En bref
Le 11 avril dernier, le Parlement européen a adopté la directive n° 2024/1203 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal qui prévoit notamment :
- Un élargissement des infractions environnementales ;
- Une précision et un durcissement de leurs sanctions.
Cette directive vient remplacer la directive de 2008 du même nom et la directive de 2009 relative à la pollution causée par les navires. Elle imposera aux États membres d’intégrer dans leur arsenal juridique vingt infractions, contre neuf sous l’égide des précédents textes. Néanmoins, le crime d’écocide ne figure toujours pas parmi les nouvelles infractions instituées.
Cette nouvelle directive, entrée en vigueur le 20 mai 2024, devra être transposée dans les législations nationales de l’ensemble des États membres de l’Union européenne d’ici le 21 mai 2026.
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Par l’adoption de l’Acte unique européen en 1986, l’Union européenne (UE) – alors dénommée la Communauté économique européenne (CEE) – instaurait la protection de l’environnement dans le droit européen[1]. Depuis, la préoccupation environnementale est devenue un sujet central dans le droit communautaire[2] qui a même développé un arsenal pénal dédié à la protection de ses composantes.
A ce titre, l’Union européenne a adopté une première directive relative à la protection de l’environnement par le droit pénal le 19 novembre 2008[3].
Cependant, cette directive était assez succincte et il ressort des évaluations de la Commission européenne qu’elle a eu peu d’effet en pratique, notamment parce que[4] :
- Le nombre d’affaires ayant donné lieu à une condamnation est très faible ;
- Les sanctions imposées étaient trop faibles pour être dissuasives ;
- Les États membres ont peu ou mal exécuté la règlementation.
Pourtant, le rapport de l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) a révélé que la criminalité environnementale est la quatrième activité criminelle la plus importante dans le monde[5] et qu’elle représente à ce titre l’une des principales sources de financement de la criminalité organisée après le trafic de stupéfiants, le trafic d’armes et la traite des êtres humains[6].
Pour ces raisons, le Parlement européen a donc adopté le 11 avril dernier une nouvelle directive établissant des règles minimales s’agissant de « la définition d’infractions pénales et de sanctions visant à protéger l’environnement de manière plus efficace […] et à faire appliquer efficacement le droit environnemental de l’Union » qui devront être transposées dans les législations nationales des États membres de l’Union européenne d’ici le 21 mai 2026.[7].
La création de nouvelles infractions environnementales
L’article 3 de cette récente directive institue vingt infractions que les États membres devront intégrer dans leur arsenal juridique, étant précisé qu’elles en constituent le socle minimal mais que les États membres peuvent, s’ils le souhaitent, prévoir des infractions pénales supplémentaires en vue de protéger l’environnement[8]. On peut citer parmi les nouvelles infractions :
- La fabrication, le stockage et l’exploitation illégale du mercure (d) ;
- Le recyclage illégal de composants polluants des navires (h) et le rejet illégal de substances polluantes par les navires (i) ;
- Le captage et l’exploitation illégale des ressources en eau susceptible de causer des dommages substantiels à l’état écologique des masses d’eau (m) ;
- L’introduction ou la propagation d’espèce exotiques envahissantes (r) ;
- La production, l’exploitation ou le rejet de gaz à effet de serre fluorés (t) ;
La directive précise que certains de ces comportements, à l’instar de l’introduction ou la propagation d’espèces exotiques envahissantes[9] ne nécessitent pas de caractère intentionnel et qu’une négligence peut constituer le support du manquement fautif. En outre, elle indique également certains critères que les États doivent prendre en considération[10] :
- Dans l’appréciation de l’importance des dommages causés tels que leur réversibilité et l’état initial de l’environnement affecté ;
- Dans l’appréciation du comportement causant le dommage, tels que le non-respect d’une obligation d’autorisation à délivrer pour l’activité concernée ;
Par ailleurs, cette directive impose de prévoir une répression de la tentative de commettre une de ces infractions[11]. Enfin, la directive établit des circonstances aggravantes telles que[12] :
- La commission par un agent public dans l’exercice de ses fonctions ;
- Les avantages financiers tirés de l’infraction.
Consciente de l’importance de la réparation des atteintes causées à l’environnement, la directive institue au titre des circonstances atténuantes de la responsabilité pénale, la restauration volontaire de l’environnement dans son état antérieur à l’infraction par son auteur[13].
L’absence d’élaboration d’un crime d’écocide
Notons que la présente directive n’impose toujours pas aux États membres la mise en place d’un crime d’écocide mais introduit, aux termes de son article 3 §3 « une infraction qualifiée » dans l’hypothèse où les comportements infractionnels entraineraient :
- La destruction d’un écosystème d’une taille ou valeur considérable ou d’un habitat au sein d’un site protégé, ou des dommages étendus et substantiels irréversibles ou durables ;
- Des dommages étendus et substantiels irréversibles ou durables à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau.
De plus, dans son considérant 21, la directive affirme que :
« Ces infractions pénales qualifiées peuvent englober un comportement comparable à un « écocide », qui est déjà couvert par le droit de certains États membres et fait l’objet de discussions dans les enceintes internationales ».
Le durcissement des sanctions
S’agissant des sanctions pénales apportées aux infractions environnementales, ladite directive entreprend une réelle évolution, afin de remédier à l’absence d’effectivité de la directive précédente – celle de 2008 qui se contentait de préciser sur ce point [14] :
« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les infractions visées aux articles 3 et 4 soient passibles de sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives ».
Or, la nouvelle directive détaille plusieurs sanctions principales et complémentaires et institue des sanctions minimales en matière d’emprisonnement. A titre illustratif :
- S’ils causent la mort d’une personne, la fabrication, l’utilisation, le stockage ou l’importation illégale de mercure ou de produits contenant du mercure est passible d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins dix ans ;
- Si elles causent des dommages substantiels irréversibles ou durables à la qualité du sol ou de l’eau, la captation et l’exploitation des ressources en eaux est passible d’une peine d’emprisonnement maximale d’au moins huit ans.
A ces peines s’ajoutent, pour les personnes morales, des amendes dont le montant est proportionné à la gravité du comportement et à la situation financière de la personne morale concernée – dont la directive prévoit toutefois un montant minimal à mettre en place par les États[15]. S’agissant des peines complémentaires, les personnes physiques encourent notamment :
- L’exclusion de l’accès à des financements publics ;
- Le retrait des autorisations d’exploiter ;
- L’interdiction temporaires de se présenter à des fonctions publiques ;
- La publication de la décision judiciaire relative à l’infraction pénale.
Tandis que les personnes morales encourent par exemple :
- L’exclusion du bénéfice d’une aide publique ;
- L’interdiction d’exercer une activité commerciale ;
- Le placement sous surveillance judiciaire ;
- La fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction.
Enfin, la directive prévoit une obligation de restaurer l’environnement dans un délai donné si les dommages sont réversibles et le versement d’une indemnité dans le cas contraire pour les personnes physiques et morales.
Les mesures supplémentaires initiées par la directive
Les États membres doivent, entre autres, organiser dans leur législation nationale :
- Des délais de prescription minimale[16];
- Des outils d’enquête efficaces et proportionnés[17];
- La protection des personnes signalant des infractions pénales environnementales[18];
- Des mesures de préventions afin de réduire le risque de criminalité environnementale[19];
- L’organisation d’une formation spécialisée pour les personnes intervenant dans le cadre des enquêtes pénales environnementales[20];
Où en est la France ?
Le droit de l’environnement français contient déjà plusieurs dispositions répressives qui rappellent les infractions mises en place par la directive européenne telle que les infractions concernant :
- Les déchets[21];
- La gestion de l’eau[22];
- La pollution des milieux marins et aériens en violation d‘une obligation de prudence ou de sécurité[23];
De surcroit, depuis la loi « Climat et résilience » [24], l’article L. 231-3 du Code de l’environnement prévoit le délit d’écocide lorsque la pollution illégale des milieux marins ou aériens qui entraîne des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore ou la faune est commise de façon intentionnelle.
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Par ailleurs, le Parlement européen (le 24 avril 2024) et le Conseil (le 24 mai 2024) ont également récemment adopté la directive relative au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité – ou Corporate Sustainability Due Diligence directive (CSDDD) – qui a pour objet la responsabilisation des entreprises quant à leurs incidences négatives sur les droits humains et l’environnement[25].
Notons que la directive 2024/1203 institue justement une obligation de diligence raisonnable comme sanction complémentaire des personnes morales ayant commis une infraction environnementale.
La directive relative au devoir de vigilance prévoit quant à elle des mesures de prévention et des sanctions pour les entreprises ayant employé plus de 1.000 salariés en moyenne et ayant réalisé un chiffre d’affaires net de plus de 450 millions d’euros au niveau mondial en cas d’atteintes ou de risque d’atteintes aux droits de l’Homme et à l’environnement.
Elle sera prochainement publiée au Journal officiel de l’Union européenne et les nouvelles règles s’appliqueront progressivement aux entreprises entre 2027 et 2029[26].
La multiplication de ces textes européens participe à la construction d’un droit européen de l’environnement dans la prolongation du Pacte vert pour l’Europe présenté par la Commission européenne le 11 décembre 2019 et visant à adapter les politiques de l’Union européenne en matière de climat, énergie, transport et fiscalité afin de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030.
Marlène Joubier et Marguerite Saurel
[1] Acte Unique européen, 28 février 1986
[2] Article 3 du TUE ; Article 21 du TFUE ; Article 37 de la Charte européenne des droits fondamentaux
[3] Directive 2008/99/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal
[4] Commission européenne, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection de l’environnement par le droit pénal remplaçant la directive 2008/99/CE, 15 décembre 2021
[5] Report on Eurojust’s Casework on Environmental Crime, Criminal justice across borders, January 2021
[6]Parlement européen, Communiqué de presse, Criminalité environnementale : liste élargie d’infractions et de sanctions, 27 février 2024
[7] Article premier de la directive 2024/1203
[8] Article 3 paragraphe 5 de la directive 2024/1203
[9] Article 3, paragraphe 4 de la directive 2024/1203
[10] Article 3, paragraphes 6 et 7 de la directive 2024/1203
[11] Article 4 de la directive 2024/1203
[12] Article 8 de la directive 2024/1203
[13] Article 9 de la directive 2024/1203
[14] Article 5 de la directive 2008/99/CE
[15] Article 7 de la directive 2024/1203
[16] Article 11 de la directive 2024/1203
[17] Article 13 de la directive 2024/1203
[18] Article 14 de la directive 2024/1203
[19] Article 16 de la directive 2024/1203
[20] Article 18 de la directive 2024/1203
[21] Article L. 231-2 et L. 541-46 du Code de l’environnement
[22] Article L. 216-6 du Code de l’environnement
[23] Article L. 231-1 du Code de l’environnement
[24] Loi n° 2021-1104, Climat et résilience, 22 août 2021
[25] Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52022PC0071
[26] Conseil de l’Union européenne, Communiqué de presse, Devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité : le Conseil donne son approbation définitive, 24 mai 2024