le 08/12/2014

Illégalité de trois clauses du cahier des charges de la concession de distribution publique d’électricité de la Communauté urbaine du Grand Nancy

CAA Nancy, 12 mai 2014, M. Mietkiewicz et autres, n° 13NC01303 et suivants

L’arrêt
M. Mietkiewicz et autres rendu par la
Cour administrative d’appel de Nancy vient apporter d’éclairantes précisions
sur le régime juridique des concessions de distribution publique d’électricité.

Par une
délibération en date du 15 avril 2011, la Communauté urbaine du grand Nancy
avait résilié son contrat de concession de distribution publique d’électricité
et autorisé son président à conclure un nouveau contrat de concession, signé le
18 avril 2011 avec les sociétés ERDF et EDF. Les requérants, usagers du service
public concédé et contribuables locaux, avaient formé un recours gracieux
contre la délibération et la décision de signer le contrat. Devant le rejet qui
leur avait été opposé, ils avaient saisi le Tribunal administratif de Nancy de
la légalité de ces actes. Celui-ci ayant rejeté les requêtes la Cour
administrative d’appel de Nancy fut saisie de ces jugements et lia les six
requêtes pour y répondre par un arrêt commun.

Statuant
sur la légalité d’actes détachables d’un contrat de concession de distribution
publique d’électricité, l’arrêt M.
Mietkiewicz et autres
est particulièrement intéressant s’agissant de
l’appréciation portée par le juge sur la légalité de certaines clauses du
cahier des charges annexé au contrat. En effet, au-delà de la confirmation du
pouvoir de contrôle des autorités concédantes dans la lignée de l’arrêt
SIPPEREC (CAA Paris, 25 mars 2013, SIPPEREC, n° 10PA04594, BJCP, 2013, p. 293),
la Cour administrative d’appel de Nancy est venu affirmer la propriété publique
des dispositifs de comptage déployés chez les usagers pour l’exploitation du
service public de la distribution d’électricité (I) et préciser les éléments de
calcul de l’indemnité pouvant être versée au concessionnaire pour la valeur non
amortie des biens concédés en fin de contrat (II). 

 

I/ La propriété publique des dispositifs de
comptage

 

Parmi
les questions que posait le contrat litigieux, celle de la propriété des
dispositifs de comptage avait cristallisé une partie des débats. Les compteurs électriques ou dispositifs de
comptage servent à mesurer la quantité d’énergie électrique consommée dans un
lieu donné. A ce titre, ils constituent un accessoire nécessaire à l’exercice
du service public de la distribution d’électricité. Le
décret n° 2010-1022 du 31 août 2010 relatif
aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d’électricité
avait
prévu le déploiement de nouveaux dispositifs de comptage dits
« intelligents ». L’adaptation du cahier des charges de la concession
à ce déploiement constituait l’un des motifs de la conclusion d’un nouveau
contrat par la Communauté urbaine. Toutefois, il était prévu aux articles 2 et
19 du cahier des charges que les dispositifs de comptage étaient exclus des
ouvrages concédés ; ils étaient donc, par conséquent, la propriété du
concessionnaire. Les requérants demandaient l’annulation de ces clauses, qu’ils
jugeaient réglementaires.

