Droit de la propriété publique
le 16/03/2023
Alexandre VANDEPOORTER
Louis MALBETE

Requalification d’un bail en l’état futur d’achèvement en marché public

CAA Marseille, 27 février 2023, n° 21MA04312

Par un arrêt en date du 27 février 2023, la Cour administrative de Marseille a requalifié un contrat de bail en l’état futur d’achèvement (BEFA) en marché public de travaux, contrat dont elle a prononcé l’annulation tant ses clauses contrevenaient au régime applicable en matière de marchés publics. L’arrêt constitue un exemple de requalification d’un montage qui, selon la Cour, « avait pour seul but d’échapper […] aux règles de publicité et de mise en concurrence ».

L’affaire est la suivante : un centre hospitalier a décidé de conclure, de gré à gré, un bail en l’état futur d’achèvement auprès d’une société civile immobilière, contrat qui prévoyait « la location, à l’établissement public, de deux bâtiments existants ainsi que d’un bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d’achat ». Et à l’issue des travaux de construction, le centre hospitalier, « estimant que les conditions de conclusion du contrat étaient susceptibles de mettre en cause sa responsabilité pénale », a suspendu les paiements, s’est abstenu de prendre possession des locaux, et a introduit devant le Tribunal administratif de Grenoble un recours contentieux tendant à l’annulation du contrat, recours que le tribunal a rejeté.

La Cour a considéré qu’un des bâtiments « serait réalisé conformément à une notice descriptive sommaire et un cahier des prestations élaborés par le centre hospitalier et annexés au contrat », et donc que ce contrat prévoyait « la réalisation d’un ouvrage répondant aux besoins exprimés par le centre hospitalier, avec une option d’achat ». Elle en a donc déduit que ce contrat répondait à la définition d’un marché public de travaux, c’est-à-dire « soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception », et ce moyennant une contrepartie onéreuse[1].

La Cour administrative d’appel de Marseille a en conséquence prononcé l’annulation du contrat, et ce au motif que le contrat était contraire à la règle de prohibition des paiements différés qui est applicable aux marchés publics, à l’exception des marchés de partenariat. Et elle a pris soin de souligner que les établissements hospitaliers ne peuvent recourir aux marchés de partenariat :

« Le centre hospitalier ne pouvait ignorer que la satisfaction de son besoin supposait la passation d’un marché public. Le montage contractuel réalisé avait ainsi pour seul but d’échapper, d’une part, aux règles de publicité et de mise en concurrence, et, d’autre part, à la prohibition de tout paiement différé. Il doit à cet égard être tenu compte du fait que la loi n’offre pas aux centres hospitaliers, même au terme d’une procédure de mise en concurrence, la possibilité de différer le paiement de tels travaux répondant spécifiquement à un besoin. A ce titre, l’article 71 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, aujourd’hui codifié à l’article L. 2211-1 du code de la commande publique, interdit expressément aux établissements publics de santé de recourir à la procédure du marché public de partenariat, qui permet de faire préfinancer les travaux par un partenaire privé dont la rémunération prend la forme de loyers. Compte tenu de l’ensemble de ces circonstances, l’illicéité du contrat justifie en l’espèce son annulation ».

La décision est logique. C’est peut-être bien surtout la sanction qui ne s’imposait pas avec évidence : on sait qu’eu égard à la « loyauté » qui prévaut entre les parties et à la sécurité juridique, les parties ne peuvent en principe pas solliciter l’annulation de ce contrat, même s’il est illégal, sauf dans des cas bien spécifiques : un « contenu illicite du contrat » ou un « vice d’une particulière gravité », ce qui renvoie essentiellement à un vice du consentement (dol, erreur…) ou à un contenu contractuel contraire à la loi[2].

 

[1] Articles L. 1111-1 et L. 1111-2 du code de la commande publique.

[2] CE, 28 décembre 2009, arrêt dit « Béziers I », req. n° 304802