du ministre chargé de l’Économie.

En deuxième lieu, les fournisseurs auront droit à une compensation financière strictement égale aux minorations tarifaires qu’ils auront dû appliquer à leurs clients.

L’article L. 337-3-1 prévoit que la perte de recettes supportée par les fournisseurs en raison de l’application de cette minoration des factures de leurs clients est compensée. Pour chaque fournisseur, cette compensation correspond au produit des quantités d’électricité fournies à des consommateurs finals auxquelles est appliquée la minoration par le tarif unitaire de minoration dont la détermination est prévue à l’article L. 337-3-2.

En troisième lieu, l’article L. 337-3-2 prévoit que la minoration des factures qui pourra résulter du dispositif se traduit par l’application d’un tarif unitaire aux quantités d’électricité fournies aux consommateurs pendant la période annuelle concernée.

Cette période annuelle correspond à « l’année civile pour laquelle il est anticipé un montant non nul de taxe sur l’utilisation de combustible nucléaire pour la production d’électricité ».

L’article prévoit également que ce tarif unitaire de minoration doit être fixé par arrêté conjoint du ministre chargé de l’Énergie et du ministre chargé de l’Économie sur proposition de la CRE, au moins un mois avant le début de la période annuelle d’application de la minoration.

L’article précise enfin que ce tarif unitaire pourra le cas échéant être révisé dans les mêmes conditions une ou plusieurs fois au cours de la période annuelle d’application de la minoration.

L’article L. 337-3-3 prévoit que la détermination du tarif unitaire dépendra :

  • d’une part, des prévisions réalisées par la CRE des revenus du parc nucléaire historique et des quantités de consommation d’électricité ;
  • d’autre part, de la correction d’éventuels écarts constatés a posteriori sur des périodes passées entre les montants encaissés au titre de la taxe et les compensations versées aux fournisseurs.

En cohérence avec les dispositions de l’article L. 337-3-2 présentées supra, et afin de maîtriser les conséquences qui résulteraient de tels écarts sur les périodes ultérieures, l’article prévoit la possibilité d’ajuster les conditions de la minoration en cours de période, via une modification soit du tarif unitaire lui-même, soit de la durée d’application de la minoration.

 

III. Cadre réglementaire à venir

Concernant la taxe sur le combustible nucléaire, le nouvel article L. 336-16 du Code de l’énergie renvoie à un décret en Conseil d’État pris après avis de la CRE les conditions d’application du présent chapitre, notamment :

  • les principes méthodologiques régissant les évaluations mentionnées à l’article L. 336-3 ainsi que les conditions dans lesquelles elles sont régulièrement mises à jour ;
  • les périodes d’évaluation des revenus de l’exploitation des centrales électronucléaires historiques mentionnées à l’article L. 336-9 ;
  • les périodes infra-journalières pertinentes d’injection dans le système électrique mentionnées à l’article L. 336-11, les produits représentatifs mentionnés au même article et les conditions dans lesquelles les prix de ces produits sont calculés et constatés ;
  • la régularité, les échéances et les conditions de communication au ministre chargé de l’Économie et au ministre chargé de l’Énergie des estimations mentionnées à l’article L. 336-15 du Code de l’énergie et les conditions dans lesquelles le public est informé de ces estimations et du montant de la minoration du prix de fourniture applicable le cas échéant.

Concernant le versement nucléaire universel, l’article L. 337-6 du Code de l’énergie prévoit qu’un décret en Conseil d’État pris après avis de la CRE détermine les conditions d’application du « versement nucléaire universel ». Il précise que ce décret devra notamment définir :

  • les modalités selon lesquelles le produit de la taxe sera versé aux fournisseurs en compensation des pertes de recettes générées par la minoration tarifaire qu’ils auront dû appliquer à leurs clients ;
  • les règles de calcul du tarif unitaire de minoration et notamment les conditions dans lesquelles il pourrait faire l’objet de modulations, aux fins de favoriser l’atteinte des objectifs de la politique énergétique, en fonction de plusieurs critères tels que les moments de la consommation ou son ampleur (pour encourager notamment la flexibilité de la demande d’électricité et les économies d’énergie), les prix de la fourniture d’électricité et les profils de consommation.

Un projet de décret a été soumis à l’avis du Conseil supérieure de l’énergie lors de sa séance du 27 mai 2025. Ce projet de décret est pris en application des articles L. 336-1 et suivants du Code de l’énergie. Il ne concerne que la taxe sur le combustible nucléaire et non pas le versement nucléaire universel.

Le projet de décret fixant le cadre réglementaire du versement nucléaire universel demeure attendu.

C’est l’ensemble de ce dispositif qui permettra de clôturer le dispositif devant succéder à l’ARENH. Sa connaissance complète sera indispensable pour permettre aux acheteurs d’énergie d’estimer leurs consommations et adapter leurs consultations.