Par un intéressant avis contentieux rendu récemment, le Conseil d’État a apporté d’importantes précisions sur le régime juridique applicable aux comptes de réseaux sociaux tenus par des élus locaux.
Alors qu’il était saisi d’une demande tendant à l’annulation de la décision par laquelle le Maire de Lyon avait bloqué l’accès d’un internaute à son compte Twitter (désormais X), le Tribunal administratif de Lyon a, par un jugement avant dire droit[1], transmis au Conseil d’État une demande d’avis contentieux[2].
Plus précisément, le tribunal a soumis à l’examen de la Haute juridiction trois questions, à savoir, en substance :
- Un compte personnel ouvert sur un réseau social, librement accessible au public, mais mentionnant la qualité d’élu titulaire d’un mandat exécutif local, relève-t-il de la compétence du juge administratif ?
- Ce compte peut-il être qualifié comme participant au service public d’information assuré par la collectivité territoriale ?
- En cas de réponse négative aux deux questions, l’incompétence de la juridiction administrative est-elle absolue ou peut-elle être remise en cause selon certaines circonstances, telles que la nature des contenus diffusés ?
1. Une distinction fondée sur la nature du compte
Le Conseil d’État répond en opérant d’abord une distinction importante tenant à la nature du compte considéré.
Il indique que le compte institutionnel ouvert sur un réseau social par une collectivité territoriale, géré par elle ou sous son contrôle, participe à la mission de service public de l’information locale prise en charge par cette collectivité.
En revanche, il précise qu’un compte ouvert sur un réseau social par une personne physique, diffusant un contenu sélectionné par cette personne sous sa responsabilité, ne peut, même si cette personne est investie d’un mandat local et que le compte fait apparaître sur le réseau social que son titulaire a la qualité d’élu local ou qu’il exerce un mandat exécutif au sein d’une collectivité territoriale, être considéré comme participant de la mission de service public de l’information locale assurée par cette collectivité.
On retiendra donc que :
- Lorsqu’un compte est ouvert et géré par une collectivité territoriale ou sous son contrôle, il participe à la mission de service public d’information locale.
- En revanche, un compte personnel, même tenu par un élu local et faisant état de ses fonctions, n’entre pas dans le champ du service public dès lors que son contenu est sélectionné et publié sous sa seule responsabilité.
Cette distinction opérée par le Conseil d’État l’a ensuite conduit à en tirer les conséquences du point de vue de la compétence juridictionnelle.
2. Les conséquences sur la compétence juridictionnelle
Il indique ainsi que la gestion d’un compte personnel d’élu, y compris les décisions de blocage d’utilisateurs, ne relève pas de la compétence du juge administratif. La juridiction administrative est donc incompétente pour connaître des litiges liés à ce type de compte.
On relèvera que le Conseil d’État a pris le soin de préciser que la nature des contenus diffusés ou relayés sur le compte est sans effet sur cette qualification : ce n’est donc ni la thématique ni le ton des publications qui importe, mais bien le caractère personnel du compte et l’absence de lien fonctionnel avec la collectivité. A contrario, il faut retenir que la gestion du compte institutionnel de la collectivité ressort bien de la compétence de la juridiction administrative.
En cela, l’avis rendu s’inscrit en cohérence avec la jurisprudence existante intéressant les comptes institutionnels dont disposent les pouvoirs publics sur les réseaux sociaux. On rappellera à cet égard que par un arrêt du 27 mars 2023, la Cour administrative d’appel de Paris avait déjà confirmé la compétence du juge administratif pour connaître d’un litige né du blocage d’un utilisateur par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (établissement public administratif) sur son compte Twitter, dès lors que ce compte participait à l’exercice de ses missions de service public[3].
En définitive, l’avis commenté fixe une ligne de partage claire entre communication institutionnelle, relevant de la compétence du juge administratif, et expression personnelle des élus, soumise au contrôle du juge judiciaire. Il contribue ainsi à sécuriser le régime juridique applicable à l’usage des réseaux sociaux par les responsables publics.
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[1] TA Lyon, 10 décembre 2024, n° 2206874.
[2] Article L. 113-1 du Code de justice administrative.
[3] CAA Paris, 27 mars 2023, n° 21PA00815.