Contrats publics
le 15/06/2023

Un pouvoir adjudicateur n’est pas tenu de réorienter une offre déposée dans le dossier numérique d’une autre consultation

CE, 1er juin 2023, Communauté d’agglomération de Château-Thierry, n° 469127

Lorsqu’un candidat qui entendait postuler à la procédure n° X dépose par erreur son offre dans le dossier numérique n° Y du profil d’acheteur, le pouvoir adjudicateur est-il tenu de « repêcher » cette offre et de la réintégrer à la procédure X ?

Telle est la question à laquelle le Conseil d’Etat a dû répondre dans le cadre d’un litige relatif à la procédure de passation d’un marché relatif à la réalisation de travaux de séparation de réseaux unitaires initiée par la Communauté d’agglomération de la région de Château-Thierry.

La Société RVM, qui souhaitait postuler à la procédure n° 2022S13, a déposé par erreur son offre dans le « tiroir numérique » dédiée à une autre procédure, la n° 2022S14, lancée en parallèle par la Collectivité et dont les dates limites de réception des candidatures et des offres étaient identiques. La Communauté d’agglomération n’a donc pas pris en compte cette offre dans le cadre de la procédure n° 2022S13 et l’a rejetée comme inappropriée dans le cadre de la procédure n° 2022S14.

La Société RVM a donc saisi le Juge des référés du Tribunal administratif d’Amiens qui, par une ordonnance du 8 novembre 2022, a annulé la procédure à compter du stade de l’examen des candidatures et des offres et enjoint à la Communauté d’agglomération, sauf si elle entendait renoncer à passer le marché, de reprendre la procédure de passation à compter de ce stade, aux motifs qu’il n’y avait pas d’ambiguïté possible sur le fait que les pièces transmises par la Société RVM correspondaient au marché référencé n° 2022S13 et que leur rétablissement au titre de la procédure de passation litigieuse ne nécessitait aucune analyse ni aucune contrainte particulière pour le pouvoir adjudicateur.

Saisi par la Communauté d’agglomération, le Conseil d’Etat adopte l’analyse inverse à celle du Juge des référés et pose le principe suivant, qui justifie la mention de sa décision aux tables du recueil Lebon :

« Toutefois d’une part, aucune disposition ni aucun principe n’impose au pouvoir adjudicateur d’informer un candidat que son offre a été déposée dans le cadre d’une autre consultation que celle à laquelle il voulait postuler et, d’autre part, il ne peut rectifier de lui-même l’erreur de dépôt ainsi commise, sauf dans l’hypothèse où il serait établi que cette erreur résulterait d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public ».

A cet égard, il convient de souligner qu’en retenant une impossibilité pour le pouvoir adjudicateur de réorienter une offre déposée au mauvais endroit, hormis dans les cas de dysfonctionnement technique, le Conseil d’Etat adopte une lecture extensive des dispositions du Code de la commande publique prohibant la régularisation des offres inappropriées, là où le Rapporteur public Nicolas Labrune invitait, pour sa part, à considérer que l’acheteur pouvait, s’il le souhaitait, faire preuve de souplesse et procéder à une telle réorientation.

Par suite, le Conseil d’Etat prononce l’annulation de l’ordonnance comme étant entachée d’une erreur de droit et, statuant au fond, rejette la requête de la Société RVM, considérant que la Communauté d’agglomération n’avait pas manqué à ses obligations de mise en concurrence en ne prenant pas en compte la candidature et l’offre présentées dans un « tiroir numérique » correspondant à un autre marché que celui en litige, alors même que les dates limites de remise des offres et des candidatures étaient identiques.