Environnement, eau et déchet
le 05/02/2025

Rapport d’information sénatorial : quelles mesures face au défi de la compétitivité carbone des entreprises ?

Sénat, Entreprises et climat : se mobiliser pour relever le défi de la compétitivité carbone

Partant du constat que la transition climatique des entreprises ne suit pas et que la dette et le déficit publics hypothèquent le financement des politiques publiques, la délégation aux entreprises du Sénat a présenté 21 recommandations pour permettre aux entreprises de se mobiliser afin d’accroître leur « compétitivité carbone ».

A ce titre, le rapport rappelle que le dérèglement climatique a un fort impact sur l’activité économique, ne serait-ce qu’à travers la diminution de 14 % des quantités d’eau disponible entre 1990-2001 et 2002-2018 ou les événements climatiques extrêmes qui causent des arrêts de production, la fermeture de points de vente, la diminution des rendements agricoles ou d’activités touristiques et des ruptures d’approvisionnement.

Pour rappel, le paquet législatif « Ajustement à l’objectif 55 » – aussi dénommé « Fit-for-55 » – a été annoncé afin de mettre en œuvre l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 90 % d’ici à 2040, la moitié de cet effort devant être porté par les entreprises.

Or, en France, la politique publique est concentrée sur les 50 sites industriels les plus émetteurs qui génèrent 55 % des émissions de CO2 de toutes les émissions industrielles, et 12 % des émissions nationales totales de GES. Si les PME et ETI représentent, à elles seules, 30 % de l’empreinte carbone, elles demeurent insuffisamment outillées pour s’engager dans une démarche opérationnelle de transition climatique, réduite trop souvent à une diminution de leur consommation énergétique.

Parmi les recommandations proposées, la délégation des entreprises du Sénat suggère de recourir au levier de la commande publique en tenant compte de la performance environnementale des biens, des produits et des services, en particulier de leur caractère biosourcé et des exigences de lutte contre les émissions de GES.

Aussi, le rapport semble soutenir la proposition de CCI France consistant à utiliser la notion d’ « offre économiquement et écologiquement la plus avantageuse » afin d’instaurer un droit de préférence pour les offres des entreprises présentant des atouts en matière de transition climatique, à égalité de prix ou à équivalence d’offre, comme le recours aux offres proposant la plus faible empreinte carbone.

Si le rapport considère que ce critère avantagerait le recours aux PME locales, il reconnaît néanmoins qu’il serait subordonné à un profond changement des règles européennes régissant les marchés publics.

En tout état de cause, il recommande clairement de prioriser dans l’achat public les entreprises dont la chaîne de valeur est locale au regard du scope 3[1], lequel couvre les émissions associées aux activités en amont et en aval de la chaîne de valeur et permet de mesurer l’empreinte carbone d’une entreprise.

Le rapport mentionne également la proposition de Départements de France consistant à modifier le Code de la commande publique pour permettre aux collectivités locales, syndicats, EPCI et établissements publics d’État d’utiliser un critère de « bilan carbone » dans le cadre de la procédure d’attribution des marchés publics. Ce critère unique « bilan carbone », qui engloberait à la fois certains éléments tels que les conditions de production ou encore le coût environnemental de l’acheminement des biens, constituerait un outil pour valoriser les entreprises du territoire, dont l’empreinte carbone est la moins élevée.

De plus, le rapport rappelle qu’outre les outils de la commande existant (SPASER, sourcing, critères sociaux et environnementaux, plan national d’achats durables), l’ADEME a développé une gamme de produits et services susceptibles d’être écolabellisés et qu’il pourrait être opportun de créer, à l’instar de ce que la région Bretagne a réalisé par la collecte automatisée de données sur la base des indicateurs définis au sein de son SPASER, des outils numériques tels que des observatoires régionaux de la décarbonation, permettant de piloter, en quasi-temps réel, les performances des acteurs publics et privés et d’évaluer leur évolution par rapport aux trajectoires définies à l’échelle nationale et régionale.

