Santé, action sanitaire et sociale
le 15/06/2023
Esther DOULAIN
Doriane PILARD

Suspension d’un arrêté visant la fermeture d’un EHPAD : points d’attention pour les autorités de contrôle

CE, 13 avril 2023, n° 470481

En réaction aux révélations ayant frappé les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) relevant du secteur privé au printemps 2022, des procédures de contrôle massives de ces établissements ont été mises en œuvre. Ces contrôles, réalisés sur place ou sur pièces, par les autorités compétentes pour délivrer leur autorisation ont parfois conduit à des décisions de cessation définitive de l’activité (autrement dit de fermeture) entrainant l’abrogation de l’autorisation détenue par le gestionnaire. Au regard des conséquences liées à l’abrogation de leur autorisation, certains gestionnaires de ces ESSMS ont pu contester lesdites décisions. C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’ordonnance rendue par le Conseil d’Etat, statuant en référé, le 13 avril 2023.

En l’espèce, il s’agissait d’un EHPAD ayant été autorisé conjointement par le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) et le président du conseil départemental (PCD) pour une capacité de 37 places d’hébergement dont 33 places en hébergement complet et 4 places en hébergement temporaire, pour des personnes souffrant de maladie d’Alzheimer ou apparentées.

Une visite d’inspection, réalisée les 11 et 12 mai 2022, a conduit ces autorités à suspendre l’activité de cet établissement le 17 mai 2022, à compter du lendemain, pour une durée de six mois au motif que la sécurité, la santé ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ou accompagnées était menacé ou compromis[1]. Ces autorités ont également décidé de placer cet établissement sous administration provisoire durant une période maximale d’un mois, « aux fins de procéder au transfert de l’ensemble des résidents vers d’autres établissements ». Par suite, sur la base du rapport d’inspection réalisé par les deux autorités, des injonctions, prescriptions et recommandations à satisfaire dans un délai de deux mois[2] ont été adressées au gestionnaire de l’établissement. A l’issue de ce délai, les autorités ont considéré qu’il n’avait pas été remédié aux manquements constatés et que de fait, les personnes accueillies risqueraient, en cas de réadmission, de voir leur santé ou leur sécurité compromise.

C’est ainsi que le directeur de l’ARS et le PCD ont prononcé, le 18 novembre 2022, la cessation totale et définitive de l’activité de l’établissement abrogeant, par conséquence, l’autorisation qui lui était accordée. Considérant que cette décision n’était pas fondée, le gestionnaire a saisi le Tribunal administratif de Dijon d’une requête en référé-suspension afin que ce dernier suspende l’exécution de cette décision.

Toutefois, par une ordonnance du 11 janvier 2023, le Tribunal administratif de Dijon a rejeté le recours en référé introduit par le gestionnaire de l’EHPAD. C’est pourquoi ce dernier s’est pourvu en cassation devant le Conseil d’Etat, qui s’est prononcé sur le bien-fondé de cette ordonnance. D’abord, le Conseil d’Etat a relevé que le juge des référés du premier degré avait insuffisamment motivé son ordonnance et ne l’a pas mis en mesure d’exercer son contrôle. Le juge de cassation a considéré que le Tribunal administratif de Dijon n’avait pas tenu compte du fait que l’établissement avait remédié à la quasi-totalité des dysfonctionnements et notamment des plus graves.

Ensuite, le juge de cassation a examiné les faits de l’espèce afin de déterminer s’il existait un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté. Après analyse, le Conseil d’Etat a relevé que les injonctions avaient été suivies d’effet par le gestionnaire qui a, notamment, procédé à la mise en place dans les chambres doubles d’un système fixe ou mobile visant à respecter l’intimité et la dignité des personnes prises en charge, supprimé les plans de change et de soins dans les couloirs et a fermé la chambre se situant à l’écart des lieux de vie et d’activité et dont le seul accès était inaccessible pour une personne vulnérable en perte d’autonomie. En outre, le juge du Conseil d’Etat a relevé que l’établissement avait démontré sa capacité à travailler avec d’autres acteurs du territoire pour accompagner les personnes âgées.

Au vu de ces améliorations, le Juge des référés du Conseil d’Etat a considéré que la décision du Tribunal administratif de Dijon reposait sur plusieurs erreurs de faits et que, par conséquent, les conditions requises pour décider de la cessation des activités de l’établissement n’étaient pas réunies.

Enfin, le Juge d’appel s’est prononcé sur l’urgence à suspendre ladite décision et a considéré qu’elle était justifiée dans ce cas d’espèce, compte tenu de l’absence de recettes dont dispose l’établissement depuis qu’il n’accueille plus de résidents, alors même qu’il a conservé ses charges fixes, continué de rémunérer et engagé des travaux et recrutements rendus nécessaires pour remédier aux injonctions qui lui ont été faites.

Cet arrêt du Conseil d’Etat vient donc nous éclairer sur le processus de décision des autorités de contrôle, à l’issue d’une procédure de contrôle d’un ESSMS. Elles doivent s’assurer, lorsqu’elles décident de procéder à la cessation de l’activité d’un ESSMS, que cette mesure demeure justifiée à la date à laquelle elle est prononcée, au regard des risques causées pour les personnes accueillies et à ce titre, doivent vérifier que les recommandations ou injonctions formulées n’ont pas été suivies d’effet ou demeurent encore non exécutées.

La décision en date du 18 novembre 2022 prononçant la cessation des activités de l’EHPAD étant suspendue par le Conseil d’Etat, c’est désormais devant les juges du fond que se poursuivra cette affaire.

 

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[1] Article L. 313-16 du CASF.

[2] Article L. 313-14 du CASF.