Contrats publics
le 14/03/2024

Résiliation par le juge d’un contrat public : quelle indemnisation pour le titulaire évincé ?

CE, 2 février 2024, SOGECCIR, n° 471318

Par sa décision Société Cegelec Perpignan du 6 octobre 2017 (n° 395268), le Conseil d’Etat avait défini les contours du droit à indemnisation du titulaire d’un contrat public dont l’annulation est prononcée par le Juge. Ce droit à indemnisation inclut :

  • le remboursement, sur le terrain quasi-contractuel, de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé (sauf dans l’hypothèse où le consentement de la collectivité a été vicié) ;
  • la réparation, sur le terrain quasi-délictuel, du dommage imputable à l’éventuelle faute de l’administration, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant des propres fautes de l’entreprise.

Ce dommage peut inclure le bénéfice manqué, sous réserve que le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice. Par la suite, il a été confirmé que ce droit à indemnisation du titulaire évincé se définissait selon les mêmes modalités en cas de résiliation (et non d’annulation) du contrat, que ce soit par l’effet d’une décision juridictionnelle (CE, 27 février 2019, Société Opilo, req. n° 410537) ou par l’effet d’une décision unilatérale de l’acheteur (CE, 10 juillet 2020, Société Comptoir Négoce Equipement, req. n° 430864).

Par cette nouvelle décision du 2 février 2024, le Conseil d’Etat vient compléter cette jurisprudence, en apportant une réponse à la question suivante : en cas de résiliation du contrat par le Juge en raison d’une irrégularité de la procédure de passation, le titulaire évincé a-t-il droit à l’indemnisation de son manque à gagner ? Comme il l’avait déjà fait avec sa décision Société Cegelec Perpignan dans l’hypothèse d’une annulation du contrat, le Conseil d’Etat répond que tel n’est pas le cas lorsque les manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur ont eu une incidence déterminante sur l’attribution du contrat.

Comme l’a souligné le Rapporteur public Marc Pichon de Verneuil dans ses conclusions sous cette nouvelle décision, il s’agit là d’éviter les effets d’aubaine : ce n’est que si le titulaire évincé détenait un droit à la poursuite du contrat indépendamment des irrégularités ayant causé son annulation ou sa résiliation que celles-ci affecteraient ce droit et le priveraient donc d’un manque à gagner.

Cette nouvelle décision intervient dans le cadre d’un litige relatif à la passation par la commune de Saint-Benoît d’une convention de délégation de service public pour la gestion de son service de restauration municipale. Saisie par un candidat évincé, la juridiction administrative avait requalifié le contrat en marché public et, considérant que celui-ci était affecté de plusieurs vices présentant un caractère de particulière gravité, en avait prononcé la résiliation. Le titulaire évincé, la Société SOGECCIR, a donc introduit un recours indemnitaire afin d’obtenir une indemnisation, entre autres, de son manque à gagner, ce qui lui a été refusé en première instance et en appel. A cet égard, la Cour administrative d’appel avait motivé ce refus par la circonstance que sa concurrente évincée avait été regardée comme n’étant pas dépourvue de toute chance de remporter ce contrat. Toutefois, elle n’avait pas apprécié le caractère déterminant des manquements pour l’attribution du contrat à la Société SOGECCIR, ce qu’elle était pourtant tenue de faire.

Relevant cette erreur de droit ainsi commise par la Cour administrative d’appel de Bordeaux, le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi par la Société SOGECCIR, commence par annuler cet arrêt. Pour autant, il aboutit à la même solution que celle retenue par les juges du fond, à savoir le rejet de la demande indemnitaire au titre du manque à gagner, dans la mesure où, en l’espèce, les manquements ayant conduit à la résiliation du contrat (requalification en marché public, absence de définition du contenu et des conditions de mise en œuvre des critères de sélection des offres, durée excessivement longue et absence de publication d’un avis d’attribution au niveau européen) ont effectivement eu une incidence déterminante sur l’attribution du contrat à la SOGECCIR et que, dans ces conditions, le lien entre la faute de la commune et le manque à gagner dont cette société réclamait réparation ne pouvait être regardé comme direct.