le 20/04/2020

Recours en contestation de la validité d’un contrat administratif : l’intérêt à agir des contribuables locaux précisé par le Conseil d’Etat

CE, 7ème et 2ème chambres réunies, 27 mars 2020 M. L… et autres, n° 426291, Publié au Recueil Lebon

C’est un arrêt important que le Conseil d’Etat a rendu le 27 mars dernier à propos d’un recours en contestation de la validité d’un contrat administratif (autrement appelé recours «Tarn-et-Garonne ») formé par des tiers, en l’espèce des contribuables locaux et usagers du service public de la distribution d’électricité.  

Depuis sa décision Département de Tarn-et-Garonne (CE Ass., 4 avril 2014, req. n° 358994), tout tiers à un contrat administratif (y compris les concurrents évincés) peut former un recours contestant la validité d’un contrat administratif sous réserve qu’il démontre être lésé dans ses intérêts « de façon suffisamment directe et certaine » par la passation ou les clauses du contrat et qu’il invoque des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé en cause ou suffisamment graves. 

Compte tenu des garde-fous ainsi posés par le Conseil d’Etat tant au niveau de l’intérêt pour agir des tiers qu’au niveau de l’opérance des moyens, l’accès au juge du contrat était rendu difficile en pratique pour certains tiers, en particulier les contribuables locaux, privés par ailleurs, depuis cette jurisprudence Tarn et Garonne, de la possibilité de contester les actes détachables d’un contrat par la voie du recours pour excès de pouvoir. 

Il faut tout d’abord relever que, dans cette affaire, les requérants avaient obtenu, à la faveur justement d’un recours pour excès de pouvoir, introduit en 2011, l’annulation des actes détachables du contrat de concession du service public du développement et de l’exploitation du réseau de distribution et de fourniture d’énergie électrique aux tarifs réglementés de vente qui avait été signé entre la Communauté urbaine du Grand Nancy et les sociétés ERDF et EDF. 

A l’appui de ce recours, les requérants avaient à l’époque contesté la légalité de deux clauses importantes du contrat de concession, l’une relative à la propriété des compteurs électriques communicants et l’autre relative à l’indemnité de fin de contrat due au concessionnaire. 

Par un arrêt rendu le 12 mai 2014, que nous avions commenté, la Cour administrative d’appel de Nancy avait jugé illégales les clauses contestées. Cette décision avait alors conduit les parties à régulariser les clauses litigieuses par voie d’avenant signé le 25 février 2015. 

Toutefois, cet avenant ayant été jugé insuffisant par les requérants, ces derniers avaient contesté celui-ci devant le Tribunal administratif de Nancy dans le cadre d’un recours « Tarn-et- Garonne », désormais seul possible. 

Par un jugement en date du 2 mai 2017, le Tribunal administratif de Nancy avait rejeté leur recours comme irrecevable, lequel avait ensuite été confirmé par la Cour administrative d’appel de Nancy dans un arrêt du 16 octobre 2018. 

C’est contre cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy, ayant adopté une approche qu’ils jugeaient restrictive de leur intérêt à agir, que les requérants avaient formé un pourvoi en cassation. 

Entre temps on précisera que la Métropole du Grand Nancy s’est substituée à la Communauté Urbaine du Grand Nancy et la société ERDF est devenue Enedis.   

Statuant sur ce pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat, en chambres réunies, rappelle tout d’abord que les contribuables locaux sont recevables à former un recours à l’encontre d’un contrat administratif à la condition « d’établir que la convention ou les clauses dont ils contestent la validité sont susceptibles d’emporter des conséquences significatives sur les finances ou le patrimoine de la collectivité ».  

Faisait application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat relève que, pour dénier tout intérêt à agir  aux requérants, la cour administrative d‘appel de Nancy avait considéré que les clauses contestées n’affectaient pas de façon significative les finances ou le patrimoine de la métropole au motif  d’une part, que la mise en œuvre de la clause qui excluait  du champ des ouvrages concédés certains dispositifs avait un caractère « aléatoire » et d’autre part, que la clause relative à la rupture anticipée du contrat avait un caractère « incertain ». 

Suivant les conclusions de la Rapporteur public, Madame Mireille Le Corre, le Conseil d’Etat juge que la Cour a commis une erreur de droit en écartant l’intérêt à agir des requérants en opérant ce raisonnement. 

Selon le Conseil d’Etat, « le caractère éventuel ou incertain de la mise en œuvre de clauses [est] par lui-même dépourvu d’incidence sur l’appréciation de leur répercussion possible sur les finances ou le patrimoine de l’autorité concédante ».  

Dès lors la Cour ne pouvait se fonder sur le caractère aléatoire du déploiement des dispositifs exclus de la liste des ouvrages concédés pour dénier tout intérêt à agir aux requérants. De même, la Cour ne pouvait exclure l’intérêt à agir des requérants en se fondant sur le caractère hypothétique de la clause relative à la rupture anticipée du contrat de concession eu égard au  monopole légal conféré aux concessionnaires et à la longue durée du contrat «  alors qu’au vu des évolutions scientifiques, techniques, économiques et juridiques propres au secteur de l’énergie, des modifications d’une telle concession sont probables au cours de la période couverte par le contrat et pourraient notamment nécessiter la mise en œuvre des clauses critiquées ».   

C’est ainsi que le Conseil d’Etat a considéré que la Cour avait commis deux erreurs de droit s’agissant de l’appréciation de l’intérêt à agir des requérants en leur qualité de contribuables locaux de la Métropole du Grand Nancy. 

On observera que la Métropole du Grand Nancy avait opposé une fin de non-recevoir au pourvoi des requérants dans la mesure où elle avait depuis signé un nouveau contrat de concession avec ses concessionnaires et ainsi résilié de manière anticipée le contrat de concession contesté.  Elle concluait qu’en conséquence, il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours formé par ses contribuables locaux. Confirmant une jurisprudence constante sur ce point, le Conseil d’Etat juge néanmoins que « la circonstance que le contrat de concession ait été résilié n’est pas de nature à priver d’objet le présent pourvoi ». 

Le Conseil d’Etat a ainsi annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy et renvoyé les parties au litige, à nouveau, devant cette Cour.