Energie
le 12/05/2022
Astrid DELESQUE
Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE

Regroupement illégal de concessions hydroélectriques modifiant leurs dates d’échéance

CE, 12 avril 2022, n° 434438

Par une décision du 12 avril 2022, le Conseil d’Etat a déclaré entaché d’illégalité l’article R. 521-61 du Code de l’énergie ainsi que le décret du 20 mars 2019 portant sur le regroupement de concessions hydroélectriques sur la Dordogne. 

Plus précisément, ledit décret prévoyait le regroupement des concessions hydroélectriques de la haute Dordogne dite « Coindre-Marèges » et de Saint-Pierre-Marèges sur la Dordogne, ces deux concessions étant exploitées par la Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM).

En pratique, un tel regroupement modifiait leurs dates d’échéance respectives en instaurant une date commune. Une telle modification soulevait des questions de mise en concurrence de ces concessions.

En effet, les dates de fin des concessions étaient initialement fixées au 31 décembre 2012 et au 31 décembre 2062 respectivement. Leur regroupement a fait naître une nouvelle date commune fixée par l’article 1er du décret susmentionné au 31 décembre 2048 (sous réserve de l’engagement au 31 décembre 2024 des travaux énumérés à l’article 3 de ce décret).

Face à cette modification, l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG) a demandé au ministre de la transition écologique et solidaire de retirer ce décret. Elle a formé un recours pour excès de pouvoir et demandé au Conseil d’Etat d’annuler celui-ci ainsi que la décision du 9 juillet 2019 par laquelle le ministre a rejeté son recours gracieux.

Le Conseil d’Etat a, par une décision du 18 mai 2021, ordonné un supplément d’instruction afin d’éclairer les modalités de calcul de la nouvelle date commune d’échéance des concessions regroupées ainsi que sur la variable « E » mentionnée à l’article R. 521-61 du code de l’énergie.

En vertu de ce supplément d’instruction, le Conseil d’Etat rappelle que le regroupement des concessions forme une chaîne d’aménagements hydrauliquement liés. Par conséquent, lui est appliquée la méthode des barycentres (qui consiste à allonger, d’une part, la durée de la concession dont la date d’échéance est proche et, d’autre part, réduire la durée d’une concession dont l’échéance est lointaine). Ce mécanisme permet d’aligner la date d’échéance des concessions regroupées tout en garantissant l’équilibre économique de l’ensemble des concessions regroupées.

S’agissant des dispositions litigieuses :

  • Selon l’article R. 521-61 du code de l’énergie, la nouvelle date d’échéance commune doit correspondre à la date à laquelle la valeur actuelle nette des flux de trésorerie disponibles futurs de la ou les concessions dont la durée est allongée compense strictement la valeur actuelle nette des flux de trésorerie futurs de la ou des concessions dont le concessionnaire est privé du fait de la réduction de leur durée.
  • Pour la variable « E », le même article définit les modalités de détermination de la date d’échéance théorique pour garantir la neutralité économique du regroupement. La formule de calcul varie selon qu’est positive, négative ou nulle la variable « E », qui correspond à la valeur actualisée nette des flux de trésorerie pendant la période de prorogation de la concession, augmentée des investissements de remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d’échéance de la concession et qui ont été réalisés après cette date.

Or, selon l’analyse du Conseil d’Etat, pour le calcul de la date commune d’échéance des concessions regroupées dont l’une fait l’objet d’une prorogation, seuls peuvent être pris en compte les flux de trésorerie qui correspondent aux investissements réalisés par le concessionnaire pendant la période de prorogation. Cette disposition a pour objectif d’inciter le concessionnaire à poursuivre ses investissements pendant cette période, indépendamment du caractère excédentaire ou déficitaire de son exploitation. Sont ainsi exclus les flux de trésorerie qui visent seulement la remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d’échéance de la concession comme le prévoient les dispositions de l’article R. 521-61 du code de l’énergie.

Ces dispositions sont ainsi déclarées contraires à celles du quatrième alinéa de l’article L. 521-16-1 du code de l’Energie qui en constituent la base légale. Par conséquent, le décret attaqué qui a fait application, pour calculer la nouvelle date commune d’échéance des concessions regroupées, des dispositions entachées d’illégalité de l’article R. 521-61 du code de l’énergie, est lui-même entaché d’illégalité.