Mobilité et transports
le 05/02/2025

Vols intérieurs courts : quel avenir ?

A l’heure où certaines liaisons aériennes sont vouées à la fermeture en raison de la présence d’offre alternative suffisante par le train, ou encore faute de transporteurs intéressés par l’exploitation de ces liaisons, on peut légitimement se demander si les petites liaisons aériennes françaises ont encore de beaux jours devant elles. Pour y répondre, retour sur le régime juridique encadrant l’accès aux services aériens au sein de l’Union européenne.

 

Un principe de liberté de prestations des services aériens

La libéralisation des transports aériens en Europe a été engagée dans les années 80 par l’adoption de trois paquets de mesures de libéralisation[1] sous l’influence du mouvement initié par les Etats-Unis. Aujourd’hui, et depuis 2008, c’est le règlement CE n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008[2] qui structure l’accès au marché du transport aérien au sein de l’Union européenne.

Conformément à l’article 15 du Règlement n° 1008/2008, le principe général est celui de la liberté de prestation des services aériens : les transporteurs aériens communautaires sont autorisés à exploiter les lignes intracommunautaires et ce, sans autorisation ou permis préalablement délivré par l’Etat membre.

La possibilité d’imposer des obligations de service public sur certaines liaisons aériennes

Pour autant, la libéralisation du secteur aérien n’est pas synonyme de déréglementation. Ainsi, par exception, les Etats membres peuvent intervenir pour garantir l’accès aux régions dans lesquelles le libre jeu du marché concurrentiel ne permet pas d’assurer un service de transport acceptable.

Dans ces conditions, les Etats membres peuvent tout de même garantir la connectivité des régions isolées ou en développement en imposant des obligations de service public, communément dénommées sous l’acronyme « OSP ».

Cette faculté d’imposition d’OSP implique, pour l’Etat membre, de s’assurer que la liaison puisse être considérée comme « vitale pour le développement économique et social de la région desservie par l’aéroport »[3]. Le Règlement ne précise pas les conditions permettant de qualifier le caractère vital d’une Région et laisse ainsi une marge d’appréciation relative aux Etats membres[4]. S’agissant, par exemple, d’une petite île, d’une région enclavée ou encore d’une liaison à faible trafic, leur caractère vital est, a priori, rempli.

Les OSP constituent des normes d’exploitation devant être respectées par les transporteurs aériens souhaitant exploiter une liaison « vitale ». Ces normes permettent d’assurer une prestation minimale de services aériens réguliers en matière de continuité, de régularité, de prix ou encore de capacité minimale[5]. Concrètement, les OSP peuvent se traduire par l’imposition de fréquences de desserte ; des horaires préalablement fixés ; des tarifs spécifiques en fonction du profil des passagers (résidents ou non) ou encore l’obligation d’utiliser un type d’appareil.

Lorsqu’au moins un transporteur accepte d’exploiter une liaison aérienne tout en respectant les OSP fixées et ce sans contrepartie financière ni exclusivité, il s’agit alors d’OSP dites « ouvertes ».

En revanche, lorsque la ligne soumise à OSP ouvertes n’a attiré aucun transporteur, l’Etat membre peut décider de limiter l’accès des services aériens sur cette liaison en attribuant à un unique transporteur l’exclusivité de l’exploitation de ladite liaison avec, éventuellement, une compensation financière. En pareille hypothèse, l’on parle alors d’OSP dites « fermées » ou « restreintes ». Une telle exclusivité se formalise par la conclusion d’une délégation de service public attribuée à l’issue d’un appel d’offres européen[6] et dont la durée ne peut excéder quatre années[7].

En France, de nombreuses liaisons sont exploitées dans le cadre de telles délégations de services publics, c’est notamment le cas pour des lignes métropolitaines radiales (telles que Aurillac – Paris) ; transversales (La Rochelle – Lyon) ; les dessertes de la Corse ou encore des dessertes intérieures de la Guyane.

La France est d’ailleurs l’un des Etats membres qui se saisit le plus de l’instrument des OSP. En 2018 sur les 177 liaisons soumises à des OSP dans l’Union européenne, une quarantaine sont situées en France.

Toutefois, force est de reconnaître que la survie de ces liaisons est notamment conditionnée à l’intérêt des transporteurs à leur égard.

En effet, plusieurs liaisons sont désormais menacées de fermeture faute d’opérateurs intéressés ou d’offres sérieuses. A titre d’illustration, la liaison Lanion-Paris a été contrainte de fermeture à défaut de propositions financières viables des transporteurs, formulées dans le cadre de l’appel d’offres.

Au total, si l’imposition d’OSP ouvertes peut constituer un frein pour la libre prestation des services aériens, cela est moins vrai s’agissant des liaisons aériennes exploitées dans le cadre de délégation de service public. En effet, la conclusion d’une telle convention permet de maintenir l’exploitation d’une petite liaison qui, si elle avait été laissée au sort du marché concurrentiel n’aurait pu échapper à la fermeture. En cela, les délégations de service public constituent un formidable outil pour le désenclavement et la cohésion des territoires, mais encore faut-il que les transporteurs aériens répondent à l’appel (d’offres).

