Un sous-directeur d’administration centrale au ministère de l’intérieur et des outre-mer s’est vu notifier le 10 octobre 2023 une ordonnance de mise en cause par un magistrat instructeur près la Cour des comptes s’agissant de l’inexécution de décisions de justice par l’Etat en matière de visas. Par une décision implicite du 11 décembre 2023, l’octroi de la protection fonctionnelle a été refusé au requérant, qui a alors saisi le juge administratif d’un référé suspension.
Le 14 mars 2024 le juge des référés du Tribunal administratif de Paris a rendu une décision particulièrement intéressante, et ce à deux égards.
D’abord, il s’agit d’une des très rares décisions où il est admis qu’un refus de protection fonctionnelle fasse l’objet d’une suspension par le juge des référés, la condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative y faisant la plupart du temps obstacle. On peut ainsi relever peu de précédents (voir pour l’un des rares d’entre eux : CE, 26 février 2020, n° 436176 qui concernait la protection fonctionnelle de la mère d’un ancien agent des forces armées françaises en Afghanistan dans un contexte de menaces très particulier).
Dans cette affaire, dans laquelle était donc demandée par un agent mis en cause devant la Cour des comptes la protection fonctionnelle aux fins de bénéficier de la prise en charge des frais d’avocat utiles pour exercer sa défense, le Tribunal considère néanmoins cette condition établie au regard de la particularité du dossier, selon le considérant suivant :
« 4. Il résulte de l’instruction que M. C ne bénéficie actuellement d’aucune assistance pour préparer sa défense alors que, d’une part, il exerce des fonctions chronophages et prenantes de sous-directeur au sein du ministère de l’intérieur et des outre-mer et, d’autre part, la phase d’instruction devant la Cour des comptes a largement été amorcée dès lors que le magistrat chargé de l’instruction l’a déjà auditionné le 8 février 2024. En outre, le coût des honoraires d’un avocat spécialisé dans le domaine de la responsabilité financière des gestionnaires publics devant la Cour des comptes exposerait M. C à des dépenses élevées sans pour autant permettre des recherches importantes de pièces au sein de ses services afin d’assurer sa défense dans un dossier portant sur de très nombreux cas d’inexécution ou de retards d’exécution de jugements. »
Ensuite, alors que les poursuites devant la Cour des comptes ne sont pas des poursuites pénales ni des hypothèses d’ouverture de la protection fonctionnelle visées par le CGFP, le juge des référés a estimé que la mise en cause d’un agent au titre du nouveau dispositif de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 – qui crée un régime de responsabilité financière unifié des gestionnaires publics avec des infractions financières – est de nature à justifier de l’octroi de la protection fonctionnelle. C’est ainsi qu’après avoir, par une application classique du droit en vigueur, exclut l’existence d’une faute personnelle, le juge a fait droit à la demande de l’agent et suspendu ce refus en enjoignant un octroi provisoire de la protection fonctionnelle.
La décision se fonde sur le fait que les articles L. 134-1 du CGFP n’excluraient pas l’application du principe général du droit à la protection fonctionnelle antérieurement reconnu par la jurisprudence du Conseil d’Etat à des cas non prévus « comme une nouvelle procédure non judiciaire de responsabilité financière prévoyant de lourdes sanctions ».
Ne s’agissant que d’une décision de référé rendue en premier ressort sa portée reste sujette à caution mais son intérêt n’en est pas moins certain en ce que la procédure à laquelle elle étend le bénéfice de la protection fonctionnelle est relativement nouvelle et effectivement lourde de conséquences pour les agents qu’elle vise.