Fonction publique
le 18/01/2024

Sanction disciplinaire : pas de méconnaissance de l’obligation de loyauté pour une sanction fondée sur des propos tenus sur un groupe WhatsApp

CAA Marseille, 19 décembre 2023, n° 23MA00974.

La Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé la possibilité de sanctionner des propos irrévérencieux et orduriers tenu à l’encontre de l’institution et de la hiérarchie de son auteur, ainsi que le fait d’administrer un groupe de discussion où de tels propos étaient par ailleurs tenus. Contrairement à la décision de première instance, l’utilisation de cette discussion comme élément de preuve n’a par ailleurs pas été considéré constitutive d’un manquement à l’obligation de loyauté de l’employeur.

En matière de sanction disciplinaire, il incombe à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire d’établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. En l’absence de disposition législative contraire, l’administration peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen. Elle ne peut toutefois, sauf si un intérêt public majeur le justifie, méconnaitre l’obligation de loyauté à laquelle elle est tenue vis-à-vis de ses agents[1].

Ainsi, le juge administratif, saisi d’une sanction disciplinaire à l’encontre d’un agent public, en apprécie la légalité au regard des seuls pièces ou documents que l’autorité investie du pouvoir disciplinaire pouvait ainsi retenir.

En l’espèce, M.A., gardien de la paix, s’est vu infliger un blâme en raison de sa participation à un groupe WhatsApp, dont il est créateur et administrateur, composé de tous les policiers de sa brigade, au sein duquel, d’une part, il n’a pas réagi à la tenue de propos irrévérencieux et orduriers sur sa hiérarchie, et irrespectueux envers l’institution, et d’autre part, il a lui-même publié des messages de cette nature à l’égard d’un officier de police sous l’autorité duquel il est placé.

Par un jugement en date du 10 mars 2023 (n° 2100042), le Tribunal administratif de Bastia, saisi de la sanction, avait jugé que cette sanction était intervenue en méconnaissance du principe de loyauté des poursuites disciplinaires et annulé ladite sanction en retenant que l’administration n’avait produit aucun élément permettant de déterminer les conditions dans lesquelles les pièces ou documents ayant fondé la sanction avaient été obtenus, soulevant ainsi un doute sur la conformité de l’obtention de la preuve avec son obligation de loyauté.

La Cour administrative d’appel de Marseille n’a pas suivi cette analyse, considérant que dès lors que les faits reprochés à l’agent avaient été révélés à la suite de déclarations spontanées d’un brigadier de la police lui-même membre du groupe de discussion et confirmés par les conclusions du rapport d’enquête de l’IGPN, l’administration ne pouvait être regardée comme ayant obtenu les éléments factuels fondant la sanction infligée à l’agent en méconnaissance de son obligation de loyauté.

Depuis quelques années, le juge administratif a eu l’occasion d’apprécier le caractère fautif de propos pouvant être tenus sur les réseaux sociaux, dès lors que les messages en cause étaient publics ou accessibles au public (CAA Nancy, 22 septembre 2016, n° 15NC00771 ; CAA Bordeaux, 4 mai 2022, n° 19BX02151). Il s’agissait toutefois ici de propos échangés via un dispositif privé, ce qui n’a pas empêché la cour de considérer le comportement fautif. Selon elle, eu égard à la dignité qui incombe à un policier, et dont « il ne doit se départir en aucune circonstance et à aucun moment, que ce soit en service ou en dehors du service, y compris lorsqu’il s’exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux ». La relative confidentialité de l’échange ne remet pas en cause le caractère fautif du comportement : « la circonstance que les messages révélés par l’enquête de l’inspection générale de la police nationale ont été publiés sur un groupe de discussion fermé et sécurisé, auxquels ne participaient que des policiers exerçant leurs fonctions au sein de la section d’intervention de l’unité d’intervention d’aide et d’assistance de proximité, n’est pas de nature à ôter aux faits reprochés leur caractère de faute disciplinaire justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire ». Selon la Cour, l’intéressé aurait même pu se voir infliger une sanction plus sévère.

Sur ce point, l’arrêt s’inscrit dans la jurisprudence du Conseil d’État. Les Juges du Palais Royal ont en effet déjà validé une sanction de révocation, pour des propos racistes et discriminatoires, alors même que ces propos avaient été tenus par un policier dans une conversation privée sur le réseau social WhatsApp[2].

 

[1] CE, Sect., 16 juillet 2014, n° 355201

[2] CE, 28 décembre 2023, n° 474289