Droit pénal et de la presse
le 18/01/2024
Didier SEBAN
Marine ALLALI

Retour sur le procès de Monique OLIVIER : entre attente légitime des familles de victime et déception

La Cour d’Assises des Hauts-de-Seine a jugé Madame Monique OLIVIER du 28 novembre au 19 décembre 2023 pour trois complicités de meurtres aggravés jalonnant le parcours criminel du couple qu’elle formait avec Michel FOURNIRET, celui de Marie-Angèle DOMECE en 1988, Joanna PARRISH en 1990 et Estelle MOUZIN en 2003.

Madame Monique OLIVIER a été condamnée à la perpétuité assortie de 20 ans de sureté. Cette décision est devenue définitive en l’absence de d’appel des parties.

Ces trois victimes avaient des parcours de vie très distincts puisqu’elles avaient des âges différents, des personnalités différentes, venaient de milieu voire de pays différents.  Leur seul point commun a été leur tragique rencontre avec le couple de tueurs en série FOURNIRET / OLIVIER, sur plus d’une décennie d’écart, exposant l’incapacité de notre système à les mettre hors d’état de nuire sur le temps long.

Fin 2023, après de longues années d’errance judiciaire pour les familles DOMECE, PARRISH et MOUZIN, Madame Monique OLIVIER a enfin pu être jugée pour ces trois faits, ce qui n’a pas été le cas de son ancien époux, Michel FOURNIRET, décédé le 10 mai 2021, emportant avec lui ses secrets.

Ces familles attendaient donc bien évidemment ce procès, qui était l’aboutissement pour elles d’un long combat au cours duquel elles se sont battues pour connaitre la vérité sur le sort de leur proche. En effet, il est sûr que ces dossiers n’auraient pas pu aboutir sans le combat des familles et de leurs conseils, ce qui a été admis publiquement à l’audience. Ainsi, les parties civiles avaient une place très particulière dans cette audience, elle-même, hors du commun en raison de sa durée, un mois, du nombre de partie civile, une vingtaine et, surtout, de l’ancienneté des dossiers évoqués, plus de 35 ans après les faits pour le plus ancien.

Par ailleurs, ce procès était la troisième comparution de Madame Monique OLIVIER devant une Cour d’assises pour des faits criminels, et ce, alors même que la plupart des faits évoqués était en état d’être jugée en 2008 lors de la première audience devant la Cour d’assises des Ardennes. Ces choix procéduraux de ne pas audiencier tous les dossiers FOURNIRET / OLIVIER en même temps a valu 15 années supplémentaires de souffrance pour les familles, qui n’ont eu de cesse de se battre contre ces décisions.

Autre particularité de l’audience, elle était la première du Pôle National dédié au traitement des Crimes Sériels ou Non Elucidés (PNCSNE) rattaché au Tribunal judiciaire de Nanterre, qui a vu le jour à la suite de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance en l’institution judiciaire (articles 706-106-1 et suivants du Code de procédure pénale).

Cette création trouve son origine dans les dysfonctionnements mis en évidence dans ce type de dossier et la mauvaise appréhension par le système judiciaire des meurtres sériels en France.

Madame Sabine KHERIS, vice-présidente chargée de l’instruction et coordinatrice du Pôle, a d’ailleurs déclaré, au cours de cette audience, que ce Pôle aurait pu prendre le prénom d’une des trois victimes compte tenu de l’importance qu’elles ont eu dans la genèse de celui-ci. Dans ce contexte particulier, les parties civiles avaient énormément d’attente quant à cette audience, son déroulement et son dénouement.  En effet, elles souhaitaient que cette audience permette la reconnaissance de leur souffrance par l’institution judiciaire, qui l’a si longtemps ignorée voire parfois aggravée.

