Urbanisme, aménagement et foncier
le 17/10/2024

Transmission d’une QPC par la Cour de cassation au sujet du délai très court dans lequel le contrat de rachat du bien exproprié rétrocédé doit être signé et le prix payé

Cass. Civ., 3ème, 5 septembre 2024, n° P 24-40.013

Rappel des faits :

Un arrêté préfectoral de 1993 a déclaré d’utilité publique un projet de création d’une zone d’aménagement concerté à Thionville.

Environ un an plus tard, l’établissement public foncier de Lorraine, devenu l’Etablissement public foncier de Grand Est (EPFGE) désigné pour procéder aux acquisitions nécessaires au projet de DUP, a acquis des terrains à des particuliers.

Par un jugement du 15 février 2013, le Tribunal de grande instance de Thionville a ordonné la rétrocession de l’une des parcelles objet de l’acte notarié de 1994.

Puis le prix de la rétrocession a été fixé par un jugement du 14 novembre 2019, rectifié par un jugement du 19 mars 2020.

Le 13 octobre 2020, l’EPFGE a notifié aux expropriés la déchéance de leur droit de rétrocession en application de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.

Les propriétaires expropriés ont saisi le Juge de l’expropriation du département de la Moselle, aux fins de restitution de ladite parcelle, contre le paiement du prix de rétrocession.

Le Juge de l’expropriation de la Moselle s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal judiciaire de Thionville.

C’est ainsi que, devant le juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Thionville, les expropriés ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)

Par ordonnance du 3 juin 2024, le Juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Thionville a transmis cette QPC à la Cour de cassation.

Analyse de la recevabilité de la QPC par la Cour de cassation :

La QPC soulevée est la suivante :

« L’article L. 421-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que par l’article 1 du protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ? ».

L’article L. 421-3 du Code de l’expropriation dispose que :

« A peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice. »

La Cour de cassation a vérifié les 3 conditions permettant d’accueillir une QPC, à savoir, selon l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel :

  • 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
  • 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
  • 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

1° La Cour de cassation a, d’abord, considéré que la QPC en tant qu’elle vise une non-conformité au protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, n’était pas recevable.

La Cour de cassation s’est donc uniquement prononcée sur la QPC en tant qu’elle visait également les articles 2 et 17 de la DDHC.

A ce titre, elle a reconnu que l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation était bien applicable au litige, dès lors que cet article est opposé à la demande d’exécution du jugement ayant ordonné la rétrocession de la parcelle au profit des expropriés, au prix fixé judiciairement.

2° De même, la Cour a considéré que l’article en litige n’avait pas déjà été déclaré conforme à la Constitution, et que la QPC présentait un caractère sérieux.

3° Enfin, la Cour de cassation a considéré, pour deux motifs, que la QPC méritait d’être transmise au Conseil constitutionnel :

  • D’une part, « la disposition contestée, en ce qu’elle sanctionne par la déchéance du droit de rétrocession par l’absence de signature de l’acte de vente et de paiement du prix dans le délai d’un mois à compter de la fixation amiable ou judiciaire du prix, nonobstant l’accomplissement à cette fin de diligences par le titulaire du droit de rétrocession ou une éventuelle inertie de l’autorité expropriante, est susceptible de priver d’effectivité l’exercice du droit de rétrocession et, ainsi, de porter atteinte au droit de propriété» ;
  • D’autre part, « cette atteinte pourrait être considérée comme disproportionnée, dès lors que le délai d’un mois paraît incompatible avec les délais usuels d’établissement d’un acte authentique et, lorsque le bénéficiaire du droit de rétrocession est tenu de recourir à un financement, de souscription d’un prêt bancaire»

Par conséquent, la Cour de cassation a transmis cette QPC au Conseil constitutionnel.

La décision du Conseil constitutionnel est vivement attendue puisqu’elle aura des conséquences très pratiques sur la mise en œuvre concrète du droit de rétrocession.