Contrats publics
le 12/10/2023

Recours « Tarn-et-Garonne » : précisions sur l’intérêt à agir et les moyens invocables par une association de riverains

CAA Marseille, 4 octobre 2023, n° 21MA04315

Par sa jurisprudence dite « Tarn-et-Garonne » du 4 avril 2014, le Conseil d’État a ouvert le recours en contestation de la validité d’un contrat public à « tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses », ainsi qu’aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné et au représentant de l’État dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994).

Depuis lors, le Conseil d’Etat a progressivement précisé les contours de la notion de « tiers susceptibles d’être lésés » et recevables, à ce titre, à former un recours Tarn-et-Garonne, au-delà des seuls candidats évincés de la procédure de passation, dans l’intérêt lésé est évident.

Ainsi, la recevabilité d’un recours introduit par des contribuables locaux a été reconnue, sous réserve toutefois que les requérants établissent « que la convention ou les clauses dont ils contestent la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité » (CE, 27 mars 2020, req. n° 426291).

A l’inverse, le Conseil d’Etat a dénié la recevabilité de recours formés par des ordres professionnels se prévalant uniquement des intérêts collectifs dont ils ont la charge (CE, 3 juin 2020, Département de la Loire-Atlantique, req. n° 426932 ; CE 20 juillet 2021, req. n° 443346) et, plus récemment, des membres du conseil d’administration d’un établissement public à caractère scientifique qui ne se prévalaient que de leur seule qualité sans justifier par ailleurs de l’existence d’un intérêt lésé par le contrat litigieux (CE, 2 décembre 2022, req. n° 454323).

Par son arrêt en date du 4 octobre 2023, la Cour administrative d’appel de Marseille fournit une utile illustration d’une association de riverains se voyant reconnaitre, compte tenu de son objet statutaire, un intérêt à agir contre un contrat public.

En l’occurrence, le contrat litigieux était une concession de service public ayant pour objet l’exploitation, l’entretien et la valorisation de l’aérodrome d’Aix-Les Milles, attribué par l’Etat en décembre 2017 à la Société Edeis Management (devenue par la suite Edeis Concessions).

Sa validité a été contestée par l’association Collectif Danger Aix Avenir devant le Tribunal administratif de Marseille, qui a toutefois rejeté sa requête.

Saisi en appel par l’association, la Cour administrative d’appel de Marseille commence par annuler le jugement, constatant que les mémoires déposés par le Ministre de la transition écologique et solidaire n’avaient pas été transmis à l’association, en méconnaissance du principe du contradictoire posé à l’article 5 du Code de justice administrative et des dispositions de l’article R. 611-1 du même code.

Ensuite, la Cour administrative d’appel examine l’objet statutaire de l’association au moment de l’introduction de la requête, défini comme : « la défense de la population du bassin aéroportuaire Aix-Les Milles contre les diverses nuisances générées par l’aérodrome d’Aix-Les Milles dans le cadre local mais aussi dans le cadre de la lutte pour la préservation des conditions de vie sur notre seule planète. Elle est un mouvement citoyen qui regroupe, à des fins d’efficacité, des riverains et des non riverains de l’aérodrome, des membres d’autres associations du bassin aéroportuaire et plus largement toute personne concernée par la dégradation de la zone et la dégradation de l’environnement ».

A cet égard, l’arrêt précise – et c’est là l’un de ses principaux apports – que l’association ne peut se prévaloir des modifications statutaires intervenues postérieurement à l’introduction de sa requête.

Elle tient également compte du fait que l’association avait été désignée par le Préfet des Bouches-du-Rhône comme membre de la commission consultative de l’environnement de l’aérodrome.

Au vu de ces éléments, la Cour administrative d’appel conclut que l’association retire de son objet statutaire un intérêt susceptible d’être lésé par le contrat litigieux, tenant aux nuisances que les conditions d’exploitation de l’aérodrome peuvent faire subir aux riverains ou, de manière plus générale, aux atteintes qu’elles peuvent porter à l’environnement.

L’autre intérêt de cet arrêt est qu’il illustre l’application du principe selon lequel le requérant ne peut, dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne », soulever que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont il se prévaut.

Ainsi, la Cour administrative d’appel écarte comme inopérants certains des moyens soulevés par l’association, au motif que l’argumentation développée à leur appui n’est pas en rapport avec les nuisances subies par les riverains de l’aérodrome ou, de manière plus générale, les atteintes portées à l’environnement et que ces vices ne sont pas, en outre, d’une gravité telle qu’ils devraient être relevés d’office par le Juge.

Ces moyens écartés comme inopérants par l’arrêt sont les suivants :

  • Les vices tirés du caractère illégal du périmètre de la délégation de service public ;
  • Les vices tirés de l’insuffisante publicité donnée à la mise en concurrence ;
  • Les vices tirés de l’absence de mention dans le contrat de l’ensemble des travaux à la charge du candidat ;
  • Les vices tirés de l’irrégularité de la durée de la concession au regard des conditions de la mise en concurrence et de son caractère, en tout état de cause, excessif.

En outre, la Cour administrative d’appel précise que l’association ne peut davantage utilement se prévaloir, en tant que tels, d’évènements postérieurs à la conclusion du contrat (avenant, manquements du concessionnaire à ses obligations contractuelles), dès lors que ceux-ci sont, par hypothèse, sans incidence sur la validité du contrat tel qu’il a été initialement souscrit.

A l’inverse, les autres moyens d’irrégularité soulevés par l’association, listés ci-après, font l’objet d’un examen sur le fond, dans la mesure où ils sont considérés par la Cour administrative d’appel soit comme étant directement en lien avec les intérêts dont l’association se prévaut, soit comme d’une gravité telle qu’ils auraient dû être soulevés d’office par le juge (essentiellement les vices de consentement) :

  • Le vice tiré du fait que le contrat aurait été accordé par simple arrêté ministériel et non par décret en Conseil d’Etat, en méconnaissance de l’article R. 223-2 du Code de l’aviation civile ;
  • Le vice de consentement de l’Etat tiré de la « tromperie » sur les capacités financières du candidat attributaire ;
  • Le vice tiré de la méconnaissance par les stipulations du contrat de l’objectif de valeur constitutionnelle fixé par l’article 6 de la Charte de l’environnement ou les dispositions des articles L. 411-1 et suivants du Code de l’environnement.

Pour autant, la Cour écarte l’ensemble de ces moyens comme infondés et, par suite, rejette les demandes de première instance de l’association.