À titre d’illustration, la procédure concernant la disparition de Marie-Angèle DOMECE a fait l’objet d’une décision de classement par le magistrat instructeur 6 mois seulement après son ouverture. Autrement dit, il était attendu par les familles un autre visage de la justice, que l’institution se montre enfin à la hauteur.  Malheureusement, malgré l’engagement de femmes et d’hommes et la teneur de la décision de culpabilité rendue, cela n’a pas pu être totalement le cas, et ce, pour différentes raisons.

Tout d’abord, les parties civiles ont eu le regret de constater que la tenue de l’audience n’a pas permis d’obtenir des éléments supplémentaires sur le déroulement des faits de la part de l’accusée. En outre, l’audience a ainsi été marquée par de nombreux incidents avec le Président de l’audience. En effet, le Président de la Cour d’Assises a adopté tout au long de l’audience une position autoritaire, refusant toutes les demandes des parties, fixant son planning de manière unilatérale sans tenir compte des observations justifiées des parties. Sa présidence a également été marquée par sa méconnaissance de certains éléments du dossier et du parcours criminel des auteurs. Or, la procédure devant la Cour d’Assises a la particularité d’être une procédure totalement orale, ce qui signifie qu’il est impératif de rappeler l’ensemble des éléments de l’enquête, de mettre en lumière les éléments constitutifs de l’infraction et leur imputation à l’accusé (Se déduit de l’article 347 alinéa 3 du Code de procédure pénale). C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnes ont été citées en qualité de témoin ou d’experts pendant les trois semaines et demie d’audience. Le rôle du Président est donc central puisque c’est lui a qui revient la charge d’entendre les témoins et experts cités à la barre ainsi que l’accusé et les parties afin que la Cour et les jurés puissent se forger leur intime conviction.

Les parties, parties civiles, parquet et défense, peuvent ensuite poser des questions, la défense devant systématiquement avoir la parole en dernier (Articles 312 et 346 du Code de procédure pénale). Ainsi, l’audition des témoins a été faite en dépit du bon sens et du minimum de respect qui est dû aux personnes se présentant à la barre, souvent avec beaucoup d’anxiété et d’appréhension. Les parties ont été particulièrement choquées par l’audition de Megan, une amie d’Estelle ayant fait l’objet d’une tentative d’enlèvement par un homme dans une camionnette blanche à Guermantes un jeudi, trois semaines avant les faits dont Estelle a été la victime. La similarité de cette tentative avec les faits dont Estelle a été la victime rendait ce témoignage d’une importance particulière parce que ce témoin a peut-être vu le meurtrier. Cependant, le Président au cours de l’audition de cette enfant devenue jeune femme a très lourdement insisté auprès d’elle en lui reprochant notamment de s’être « désintéressé du dossier » et de ne pas avoir appelé la police pour leur dire qu’elle reconnaissait Michel FOURNIRET comme étant l’homme qui avait tenté de l’enlever.  L’intensité des questions et la façon dont le témoin a été invectivé publiquement à la barre ont manqué de provoquer chez elle un malaise à tel point que les conseils des parties civiles ont dû lui apporter une chaise pour qu’elle puisse s’assoir et un verre d’eau pour qu’elle reprenne ses esprits.

De la même manière, le Président de l’audience a refusé d’interroger au fur et à mesure l’accusée sur les déclarations des témoins et experts et a également réduit le nombre d’interrogatoire sur le fond de Madame Monique OLIVIER.

À l’instar d’autres sessions devant d’autres Cour d’Assises, il est profondément regrettable de constater que l’accusée a été entendue sur des plages horaires précises selon un planning prédéfini faisant obstacle à toute spontanéité dans sa parole et entravant, par la même occasion, la manifestation de la vérité à l’audience. En effet, cette manière de mener les débats a pour désavantage d’empêcher tout fait d’audience, toute confrontation entre les témoins, l’accusée et les éléments du dossier. En l’occurrence, cela a malheureusement contribué à l’absence de nouveaux éléments sur les faits.