Dans
un arrêt Commune de Douai (CE,
21 déc. 2012, Commune de Douai, n° 342788)
le Conseil d’Etat avait jugé, en
synthétisant sa position antérieure, que constitue des biens de retour
l’ensemble des biens « nécessaires au fonctionnement du service
public » faisant l’objet d’une délégation, qu’ils soient meubles ou
immeubles. Dans ce cadre très général, la qualité
de biens de retour des dispositifs de comptage était discutée en jurisprudence.
Dans son jugement du 14 mai 2013, le Tribunal
administratif de Nancy, sans qualifier expressément les dispositifs de comptage
d’ouvrages de branchement, avait estimé qu’ils ne relevaient pas de la
domanialité publique dès lors qu’ils équipaient les habitations privées des usagers du
service public. Il en avait tiré pour conséquence, en application de la
jurisprudence Commune de Douai, que
les parties avaient pu prévoir une appropriation privative de ceux-ci par le
concessionnaire pour la durée du contrat « sans nécessairement
méconnaître (la loi) ». Le Conseil d’Etat avait cependant précisé dans cet
arrêt que, outre le caractère temporaire de l’appropriation,
le contrat devait comporter des garanties assurant la continuité du service
public, notamment la faculté pour la personne publique de s’opposer à toute
cession des biens en cause. Contraint de s’assurer du respect de ces
conditions, le Tribunal administratif avait jugé que les stipulations litigieuses
réservaient « implicitement, mais
nécessairement
, la faculté, pour l’autorité concédante, de s’opposer à la
cession, en cours de délégation, desdits ouvrages ou des droits détenus par le
concessionnaire (nous soulignons) ». Ainsi, mettant de côté la commune
intention des parties qui se déduisait tant de la volonté exprimée
littéralement à travers les clauses du contrat que de leurs prises de positions
publiques, les premiers juges avaient tenté de donner des stipulations
litigieuses une lecture assurant leur conformité au régime juridique des biens
de retour. Ce faisant, ils avaient procédé à l’équivalent de ce qu’on qualifie
parfois d’interprétation « neutralisante » en contentieux constitutionnel (Sur
cette notion voir Rousseau D., Droit du
contentieux constitutionnel
, Paris Montchrestien, 8e, 2008, p. 159 et
suivantes). Une telle façon de faire pouvait conduire à fragiliser les
principes que le juge entendait préserver. En particulier, elle ne réglait pas
la question du statut de ces biens en fin de contrat et aurait pu conduire à ce
que les dispositifs de comptage soient analysés comme étant des biens de
reprise, impliquant le versement d’une indemnité au concessionnaire en fin de
contrat.

Une telle solution a été expressément infirmée
dans la décision commentée. Rappelant que les parties ne « contestent
pas la portée qu’elles ont fixé d’une commune intention » des stipulations
contractuelles excluant des ouvrages concédés les dispositifs de comptage, la
Cour a jugé que ceux-ci constituent des ouvrages de branchement au sens des
dispositions de l’article 1 du décret
n° 2007-1280 du 28 août 2007
et font, en tant que tels, parties du réseau
de distribution appartenant, en vertu de l’article L. 322-4 du Code de
l’énergie, à l’autorité concédante. Cette solution vient ainsi clarifier le
régime juridique des dispositifs de comptage en matière de distribution
publique d’électricité. La Cour estime en effet qu’il s’agit de biens
appartenant au patrimoine des autorités concédantes par effet de la loi. En
tant que tels, ils ne peuvent donc faire l’objet d’aucune appropriation
privative, même provisoire, et ce quelles que soient les garanties prévues au
contrat – qui, en l’espèce, n’en comportait pas, du moins pas expressément.

 

II/  La
censure de l’indemnité due au titre des biens non amortis

 

Les requérants soutenaient que
l’indemnité de sortie définie à l’article 31 du cahier des charges de la
concession, due au concessionnaire en cas de résiliation ou de non
renouvellement du contrat de concession, n’était pas justifiée. La Cour a
d’abord pris soin de rappeler le principe du retour gratuit à l’autorité
concédante des biens nécessaires au fonctionnement du service public qui ont
été amortis en cours d’exécution du contrat, tout en rappelant, dans le même
temps, que ce principe ne fait pas obstacle au droit du concessionnaire à être
indemnisé à hauteur des investissements non amortis à l’expiration de la
concession, ce que le Conseil d’Etat avait déjà admis lorsque des
investissements nouveaux sont mis à la charge du concessionnaire en cours de contrat
(CE, avis, 19 avril 2005, n° 371234). Dans ses conclusions sur l’affaire
commentée, le rapporteur public a néanmoins relevé l’invraisemblance d’une
telle hypothèse en l’espèce, compte tenu de la durée – trente ans – du contrat
de concession. 

La
Cour a ensuite précisé les règles applicables aux modalités de calcul de
l’indemnité due au titre des biens de retour non amortis en cas de résiliation
du contrat. Elle a rappelé que le montant de cette indemnité doit en principe
correspondre à la valeur nette comptable inscrite au bilan de la société
concessionnaire. Ce principe avait récemment été confirmé par le Conseil d’Etat
dans l’arrêt Commune de Douai
s’agissant également d’une concession de distribution d’électricité. A cette
indemnité due au titre des biens non amortis, peut s’ajouter l’indemnisation
d’autres préjudices subis par le concessionnaire du fait de la résiliation tel
que le manque à gagner. Faisant application d’une solution antérieure (CE,
4 mai 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le
Vigan, n° 334280)
, la Cour en a cependant rappelé les limites :
il ne doit pas résulter au détriment de l’autorité concédante « une
disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du
préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu’il a exposées et
du gain dont il a été privé ».

