Droit des données
le 09/04/2025
Audrey LEFEVRE
David CONERARDY
Adam BENAMEUR
Louise FLAMENT

Le Conseil d’État précise les conditions permettant d’interrompre l’utilisation d’un réseau social

CE, 1er avril 2025, nos 494511, 494583, 495174

Dans un arrêt du 1er avril 2025[1], le Conseil d’État a annulé la décision du Premier ministre en date du 14 mai 2024 d’interrompre l’accès à TikTok sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie. Il s’est, à cette occasion, prononcé sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement pouvait interrompre l’utilisation d’un réseau social.

Pour rappel, la décision du Premier ministre était motivée par l’utilisation massive de ce réseau social pour « diffuser des contenus incitant au recours à la violence » (cons.10) lors des émeutes du printemps 2024 en Nouvelle-Calédonie.

Dans son arrêt, le Conseil d’État précise ainsi les circonstances dans lesquelles une telle mesure peut être édictée par le Premier ministre, en se fondant notamment sur le régime juridique des circonstances exceptionnelles[2] caractérisé par (cons.2) :

  • Des circonstances de nature à entraver le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, à compromettre de manière immédiate la santé de la population ou son accès aux services essentiels ou à porter une atteinte grave à l’ordre public ;
  • Des circonstances qui impliquent le recours à des mesures qui sortent du droit commun, sous réserve que ces mesures soient indispensables au regard des faits prévalant à la date de la décision.

Toutefois, la mesure édictée par le Premier ministre, si elle peut être motivée par le « péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ou à un événement présentant le caractère de calamité publique », doit quelles qu’en soient les circonstances, être strictement nécessaires[3] à la situation à laquelle il convient de mettre un terme.

En l’espèce, le Conseil d’État rappelle que la mesure d’interruption du réseau social doit être appréciée au regard des termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui garantit la liberté de communication. Il rappelle ainsi « le développement généralisé des services de communication au public en ligne » et « l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique économique et sociale et l’expression des idées et des opinions, la libre communication des pensées et des opinions » (cons.6).

Ainsi, en sus des circonstances exceptionnelles, le Conseil d’Etat établit les conditions dans lesquelles le Gouvernement peut procéder à l’interruption d’un service de communication, et annule sur cette base la décision du Premier ministre.

Cette mesure d’interruption complète est donc possible sous réserve :

  • De l’absence de moyen technique immédiat permettant de prendre des mesures moins attentatoires aux droits et libertés, ce qui était le cas en l’espèce puisque l’article 11 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence[4] permet seulement la suspension des services de communication provoquant à la commission d’actes terroristes ou en faisant l’apologie[5];
  • De son caractère provisoire et déterminé, pour un temps strictement nécessaire pour trouver une mesure moins attentatoire aux droits et libertés, ce que le Conseil d’Etat a retenu pour annuler la décision, considérant que le Premier ministre avait procédé à « une interruption totale du service pour une durée indéterminée (…) sans subordonner son maintien à l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures alternatives » (10).

Le juge annule ainsi la décision du Premier ministre en raison de la durée indéterminée de la mesure édictée, ainsi que l’absence de conditionnement de son maintien à la mise en œuvre d’une solution alternative.

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[1] CE, 1er avril 2025, n°494511-494583-495174, LDH c/ La Quadrature du net

[2] CE, 28 février 1919, n° 61593, Dames Dol et Laurent ; CE, 28 juin 1918, n° 63412, Heyriès

[3] CE, ass., 19 octobre 1962, n° 58502, Canal, Robin et Godot

[4] Qui a été déclenché en Nouvelle-Calédonie entre le 15 mai 2024 et le 27 mai 2024, soit 12 jours, conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence

[5] Article 11, II de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence