Droit pénal et de la presse
le 14/11/2024
Matthieu HÉNON
Marguerite SAUREL

La peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité et son exécution provisoire

Code pénal, article 131-26-2

« La qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l’élu ; […] ces principes de valeur constitutionnelle s’opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; »[1]

Aux termes des dispositions de l’article 131-26 du Code pénal, la juridiction répressive peut prononcer, en tant que peine complémentaire, l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille d’une personne tel que son droit d’éligibilité.

En principe, cette interdiction ne peut excéder une durée de dix ans pour les condamnations criminelle et une durée de cinq ans pour les condamnations délictuelles. Toutefois, dans certains cas, la peine d’inéligibilité peut être prononcée pour une durée de dix ans à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits[2].

En 2016, par la loi dite Sapin II[3], l’article 432-17 du Code pénal avait déjà été modifié afin de rendre obligatoire le prononcé de cette peine complémentaire d’inéligibilité à l’encontre de toute personne condamnée pour certaines infractions de probité[4].

Par la suite, avec la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017[5], le législateur a souhaité « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants »[6]en élargissant cette peine obligatoire d’inéligibilité par la création d’un article 131-26-2 du Code pénal.

Cet article institue l’obligation de prononcer une peine complémentaire d’inéligibilité à l’encontre de toute personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit mentionné par ledit article, soit notamment : les violences d’une particulière gravité, les discriminations, l’escroquerie, l’abus de confiance, les actes de terrorisme, les infractions de probité et les infractions électorales.

La chambre criminelle précise que le juge n’a pas à motiver le prononcé d’une peine obligatoire d’inéligibilité conformément à l’article 485-1 du Code de procédure pénale[7].

En revanche, si cette peine est obligatoire, elle n’est pas automatique : le juge répressif peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas la prononcer en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. De même, la décision du juge qui prononce une peine complémentaire d’inéligibilité alors qu’elle n’était pas obligatoire doit, elle aussi, être motivée[8].

Les conséquences de cette peine complémentaire peuvent être lourdes, notamment, naturellement, pour l’élu local et le parlementaire.

En outre, ces conséquences peuvent se concrétiser rapidement puisqu’en application de l’article 471 du Code de procédure pénale, le juge répressif peut prononcer l’exécution provisoire – i.e. leur exécution immédiate nonobstant appel – des peines prononcées, en ce compris la peine obligatoire d’inéligibilité sans qu’une motivation supplémentaire ne soit nécessaire[9].

A ce titre et s’agissant de l’élu local, le Conseil d’Etat a jugé, à plusieurs reprises, qu’une telle inéligibilité assortie de l’exécution provisoire impose alors au représentant de l’Etat de prendre une décision de démission d’office des mandats en cours[10] :

« Le droit électoral au sens du 1° de l’article L. 230 du code électoral cité ci-dessus recouvre à la fois le droit de vote et l’éligibilité. Par suite, la perte d’un seul de ces deux droits prive son titulaire de la possibilité de jouir de son droit électoral plein et entier. Par voie de conséquence, la privation du droit d’éligibilité en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire lie le représentant de l’Etat et lui impose, en vertu des dispositions précitées des articles L. 236 et L. 273-4 du code électoral, de prendre une décision de démission d’office des mandats de conseiller municipal et conseiller communautaire qui seraient détenus par l’intéressé. »

Il semble toutefois que cette peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire ne produise pas les mêmes effets s’agissant du mandat parlementaire en cours.

En effet, le Conseil constitutionnel a été saisi de plusieurs requêtes tendant à la constatation de la déchéance de plein droit de parlementaires par suite du prononcé de peines complémentaires d’inéligibilité assorties de l’exécution provisoire. Pourtant, le Conseil constitutionnel a rejeté systématiquement ces requêtes en soulignant que la déchéance de plein droit ne pouvait être constatée « en l’absence de condamnation définitive ». Il ajoute que l’exécution provisoire de la sanction « est sans effet sur le mandat parlementaire en cours »[11].

Faut-il y voir une conséquence du principe de séparation des pouvoirs ? Et quelle portée faut-il accorder à cette jurisprudence récente mais semble-t-il établie ?

Relevons simplement qu’elle demeure en l’état cantonnée aux mandats des parlementaires et à la question de l’effet d’une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire sur un mandat en cours ; la question n’a pas encore été formellement tranchée, à notre connaissance, sur la question des effets d’une telle peine obligatoire exécutoire par provision sur l’éligibilité à un nouveau mandat.

Il faut néanmoins admettre que rien dans ces décisions ne semble a priori exclure une position similaire au regard de l’éligibilité en tant que telle : en d’autres termes, le Conseil constitutionnel pourrait retenir que la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité ne produit d’effet, tant à l’égard d’un mandat en cours que d’un scrutin à venir, qu’à la condition d’avoir acquis un caractère définitif, quand bien même aurait-elle été assortie de l’exécution provisoire.

De même, on ne peut exclure que cette Jurisprudence rendue au titre de mandats parlementaires puisse s’étendre à d’autres scrutins, et particulièrement le premier d’entre eux, tout aussi singulier au regard du principe de séparation des pouvoirs et placé sous la surveillance du même juge[12].

L’on pourrait certes y voir la négation de la fonction première de cette sanction, dont le Législateur a consacré lui-même la possibilité de l’assortir de l’exécution provisoire et le caractère obligatoire au nom d’une exigence de probité commune à tout candidat, quel que soit le mandat qu’il brigue.

_______

[1] CC, DC no 82-146, 18 novembre 1982

[2] Article 131-26-1 du Code pénal

[3] Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

[4] Articles 432-10 à 432-16 du Code pénal

[5] Loi n°2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique

[6] CC, DC n° 2017-752, 8 septembre 2017

[7] Cass. Crim., 19 avril 2023, n°22-83.355

[8] Crim., 9 mars 2022, no 21-81.506

[9] Cass. Crim., 19 avril 2023, n°22-83.355

[10] CE, 20 juin 2012, n° 356865 ; CE, 14 avril 2022, n° 456540

[11] CC, DC, 16 juin 2022, n°2022-27 pour un membre de l’Assemblée nationale ; CC, DC, 23 novembre 2021, n°2021-26 pour un membre du Sénat

[12] Article 58 de la Constitution