La possibilité de supprimer des liaisons aériennes en cas d’alternative par voie ferroviaire suffisante, on fait le point

Un autre cas fait figure d’exception au principe de liberté des prestations de services aériens : celui de la suppression des vols intérieurs lorsqu’une alternative par voie ferroviaire est possible[8].

Mesure phare de la loi Climat et Résilience de 2021[9], lorsqu’il existe un trajet ferroviaire direct de moins de 2 heures 30, les liaisons aériennes régulières desservant les mêmes villes, dans chaque sens, sont supprimées conformément au II. de l’article L. 6412-3 du Code des transports. Cette interdiction suppose également que plusieurs trajets ferroviaires par jour soient disponibles et que ceux-ci permettent aux voyageurs de rester plus de 8 heures sur place dans la journée[10].

En pratique, l’entrée en vigueur de ces dispositions n’a que peu de conséquences pour les voyageurs, à tout le moins sur le moyen terme, dès lors que seules trois liaisons aériennes sont concernées, étant précisé que leur fermeture est déjà effective depuis 2021. Le décret d’application se contente ainsi d’entériner la suppression de trois liaisons aériennes, à savoir celles entre Paris-Orly, Bordeaux, Nantes et Lyon.

D’autres liaisons aériennes sont, pour l’heure, maintenues, faute de réunir les conditions précitées, c’est notamment le cas des liaisons entre Lyon ou Rennes et Paris Charles-de-Gaulle.

En somme, cette interdiction, motivée par l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique, ne présente qu’un effet très limité puisqu’un vol intérieur en France sur quarante est concerné (5 000 liaisons annuelles sur 200 000 chaque année).

En conséquence, cette autre mesure ne menace pas la survie des petites liaisons. Toutefois, il est permis de douter de cette affirmation pour l’avenir, compte tenu de la volonté affirmée d’investir significativement dans le développement du réseau ferroviaire.

Reconduction des mécanismes de soutien aux aéroports régionaux

Alors que les lignes directrices sur les aides aux aéroports et aux compagnies aériennes devaient expirer en avril 2024, la Commission a décidé de les prolonger pour une durée de trois années afin, notamment, de tenir compte de la baisse des recettes et de la hausse des coûts auxquels les petits aéroports ont été confrontés avec la pandémie de Covid-19 et a hausse des coûts.

La Commission européenne travaille actuellement sur la révision de cette réglementation à partir de 2027[11]. En réponse à la consultation lancée par la Commission, Région de France plaide notamment pour une revalorisation des seuils d’éligibilité ; un maintien des aides au fonctionnement comme à l’investissement de manière pérenne ou encore à une exclusion des coûts d’investissement liés à la décarbonation nécessaire du secteur.

Si ce régime n’est pas reconduit en 2027, les aéroports devront assumer l’intégralité de leurs coûts d’exploitation. Cette décision qui sera prise par la Commission sera donc déterminante pour l’avenir des aéroports régionaux qui sont pour la majorité dépendants de fonds publics.

Stratégies de mutualisations adoptées par certaines collectivités

Certaines collectivités territoriales optent pour des stratégies de mutualisation pour donner un nouvel élan aux petits aéroports. La Région Occitanie a par exemple créé la SPLAR (société publique locale aéroportuaire régionale), permettant d’assurer une mutualisation de certains achats (fourniture d’électricité, logiciels de gestion, assurances, etc.) et des fonctions supports des trois aéroports régionaux.

La Région Bretagne encourage également une mutualisation entre certains aéroports de son ressort permettant de réaliser des économies d’échelle. En Normandie, les aéroports de Caen, Deauville, Rouen et Le Havre sont, depuis peu, exploités par un unique gestionnaire, la SEALAR.

Ces stratégies de mutualisation se développent sur tout le territoire et participent incontestablement à la compétitivité des petits et moyens aéroports.

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[1] Respectivement adoptés en 1987, 1990 et 1992.

[2] Règlement établissant des règles communes pour l’exploitation de services aériens dans la Communauté.

[3] Article 16 paragraphe 1 du Règlement n° 1008/2008 du 24 septembre 2008

[4] La Commission veille toutefois à ce qu’une telle qualification ne poursuive pas, en réalité, l’objectif de promouvoir un transporteur aérien ou de soutenir l’activité d’un aéroport identifié.

[5] Paragraphe 16 de l’article 16 du Règlement n° 1008/2008

[6] Conformément à l’article 17 du Règlement n° 1008/2008

[7] Cette durée peut être portée à cinq ans s’agissant des régions ultrapériphériques

[8] L’article 20 du Règlement n° 1008/2008 permet aux Etats membres « lorsqu’il existe des problèmes graves en matière d’environnement » de « limiter ou refuser l’exercice des droits de trafic, notamment lorsque d’autres modes de transports fournissent un service satisfaisant ».

[9] Article 145 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dont les modalités ont été précisées par le décret n° 2023-385 du 22 mai 2023 précisant les conditions d’application de l’interdiction des services réguliers de transport aérien public de passagers intérieurs dont le trajet est également assuré par voie ferrée en moins de deux heures trente.

[10] Cela implique donc de prévoir des trajets en début et fin de journée.

[11] Révision des lignes directrices sur les aides d’État aux aéroports et aux compagnies aériennes 2014/C 99/03