Dans cette affaire, a été déclaré d’utilité publique (DUP) un projet de requalification d’une friche industrielle, ainsi que les acquisitions nécessaires à la réalisation de cette opération en vue d’une réserve foncière, et a autorisé l’établissement public foncier local à procéder à ces acquisitions pour le compte d’une commune et d’une communauté d’agglomération. Plus précisément, il s’agit d’un site situé à 2kms du centre-ville et à proximité d’une zone d’activité, d’une superficie de plus de 4 hectares abritant une ancienne usine d’embouteillage avec d’anciens hangars et bâtiments industriels désaffectés depuis 2004. Ce site a été laissé à l’abandon, menace ruine, n’est pas sécurisé et fait donc régulièrement l’objet d’intrusions. Saisi d’un recours en annulation par certains propriétaires de parcelles concernées par la DUP, le Tribunal administratif de Poitiers a annulé cet arrêté préfectoral.
Puis, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel des collectivités et de l’EPT et ainsi confirmé le jugement de première instance au motif que les collectivités locales « ne justifiaient […] malgré leur objectif affirmé de requalification de cette zone actuellement en état de friche polluée et très dégradée, d’aucun projet d’action ou d’opération d’aménagement défini même dans ses grandes lignes ». Saisi d’un pourvoi par les collectivités locales et l’EPT, le Conseil d’Etat a, d’abord, rappelé que les personnes publiques peuvent acquérir des immeubles par le biais de l’expropriation pour constituer des réserves foncières au sens de l’article L. 221-1 du Code de l’urbanisme, si elles sont en mesure de :
- justifier, à la date à laquelle la procédure de déclaration d’utilité publique est engagée, de l’existence d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme, même si les caractéristiques du projet ne sont pas encore définies ;
- faire apparaitre la nature du projet envisagé au sein du dossier d’enquête préalable à la DUP.
Au cas d’espèce, contrairement à ce qu’avait retenu la Cour, le Conseil d’Etat a considéré qu’ « Il ressort toutefois des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune et la communauté d’agglomération ont entendu réserver le terrain des » Chais Montaigne « pour permettre la réalisation d’une opération de renouvellement urbain afin, d’une part, de résorber une friche industrielle à l’entrée de la ville présentant un danger avéré pour les habitants et, d’autre part, de développer de nouvelles zones d’activité économique ainsi qu’une offre de logements familiaux à loyer abordable, conformément à la vocation de la zone telle que modifiée par le plan local d’urbanisme intercommunal alors en cours d’élaboration et adopté en décembre 2019. »
En outre, le Conseil d’Etat a relevé que la consistance du projet était définie « de manière sommaire, sans que la répartition entre ses composantes de développement économique et d’habitat n’aient encore été arrêtées », mais qu’elle ne pouvait être, en l’état, plus précise, dans la mesure où il était nécessaire de disposer de la maîtrise foncière pour préciser ce programme d’aménagement, et concrètement réaliser les diagnostics, actions de dépollution, etc. Ainsi, selon le rapporteur public, M. Nicolas AGNOUX sur cette affaire :
« En statuant par ces motifs, la cour nous paraît avoir perdu de vue la spécificité des réserves foncières, dont l’objet n’est pas de réaliser mais seulement d’anticiper la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement, ce que traduit l’écart de texte entre les dispositions de l’article L. 221-1 et celles de l’article L. 210-1 propre aux droits de préemption, les réserves foncières étant exercées non pas « en vue de la réalisation » des actions et opérations mais « en vue de permettre la réalisation » de celles-ci. ».
Le rapporteur public a donc rappelé dans ses conclusions l’importance de l’« approche plus souple » de la vérification par le juge administratif de la conformité de l’objet du projet par rapport à ceux énumérés à l’article L. 300-1 du Code de l’urbanisme.