Contrats publics
le 12/07/2022

Une personne publique peut résilier un contrat mais pas l’annuler

CE, 13 juin 2022, Centre hospitalier d’Ajaccio, n° 453769

Par sa décision Centre hospitalier d’Ajaccio du 13 juin 2022, le Conseil d’Etat réaffirme le principe selon lequel une personne publique ne peut, d’elle-même et sans recourir au juge administratif, prononcer l’annulation avec effet rétroactif d’un contrat, quand bien même celui-ci fût illicite.

Cette décision a été rendue dans le cadre d’un contentieux opposant le centre hospitalier d’Ajaccio à un médecin exerçant en son sein, dans le cadre d’une convention conclue le 28 décembre 2009, une activité libérale en son sein, en contrepartie du versement d’une redevance correspondant à 16 % de ses honoraires.

Le 20 septembre 2017, le centre hospitalier a mis en demeure le médecin de cesser toute activité libérale au sein de l’établissement et l’a informé de ce que la clause de la convention fixant la redevance à un taux de 16 % devait être regardée comme « nulle et non écrite », dès lors que les textes fixaient cette redevances à 30 % des honoraires. Le centre hospitalier a ensuite émis un titre de recettes à l’encontre du médecin afin de recouvrer la somme correspondant à la différence du montant de redevance due au taux de 30 % et celui versé au taux de 16 % au titre de l’activité libérale au cours de la période 2013-2016.

Par un jugement du 17 octobre 2019, le Tribunal administratif de Bastia a annulé ce titre de recettes et déchargé le médecin de l’obligation de payer la somme en faisant l’objet ; par ailleurs, il a rejeté les conclusions indemnitaires du médecin tendant à la réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait de la cessation de son activité libérale et de la rupture de son contrat de praticien attaché.

Saisie par le centre hospitalier ainsi que par le médecin, la Cour administrative d’appel de Marseille a, par un arrêt du 15 avril 2021,  rejeté l’appel, en considérant que le titre exécutoire litigieux était tout d’abord entaché d’une erreur de droit en ce que le montant de la créance y était déterminé par référence aux dispositions de l’article D. 6154-10-3 du Code de la santé publique, qui n’étaient applicables qu’aux praticiens hospitaliers exerçant à temps plein, ce qui n’était pas le cas du médecin en l’espèce. La Cour a relevé que ce titre aurait également pu être émis sur le fondement des dispositions de l’article L. 6146-2 du Code de la santé publique, mais que, les praticiens autorisés à exercer une activité libérale sur ce fondement étant placés, vis-à-vis de l’administration, dans une situation réglementaire et non contractuelle, la décision individuelle du centre hospitalier de laisser exercer le médecin en contrepartie d’une redevance d’un montant de 16 % de ses honoraires aurait dû, dans ces conditions, être retirée dans les quatre mois suivant son adoption et qu’à défaut, le médecin bénéficiait d’un droit acquis sur son fondement.

Saisi d’un pourvoi par le centre hospitalier, le Conseil d’Etat annule tout d’abord l’arrêt pour erreur de droit, considérant que, contrairement à ce qu’a jugé la Cour administrative d’appel, une convention conclue sur le fondement de l’article L. 6146-2 du Code de la santé publique, qui fixe les conditions et modalités dans lesquelles un professionnel de santé exerçant à titre libéral participe aux missions d’un établissement de santé, revêt, eu égard à la nature des liens qu’elle établit entre les parties, une nature contractuelle.

Ensuite, statuant sur le fond, le Conseil d’Etat juge que la décision du centre hospitalier de dénoncer la clause de la convention fixant la redevance à un taux de 16 % comme nulle et non écrite ne pouvait s’appliquer que pour l’avenir et ne pouvait entrainer la disparition de la clause de la convention conclue entre les parties.

Le Conseil d’Etat fonde cette décision sur le principe selon lequel une personne publique partie à un contrat administratif ne peut d’elle-même qu’en prononcer la résiliation et doit saisir le juge d’un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat pour en demander le cas échéant l’annulation. Par suite, il considère que le médecin était fondé, pour la période antérieure à la décision de dénonciation du 20 décembre 2017, fondé à se prévaloir des stipulations de la convention qu’il avait conclue et, partant, à être déchargé de l’obligation de rembourser la différence du montant de redevance due au taux de 30 % et celui versé au taux de 16 %.

En refusant ainsi de reconnaitre à la personne publique un pouvoir d’annulation rétroactive du contrat, la décision s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle ancienne (CE 2 avril 1971, Tlatli Salah Eddine, T. p. 923) récemment réaffirmée par la décision Commune de Béziers I (CE, 27 décembre 2009, req. n° 304802), selon laquelle la nullité n’est pas un état qui se constate mais une sanction qui ne peut être prononcée que par le Juge, ainsi que l’a souligné le Rapporteur public Arnaud Skzryerbak dans ses conclusions.