Urbanisme, aménagement et foncier
le 12/10/2023

Une servitude provisoire n’a pas à être prise en compte comme un élément de moins-value d’un bien exproprié lors de la fixation judiciaire des indemnités

Cass. Civ., 3ème, 28 septembre 2023, n° 22-21.012

Dans cette affaire, une parcelle appartenant à une société civile immobilière (SCI) a été déclarée cessible pour cause d’utilité publique au profit d’un établissement public d’aménagement (EPA).

L’ordonnance d’expropriation a logiquement transféré la propriété de la parcelle de la SCI à l’EPA.

Seulement, à défaut d’accord amiable sur la valeur de la parcelle, la SCI ayant refusé l’offre d’indemnisation de l’EPA, ce dernier a été contraint de saisir le juge de l’expropriation aux fins de fixation de l’indemnité de dépossession.

L’EPA fait ici grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir fixé l’indemnité de dépossession devant revenir à la SCI sans tenir compte, dans l’évaluation de la parcelle, de la circonstance qu’elle était située dans un secteur couvert par un périmètre d’attente de projet global qui limitait de manière drastique les possibilités de construction, alors même que cette limitation existait bien à la date de référence.

A suivre l’EPA, une telle circonstance est un élément de moins-value de la parcelle qui doit nécessairement venir en réduction du prix de cette dernière.

Saisie d’un tel pourvoi de l’EPA, la Cour de cassation a, d’abord, rappelé l’article L. 322-4 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, lequel renvoie à l’article L. 322-3 du même Code, et en a tiré la conclusion que « ce texte ne précise pas si les servitudes devant être prises en compte à la date de référence doivent être permanentes ».

En effet, pour rappel, l’article L. 322-4 du Code précité dispose que :

« L’évaluation des terrains à bâtir tient compte des possibilités légales et effectives de construction qui existaient à la date de référence prévue à l’article L. 322-3, de la capacité des équipements mentionnés à cet article, des servitudes affectant l’utilisation des sols et notamment des servitudes d’utilité publique, y compris les restrictions administratives au droit de construire, sauf si leur institution révèle, de la part de l’expropriant, une intention dolosive ».

Tandis que l’article L. 322-3 du même Code dispose que :

« La qualification de terrains à bâtir, au sens du présent code, est réservée aux terrains qui, un an avant l’ouverture de l’enquête prévue à l’article L. 1 ou, dans le cas prévu à l’article L. 122-4, un an avant la déclaration d’utilité publique, sont, quelle que soit leur utilisation, à la fois :

1° Situés dans un secteur désigné comme constructible par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, ou bien, en l’absence d’un tel document, situés dans une partie actuellement urbanisée d’une commune ;

2° Effectivement desservis par une voie d’accès, un réseau électrique, un réseau d’eau potable et, dans la mesure où les règles relatives à l’urbanisme et à la santé publique l’exigent pour construire sur ces terrains, un réseau d’assainissement, à condition que ces divers réseaux soient situés à proximité immédiate des terrains en cause et soient de dimensions adaptées à la capacité de construction de ces terrains. Lorsqu’il s’agit de terrains situés dans une zone désignée par un plan d’occupation des sols, un plan local d’urbanisme, un document d’urbanisme en tenant lieu ou par une carte communale, comme devant faire l’objet d’une opération d’aménagement d’ensemble, la dimension de ces réseaux est appréciée au regard de l’ensemble de la zone.

Les terrains qui, à la date de référence indiquée au premier alinéa, ne répondent pas à ces conditions sont évalués en fonction de leur seul usage effectif, conformément à l’article L. 322-2 ».

Ensuite, la Cour de cassation ajoute que, à l’inverse, s’agissant de « l’évaluation des terrains selon leur usage effectif, l’article L. 322-2 du même Code prévoit que seules les servitudes et restrictions administratives affectant de façon permanente l’utilisation ou l’exploitation des biens à la date de référence doivent être prises en compte ». En effet, l’alinéa 2 de cet article dispose que : « il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l’utilisation ou l’exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l’expropriant, une intention dolosive ».

Puis, la Cour de cassation fait référence aux débats parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi n° 85-729 en date du 18 juillet 1985 qui a modifié l’ancien article L. 13-15 I. du Code de l’expropriation, devenu L. 322-2 du même Code, afin de confirmer que le « législateur a entendu aligner l’évaluation des terrains selon leur usage effectif et celle prévue pour les terrains à bâtir quant à la prise en compte des servitudes ».

La Cour de cassation en déduit donc que « seules les servitudes et restrictions administratives à caractère permanent doivent être prises en compte pour l’évaluation des terrains à bâtir ».

Par conséquent, selon la Cour de cassation, « la servitude tenant à l’existence d’un périmètre d’attente d’un projet d’aménagement global, qui a un caractère provisoire et devient inopposable au propriétaire par le seul écoulement du temps, ne constitue pas un élément de moins-value et n’a pas à être prise en compte pour l’évaluation du terrain ».

La Cour de cassation rappelle donc que, dans notre espèce, à la date de référence du 26 mai 2016, la parcelle de terrain à bâtir était bien classée en zone constructible du document d’urbanisme local applicable et également située au sein d’un périmètre d’attente d’un projet d’aménagement global qui limitait les possibilités de constructions. Toutefois, la Cour de cassation confirme que c’est à bon droit que la Cour d’appel a retenu que cette limitation provisoire n’avait pas à être prise en compte pour l’évaluation de la parcelle.

La Cour de cassation a donc rejeté le pourvoi de l’EPA.