Le Cabinet, par le biais de conclusions d’incident, a tenté de sensibiliser la Cour d’Assises sur ce sujet dans le but de pouvoir interroger l’accusée à des moments qu’il jugeait opportun pour la manifestation de la vérité. Par exemple, après une longue bataille avec le Président pour confronter Monique Olivier à certains témoins, il a été fait droit partiellement à cette demande, en particulier en présence du fils unique du couple FOURNIRET/OLIVIER, Sélim. La démarche a permis de montrer à la Cour un autre visage de Monique Olivier, totalement différent de celui qu’elle présentait jusqu’alors et d’assister à un échange très personnel entre elle et son fils. Cet élément était intéressant pour la manifestation de la vérité puisqu’il était noté par tous les experts psychiatres et psychologues une dichotomie de son comportement, entre la femme âgée tremblante devant les juges et celle sûre d’elle capable de commettre des faits terribles, qui a fait face aux victimes.

Parallèlement à la question de la place laissée à la parole de l’accusée, les familles représentées par le Cabinet ont pu s’insurger contre la liberté de ton de certains témoins et experts dérapant, pour certains, en dehors du cadre et en totale violation de leurs obligations déontologiques et/ou professionnelles. C’est le cas, à titre d’exemple, des enquêteurs du Service Régional de la Police Judiciaire (SRPJ) de Versailles, ayant travaillé sur le dossier lié à la disparition d’Estelle MOUZIN. En effet, il est habituel en Cour d’assises que les directeurs d’enquêtes viennent exposer à la barre le compte-rendu de leurs investigations. Le dossier MOUZIN a la particularité d’avoir été traité par des services enquêteurs différents, le SRPJ de Versailles dépendant de la police judiciaire, puis, la section de recherche de Dijon rattachée à la gendarmerie nationale. De fait, ce dossier a connu des directeurs d’enquêteurs distincts au fur et à mesure du temps.

C’est grâce à la saisine de nouveaux enquêteurs que ce dossier a pu être élucidé.

Or, les premiers enquêteurs saisis, en échec par rapport à l’élucidation de ce crime, ont été cités à comparaître. Ainsi, un haut responsable de la police est venu à la barre exposer l’enquête de ses services et, peut-être, par peur de critiques, a également souhaité s’exprimer sur l’enquête postérieure à la sienne, dont il n’a eu connaissance que par voie de presse pour exposer son sentiment par rapport à la culpabilité de l’accusée.  Cette attitude non professionnelle et qui illustre l’opposition gendarmerie / police dont les victimes souffrent dans tant de dossiers, nous a également poussé à intervenir et à demander que sa parole soit recadrée par le Président à la stricte intervention dans le dossier MOUZIN des services du SRPJ de Versailles.

Les parties civiles ont donc eu du mal à comprendre qu’autant de tension puisse être présente au cours de cette audience alors qu’il s’agissait d’un dossier pour lequel les faits été reconnus par l’accusée. Les parties civiles et leurs conseils ont dû subir cette nouvelle maltraitance institutionnelle tout au long de cette audience qui aurait pourtant dû avoir une fonction réparatrice des erreurs du passé.

En définitive, le troisième procès de Madame Monique OLIVIER, le seul où elle était seule dans le box, par les aspects évoqués, n’a pas été à la hauteur de l’attente légitime des familles de victime, qui espèrent désormais que des leçons seront tirées par l’institution judiciaire de ses errements.

C’est d’ailleurs dans cette démarche qu’un recours en responsabilité pour fonctionnement défectueux des services judiciaires de l’État a été engagé par Monsieur Eric MOUZIN, père d’Estelle, devant le Tribunal judiciaire de Paris, ainsi qu’une action par-devant la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 2 de la Convention par l’Etat français, à savoir le respect du droit à la vie.

Ces procédures sont pendantes et auront pour finalité de trancher la question de la responsabilité des services judiciaires et policiers ainsi que de l’Etat français lui-même dans le traitement du dossier lié à la disparition d’Estelle.

Didier SEBAN et Marine ALLALI