Contrats publics
le 22/05/2025

Sursis à exécution du jugement résiliant un marché attribué au soumissionnaire d’une offre inappropriée

CAA Bordeaux, 14 mai 2025, n° 25BX00259

Par un arrêt en date du 14 mai 2025 la Cour administrative d’appel de Marseille suspend l’exécution d’un jugement ayant prononcé la résiliation immédiate d’un marché attribué à un soumissionnaire dont l’offre aurait dû être rejetée comme inappropriée.

Pour rappel, comme le prévoit l’article L. 2152-4 du Code de la commande publique[1], une offre inappropriée est une offre « sans rapport avec le marché » compte tenu du fait « qu’elle n’est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l’acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation ».

L’offre inappropriée fait partie des offres qualifiées de non conformes, devant être rejetées par l’acheteur sauf hypothèses de régularisation. A la différence de l’offre irrégulière (qui méconnait les documents de la consultation ou la législation applicable) et de l’offre inacceptable (dont le prix excède le budget établi par l’acheteur), l’offre inappropriée n’est jamais régularisable.

Une offre qualifiée d’inappropriée doit obligatoirement être rejetée et est insusceptible d’être retenue. Dans le cas contraire, l’attribution du marché est illégale car contraire aux règles de publicité et de mise en concurrence.

En l’espèce, par un avis d’appel public à la concurrence en date du 5 juillet 2021, un établissement public a lancé un appel d’offres ayant pour objet l’attribution d’un marché public relatif à l’acquisition et la livraison de navettes fluviales.

Après analyse, le pouvoir adjudicateur a décidé de retenir l’offre d’un groupement et, après avoir informé les autres candidats du rejet de leurs offres, a signé le marché avec son attributaire le 9 septembre 2022.

À la suite du rejet de son offre, un candidat a décidé de saisir le Tribunal administratif de Bordeaux, sur le fondement de la jurisprudence « Tarn-et-Garonne »[2] d’un recours en contestation de validité du marché, estimant que l’offre de l’attributaire aurait dû être qualifiée d’inappropriée et par conséquent être rejetée.

En substance, l’offre n’était pas conforme aux prescriptions techniques du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) imposant que le moteur électrique des navettes soit alimenté par des batteries électriques d’une autonomie minimale de douze (12) heures sans appoint d’énergie.

Accueillant les moyens du candidat évincé, le Tribunal administratif de Bordeaux a, par un jugement en date du 17 décembre 2024[3], qualifié l’offre d’inappropriée et prononcé la résiliation immédiate du marché.

À la suite de cette décision, l’établissement public a, par une première requête au fond, fait appel du jugement devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux et, par une seconde requête, demandé le sursis à exécution du jugement.

Pour rappel, l’article R. 811-15 du Code de justice administrative permet à l’administration, lorsqu’elle fait appel d’un jugement prononçant l’annulation ou la résiliation d’un contrat, de demander la suspension de l’exécution du jugement par un sursis à exécution.

Pour ce faire, ces dispositions imposent que « les moyens invoqués par l’appelant paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement. ».

Selon la Cour :

  • D’une part, la résiliation immédiate du contrat prononcée par le tribunal porte une atteinte excessive à l’intérêt général et ce moyen présente un caractère sérieux, eu égard notamment « à ses incidences sur la stratégie de développement du service public de transport fluvial » et « à l’état d’avancement de la phase en cours de la tranche optionnelle de ce contrat, puisque le titulaire aurait été en mesure de livrer deux navettes dès le mois de février 2025 »;
  • D’autre part, « ce moyen est de nature à justifier la réformation du jugement attaqué en ce qu’il n’a pas différé la résiliation prononcée de manière à permettre la livraison de ces navettes »;

La décision commentée ne se prononce que sur la requête en sursis à exécution, le fond n’ayant pas encore été tranché. Accueillant les moyens soulevés par l’établissement public, la Cour suspend la partie du jugement prononçant la résiliation immédiate du marché, jusqu’au 30 septembre 2025, sauf à ce qu’il soit statué sur le fond d’ici là.

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[1] Et l’article L. 3124-4 du Code de la commande publique en matière de concessions

[2] CE. Ass, 4 avril 2014, Département du Tarn-et-Garonne, n° 358994

[3] TA de Bordeaux, 17 décembre 2024, n° 2205947