Urbanisme, aménagement et foncier
le 15/11/2023

Une opération de restauration immobilière nécessitant la mise en œuvre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique ne porte pas atteinte au droit de propriété protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen

CE, 30 octobre 2023, n° 474408

Dans cette affaire, le Préfet du Pas-de-Calais a déclaré cessibles des immeubles nécessaires à la réalisation d’une opération de restauration immobilière à Béthune.

Cet arrêté a fait l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif qui a rejeté cette demande, rejet qui a été confirmé en appel.

La requérante s’est pourvue en cassation contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel, et a en parallèle soulevé la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suivante :

« Les dispositions des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 314-4-2 du Code de l’urbanisme, en ce qu’elles permettent l’expropriation d’un immeuble dont le propriétaire n’a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans le cadre d’une opération de restauration immobilière, sont-elles constitutionnelles par rapport au droit de propriété protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ? ».

En réponse, le Conseil d’Etat a, d’abord, cité les articles du Code de l’urbanisme critiqués.

Pour rappel, l’article L. 313-4 du Code de l’urbanisme dispose que :

« Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, d’amélioration de l’habitat, comprenant l’aménagement, y compris par démolition, d’accès aux services de secours ou d’évacuation des personnes au regard du risque incendie, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d’habitabilité d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles. Elles sont engagées à l’initiative soit des collectivités publiques, soit d’un ou plusieurs propriétaires, groupés ou non en association syndicale, et sont menées dans les conditions définies par la section 3 du présent chapitre.

Lorsqu’elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d’utilité publique ».

  1. 314-4-1 du même Code poursuit :

« Lorsque l’opération nécessite une déclaration d’utilité publique, celle-ci est prise, dans les conditions fixées par le Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, à l’initiative de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent pour réaliser les opérations de restauration immobilière, ou de l’Etat avec l’accord de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ».

Selon l’article L. 314-4-2 du Code :

« Après le prononcé de la déclaration d’utilité publique, la personne qui en a pris l’initiative arrête, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser dans un délai qu’elle fixe.

Cet arrêté est notifié à chaque propriétaire. Lorsque le programme de travaux concerne des bâtiments soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, l’arrêté est notifié à chaque copropriétaire et au syndicat des copropriétaires, pris en la personne du syndic.

Lors de l’enquête parcellaire, elle notifie à chaque propriétaire ou copropriétaire le programme des travaux qui lui incombent. Lorsque le programme de travaux concerne des bâtiments soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le programme portant sur les parties communes est également notifié au syndicat des copropriétaires, pris en la personne du syndic. Si un propriétaire ou copropriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié pour information, ou d’en confier la réalisation à l’organisme chargé de la restauration, son immeuble n’est pas compris dans l’arrêté de cessibilité ».

C’est ici bien comprendre que lorsqu’une opération de restauration immobilière nécessite que l’utilité publique de l’opération soit reconnue, par un arrêté déclarant d’utilité publique (DUP) le projet, la collectivité qui est à l’origine de cette opération devra mettre en œuvre la procédure de déclaration d’utilité publique décrite au sein du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Concrètement, l’utilité publique est reconnue si les trois conditions suivantes sont réunies :

  • Le but de l’expropriation doit constituer un intérêt général permettant de mettre en œuvre cette opération. Autrement posé, l’expropriation répond à un besoin de la population ;
  • Le recours à l’expropriation est nécessaire en vue de mettre en œuvre l’opération projetée, car l’administration expropriante est ici dans l’impossibilité de mettre en œuvre l’opération, sans recourir à l’expropriation, faute de posséder des parcelles en vue de réaliser l’ouvrage public, et ce, dans des conditions équivalentes à l’expropriation ;
  • Un bilan coûts/avantages positif de l’expropriation projetée. Il conviendra de démontrer que l’expropriation entrainera des conséquences globalement positives par rapport à ses inconvénients, au regard notamment des atteintes à la propriété privée, du coût financier, des inconvénients d’ordre social (CE, Ass., 28 mai 1971, Ville Nouvelle Est, req. n° 78825, publié au Recueil).

Ensuite, un arrêté de cessibilité devra être pris par le préfet. Pour ce faire, il faudra ouvrir l’enquête parcellaire, en vue de déclarer cessibles les immeubles présents au sein du projet de DUP et qui lui sont nécessaires.

Lors de l’enquête parcellaire, l’administration porteuse du projet devra arrêter, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser qui incombent au propriétaire, dans un délai qu’elle fixe.

Toutefois, si un propriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié pour information, ou d’en confier la réalisation à l’organisme chargé de la restauration, son immeuble ne sera pas compris dans l’arrêté de cessibilité.

La QPC soulevée portait donc ici sur les propriétaires n’ayant pas fait connaitre leur intention de réaliser les travaux car, dans une telle hypothèse, leurs biens seront compris au sein de l’arrêté de cessibilité, arrêté qui est un préalable indispensable à l’expropriation prononcée par ordonnance du juge de l’expropriation.

Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé les trois conditions pour transmettre une QPC au Conseil constitutionnel, a estimé que cette QPC n’était pas sérieuse car :

  • Le législateur n’a autorisé l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d’opérations dont l’utilité publique est préalablement et formellement constatée par l’autorité administrative, sous contrôle du juge administratif ;
  • En effet, l’arrêté de DUP peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir : dans ce cadre, le juge administratif devra apprécier l’utilité publique du projet selon les trois conditions précitées de la « la théorie du bilan» ;
  • Le Conseil d’Etat en déduit, dans la décision commentée, que : « ces modalités de contrôle de l’utilité publique des opérations de restauration immobilière par le juge administratif répondent aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen». ;
  • Enfin, le Conseil d’Etat ajoute que l’arrêté de cessibilité pourra également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif, lequel pourra s’assurer que le périmètre d’expropriation est en rapport avec l’opération déclarée d’utilité publique et jugera de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme des travaux qui lui a été notifié préalablement à l’intervention de l’arrêté de cessibilité.

En conclusion, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel. Il a également refusé l’admission du pourvoi.