En l’espèce, l’article 31 du cahier des
charges de la concession prévoyait que l’indemnité de sortie égale au montant
des biens non amortis serait réévaluée par référence au taux de rémunération
des actifs gérés par la société ERDF de 7,25% par an, tel que fixé dans la
décision du 5 juin 2009 fixant les tarifs d’utilisation des réseaux publics
d’électricité pour la période 2009-2012 (dits « TURPE 3 ») –
c’est-à-dire le tarif perçu par la société ERDF au titre de la rémunération de
la mission qui lui est confiée dans le cadre des concessions. La Cour a admis
qu’en cas de résiliation du contrat, une indemnisation couvrant la rémunération
du capital investi puisse s’ajouter à l’indemnité égale à la valeur nette
comptable des biens non amortis mais a jugé qu‘en l’espèce les modalités de
réévaluation de l’indemnité étaient disproportionnées par rapport au préjudice
éventuellement subi par la société ERDF. En effet, elle a tiré les conséquences
de l’arrêt Société Direct Energie et
autres
par lequel le Conseil d’Etat avait annulé le TURPE 3 au motif
notamment que ce taux de rémunération des actifs de 7,25 % résultait d’une
méthode de calcul « erronée en droit » en tant qu’elle ne prenait pas
« en considération les " comptes spécifiques des concessions ",
qui correspondent aux droits des concédants de récupérer gratuitement les biens
de la concession en fin de contrat » (CE,
28 novembre 2012, Société Direct Energie et autres, n° 330548)
. Assez
logiquement, la Cour administrative d’appel de Nancy a considéré dans la
décision commentée que si le taux de 7,25% n’était pas justifié s’agissant du
TURPE au niveau national, il ne l’était pas davantage pour le calcul de
l’indemnité de sortie prévue au niveau des concessions. Selon la Cour,
l’irrégularité de l’article 31, dépourvu de caractère réglementaire,
n’impliquait pas d’enjoindre à la Communauté urbaine de saisir le juge du
contrat. Elle a néanmoins estimé que la renégociation de cette clause et de
celles relatives aux dispositifs de comptage devra se faire par la voie d’un
avenant.

La Cour a ainsi apporté d’utiles
précisions sur les conditions dans lesquelles l’indemnité due au titre des
biens non amortis en cas de résiliation doit être fixée dans le cadre des
concessions de distribution publique d’électricité : les parties sont
tenues de se fonder sur les comptes spécifiques de la concession et notamment
sur les différentes modalités de financement prévisibles des investissements à
réaliser. Une telle méthode nécessite de connaître l’équilibre économique de
l’activité concédée, ce qui peut être délicat pour les autorités concédantes
compte tenu des difficultés qu’elles rencontrent souvent à obtenir de leur
concessionnaire les données financières de la concession. Cette solution
appelle donc nécessairement à une meilleure transparence de l’économie de la
concession. Ainsi, un fléchage des financements affectés aux ouvrages concédés
devrait pouvoir être établi et porté à la connaissance de l’autorité concédante
– permettant, accessoirement, de justifier la durée du contrat. C’est seulement
dans ces conditions, qu’une « juste » indemnité pourra être définie
au profit du concessionnaire en cas de résiliation. Ce faisant, la Cour
administrative d’appel de Nancy souligne que les aspects nationaux de
l’activité concédée ne sauraient avoir pour effet de déroger à certains
principes fondamentaux du droit des concessions au détriment des pouvoirs et du
patrimoine de l’autorité concédante.

En définitive, alors qu’un grand nombre
de contrats de concession de distribution publique d’électricité arrivent à
échéance, les illégalités de trois articles du cahier des charges relevées par
la Cour administrative d’appel de Nancy dans l’arrêt M.
Mietkiewicz et autres

(dont il faut préciser qu’il est devenu définitif) – ces articles faisant
l’objet, pour la plupart des concessions en vigueur, de clauses quasiment
identiques à celles de la concession de la Communauté urbaine du grand Nancy –
pourraient avoir un impact important sur les nouveaux cahiers des charges que
les autorités concédantes et leur concessionnaire seront appelés à négocier. A
échéance plus brève, en exécution de l’arrêt, la Communauté urbaine du Grand Nancy
a autorisé son président, dans une délibération du 14 novembre 2014, à signer
l’avenant n° 1 à la concession de distribution publique d’électricité,
modifiant les articles 2, 19 et 31 du cahier des charges.