En outre, le rapport rappelle la nécessité que la stratégie nationale de la transition climatique des entreprises soit précisée territorialement alors qu’il existe d’ores et déjà une déconnexion entre la trajectoire la Stratégie nationale bas carbone et le niveau que se sont fixées les régions dans leur SRADDET – dont l’écart pourrait être du simple au double en 2050 – et que les PCAET ne sont pas obligatoires pour tous les territoires et ne sont pas réalisés pour une partie des territoires où ils sont obligatoires.

Le rapport appelle à ce titre à un dialogue régulier afin de que la planification territoriale soit en phase avec les objectifs nationaux et que les trajectoires nationales intègrent davantage les réalités locales. A ce titre, il recommande d’associer les entreprises à la déclinaison territoriale de la planification de la transition climatique, pour un plan d’actions territoriales cohérent et partagé – étant observé que nous pouvons penser à cette fin au rôle que peuvent jouer les Agences régionales de l’énergie et du climat.

Enfin, les recommandations suivantes peuvent être relevées :

  • Afficher comme priorité de l’action publique l’adaptation et la décarbonation, comme outils de réduction nette des émissions de CO2, en ciblant notamment le plan de transition climatique des entreprises sur les objectifs de réduction nette des GES, lesquels ne doivent inclure ni les crédits carbones ni les émissions séquestrées, ni les émissions évitées ;
  • Prioriser les financements publics dédiés à la décarbonation vers les technologies dont le ratio « émissions de CO2 évitées / coûts » est le plus fort et sur celles dont le potentiel de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) est le plus élevé ;
  • Expérimenter à une large échelle la facturation carbone – fondée sur la méthode de la Mesure Comptable Environnementale – qui indiquerait, en instantané, les poids en carbone des produits et déchets et, en dynamique, la contribution de l’entreprise à la décarbonation nationale ;
  • Accélérer le déploiement des énergies bas-carbone, en s’appuyant par ailleurs sur la relance du nucléaire et le développement des énergies renouvelables, le rapport rappelant à ce titre que la France devrait acheter des « droits statistiques » pour des sommes importantes et encourt des sanctions financières dès lors qu’elle est le seul pays européen à ne pas avoir atteint les objectifs de la directive de 2018 ;
  • Simplifier les 340 dispositifs d’aides à la transition climatique des entreprises en les transformant en une quinzaine de dispositifs, en substituant une politique de l’offre à une politique de la demande, fondée sur le parcours usager de l’entreprise, et en s’adressant, de manière transversale, aux entreprises de tous secteurs et de toutes tailles ;
  • Mettre en cohérence les aides à la décarbonation de France 2030 avec la future Stratégie nationale bas carbone, ainsi que le futur Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC 3), et les subordonner à leur respect, ces derniers n’ayant au demeurant pas encore été adoptés en dépit des obligations législatives ;
  • Confier à l’ADEME, en liaison avec les organisations d’employeur, la standardisation de la méthode de mesure pour la décarbonation par secteur, selon une approche en cycle de vie, à l’instar de la réglementation environnementale des nouvelles constructions de bâtiments (« RE 2020 »);
  • Créer une agence de la transition climatique des entreprises (« France Transition ») afin de gérer les expérimentations des processus de décarbonation, de regrouper les fonds d’aides aux entreprises dispersés de France 2030 et ceux de Bpifrance ou de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), et soutenir de manière plus efficace les innovations au service de la décarbonation ;
  • Organiser un débat public annuel au Parlement consacré à la transition climatique de l’économie alors que les plafonds nationaux d’émissions de GES dénommés « budgets carbone » sont fixés par décret, ceci afin d’évaluer avec l’aide de la Cour des comptes, les politiques accompagnant les entreprises dans leur transition climatique.

_____

 

[1] Lorsque l’on quantifie les émissions d’une entreprise, on les répartit en trois catégories : le scope 1 représente les émissions directes de GES produits par l’entreprise, le scope 2 correspond aux émissions indirectes liées à l’énergie, mais qui ne se produisent pas directement sur le site de l’entreprise et enfin le scope 3 est lié aux émissions indirectes qui ne sont pas sous le contrôle de l’entreprise.