Contrats publics
le 29/08/2024

Sur l’impartialité de l’élu dans le cadre d’une procédure de renouvellement de délégation de service public

CE, 24 juillet 2024, n° 491268

Par une décision en date du 24 juillet 2024, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer sur la délicate appréciation du manquement au principe d’impartialité dans le cadre d’une procédure de passation d’un contrat de la commande publique, lequel, lorsqu’il est constitué, justifie l’annulation du contrat par le Juge. Saisi par le concessionnaire sortant, le juge des référés du Tribunal administratif de Montreuil avait retenu ce manquement dans le cadre de la procédure menée par la ville de Sevran en vue du renouvellement de la délégation de service public portant sur la gestion du marché forain de la ville, et avait donc prononcé l’annulation de cette dernière par une ordonnance en date du 12 janvier 2024.

Plus précisément, un élu – présidant la Commission de délégation de service public, chargée d’analyser les dossiers de candidature et de dresser la liste des candidats admis à présenter une offre – avait publié un message sur Facebook, quelques jours avant la date limite de remise des candidatures, dont la substance était la suivante : « ce marché est mal géré. C’est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de le réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité ».

Le Juge des référés avait considéré que l’élu faisait « état d’une mauvaise gestion de ce marché, notamment en ce qui concernait la sélection des commerçants présents, et mettait exclusivement en lien la résolution de cette mauvaise gestion avec la procédure de renouvellement de la concession engagée quelques semaines plus tôt », et qu’une « telle prise de position critique visait directement la société SOMAREP, en charge à cette date de la gestion de ce marché urbain et candidate à sa succession, et constituait une atteinte à l’impartialité de la commission de l’article L. 1411-5 du Code général des collectivités territoriales dont il était président délégué » (TA Montreuil, 12 janvier 2024, req. n° 2315368).

Toutefois, saisi d’un pourvoi par la ville de Sevran, le Conseil d’Etat annule cette ordonnance.

La solution n’était cependant pas évidente. En effet, le Conseil d’Etat avait déjà affirmé que le principe d’impartialité s’impose à toute autorité administrative (y compris au pouvoir adjudicateur) et qu’il incombe aux membres de ces autorités de s’abstenir de toute prise de position publique de nature à compromettre le respect de ce principe (CE, 30 décembre 2010, Société Métropole Télévision, req. n° 338273 ; CE, 14 octobre 2015, Société Aplicam, req. n° 390968 391105 ; CE, 25 novembre 2021, Collectivité de Corse, req. n° 454466). Le Conseil d’Etat avait néanmoins déjà eu l’occasion de préciser que toute prise de parole publique sur un sujet par un membre d’une autorité administrative n’est pas par elle-même de nature à compromettre systématiquement le respect par cette autorité du principe d’impartialité (CE, 16 novembre 2020, Institut franco-européen de chiropraxie, req. n° 431120 ; CE, 13 novembre 2019, Société C8, req. n° 415396).

L’affaire commentée en est une illustration, puisque le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du juge des référés en considérant « qu’en jugeant que ce commentaire constituait une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante, alors que la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre de la société SOMAREP, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ». Cette décision confirme ainsi que le principe d’impartialité n’implique par l’interdiction pure et simple de toute prise de position publique dans le cadre d’une procédure de passation.

Les conclusions du Rapporteur public mettent toutefois en lumière que l’appréciation d’un tel manquement peut être divergente selon les juges. En effet, il reconnaissait lui-même « pouvoir comprendre que le juge des référés ait ainsi qualifié les faits », sans pour autant en retenir la même lecture. Il analysait le post Facebook non pas « comme l’affichage d’un parti pris dans la procédure de renouvellement de la concession », mais comme « l’affirmation d’une volonté de profiter de cette procédure pour procéder à une réforme et remédier aux difficultés identifiées, sans que cela implique nécessairement un changement de délégataire ».

Il relevait, en outre, que les propos litigieux avaient été tenus avant la date limite de remise des candidatures, de sorte que la liste des candidats n’était pas encore officiellement connue, et qu’il convenait de prendre en considération le contexte dans lequel les propos litigieux avaient été tenus : l’auteur du post était un conseiller municipal, le commentaire s’inscrivait dans une discussion en ligne sur le marché de Sevran dans laquelle des habitants de la commune exprimaient des avis divers, et une concertation publique sur l’avenir de ce marché avait été menée quelques mois avant par la Ville. Il en concluait avoir des réticences à proposer « d’interdire à un élu, lorsqu’il est interpelé à ce propos par ses administrés, de donner son avis sur le fonctionnement d’un service public relevant de sa compétence, dès que ce service public fait l’objet d’une procédure relevant de la commande publique ».

La jurisprudence étant particulièrement casuistique en la matière, cette décision – bien que rassurante pour les acheteurs – devrait conduire les élus à faire preuve d’une grande prudence dans les positions publiques qu’ils sont amenés à prendre dans le cadre de leur mandat au cours d’une procédure de passation.