Droit du travail et de la sécurité sociale
le 11/04/2024

Restructuration : le transfert obligatoire des salariés peut s’organiser même en l’absence de transfert du personnel encadrant

Cass. Soc., 31 janvier 2024, n° 21-25.273

De nombreuses entreprises et acteurs de l’action publique (associations, offices publics de l’habitat, etc.) sont confrontés à la question du sort de leur personnel attaché à l’exploitation d’une activité reprise par une autre entité. Tel peut notamment être le cas dans l’hypothèse de la fin d’une activité précédemment exercée dans le cadre d’un marché public qui a été attribué à une nouvelle entité. Tel peut, encore, être le cas en matière de fusion-absorption, de résiliation de contrat de location-gérance, etc. A cet égard, l’article L. 1224-1 du Code du travail, tel qu’interprété par la chambre sociale de la Cour de cassation, prévoit une obligation de reprise du personnel par l’entité cessionnaire de l’activité en cas de transfert d’une entité économique autonome. Selon la Haute juridiction, l’entité économique autonome est un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels et/ou incorporels permettant l’exercice d’une activité poursuivant un objectif propre (Cass. Soc., 23 octobre 2007 n° 06-45.289). Derrière cette définition abstraite se cache, en réalité, des questions concrètes.

Ainsi, dès lors qu’une entreprise :

  • choisit de poursuivre une activité identifiée à laquelle est spécifiquement affecté un personnel propre nécessaire à son exploitation ;
  • et qu’elle reprend les éléments d’actifs corporels ou incorporels nécessaires à sa poursuite sans changement significatif des moyens d’exploitation ;
  • il y a lieu de reprendre l’intégralité des contrats de travail affectés à cette activité.

En pratique, des débats peuvent avoir lieu à l’égard des éléments et du personnel nécessaires à l’exploitation de l’activité. En effet, dès lors que le cessionnaire reprend une activité dépourvue d’éléments d’actifs ou de personnel spécifiquement dédié à celle-ci, il y a lieu, selon la Cour de cassation, d’écarter l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Dans l’arrêt ci-commenté rendu le 31 janvier 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à trancher une problématique similaire[1] : L’absence de totale de personnel encadrant relatif à l’activité transférée suffit elle à écarter l’obligation de reprise du personnel issue de l’article L. 1224-1 du code du travail ?

En l’espèce, le nouvel attributaire d’un marché de prestations de service (activité de chargement et de déchargement de colis) n’avait pas repris les salariés de l’ancien prestataire attachés à cette activité. L’un des salariés de l’ancien prestataire a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes pour le paiement de diverses sommes, en dirigeant son action contre les sociétés entrante et sortante. A hauteur d’appel, les juges du fond ont considéré que la société sortante était restée l’employeur du salarié. Ils expliquaient, à cet égard, que l’absence totale d’équipe d’encadrement dédiée à l’activité ne permettait pas de caractériser l’existence d’une entité économique autonome. L’article L 1224-1 du Code du travail ne pouvait donc pas, selon elle, trouver application. La Cour d’appel s’était notamment appuyée sur le contrat entre l’ancien prestataire et l’attributaire du marché qui stipulait : « le prestataire s’engage à assurer un encadrement et une surveillance efficaces ». L’ancien prestataire soulignait également dans ses propres conclusions que « cet encadrement était nécessaire à la bonne exécution de la prestation ».

La Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement de la Cour d’appel. Dans un premier temps, celle-ci a rappelé que la seule perte d’un marché n’emportait pas, en elle-même, le transfert d’une entité économique autonome. Puis elle a souligné que l’absence de transfert de personnel encadrant était insuffisante à écarter un tel transfert dès lors que la Cour d’appel avait constaté :

 « que la société entrante avait repris le marché de prestations confié à la société sortante et poursuivi, dans les mêmes locaux et avec les mêmes équipements, la même activité à laquelle étaient affectés quatorze salariés manutentionnaires, en sorte qu’il y avait transfert d’éléments corporels et incorporels significatifs nécessaires à l’exploitation ».

 Pour la chambre sociale de la Cour de cassation, donc, l’absence de personnel encadrant n’est pas une condition suffisante à écarter l’obligation de reprise du personnel issue de l’article L. 1224-1 du Code du travail, dès lors que l’activité transférée se voyait doté :

  • d’un personnel spécifiquement affecté à son exploitation ;
  • d’actifs corporels et incorporels nécessaires à son exploitation.

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[1] Cass. Soc., 31 janvier 2024, n° 21-25.273