Contrats publics
le 31/07/2023

Reconstructions post-émeutes : le droit de la commande publique assoupli pendant les 9 prochains mois

Ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l'accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023

A la suite des émeutes urbaines survenues entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, l’Etat a décidé de mettre en œuvre des mesures afin d’accélérer et faciliter les opérations de reconstruction ou de réfection des équipements publics et des bâtiment dégradés ou détruits durant ces troubles, notamment en matière de commande publique.

Rappel des dispositifs existants par le circulaire du 5 juillet 2023

Dans un premier temps, la Première ministre a, par une circulaire du 5 juillet 2023, rappelé les dispositifs existants pouvant d’ores et déjà être mobilisés par les acheteurs publics afin de conclure des marchés de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables :

  • L’urgence impérieuse: aux termes de l’article R. 2122-1 du Code de la commande publique (CCP), un acheteur peut passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsqu’une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures et qu’il ne pouvait pas prévoir ne permet pas de respecter les délais minimaux exigés par les procédures formalisées.

Le marché peut alors être conclu de gré à gré quel qu’en soit le montant mais doit être limité aux prestations strictement nécessaires pour faire face à la situation d’urgence.

Comme le rappelle la circulaire du 5 juillet 2023, cette urgence impérieuse s’apprécie au cas par cas et les travaux faisant l’objet de tels marchés doivent être limités à l’objectif de garantir la sécurité des biens et des personnes ou de rétablir la continuité du service public en faisant les réparations nécessitées par les dégradations.

Concrètement, ce dispositif peut être utilisé pour faire réaliser des réparations urgentes d’une partie du bâtiment endommagé (vitrages, portes et murs ainsi que le second œuvre nécessaire au bon fonctionnement des ouvrages) ou, en cas de dégradation de l’ensemble du bâtiment, notamment du fait d’un incendie, et si le foncier disponible aux alentours le permet, en l’installation de préfabriqués sommaires pour permettre aux services publics abrités par le bâtiment inutilisable de pouvoir fonctionner normalement.

  • Les marchés de travaux inférieurs à 100.000 € HT: aux termes de l’article 6 du décret n° 2022-1683 du 28 décembre 2022, les acheteurs peuvent conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100.000 € HT.

Peuvent également être attribués de gré à gré les lots qui portent sur des travaux dont le montant est inférieur à 100.000 € HT, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots

Ce dispositif peut être utilisé même en l’absence d’urgence impérieuse.

En revanche, il ne sera en vigueur que jusqu’au 31 décembre 2024.

Création de nouveaux assouplissements par l’ordonnance du 26 juillet 2023

Constatant que les deux dispositifs précités ne pouvaient être utilisés pour l’ensemble des travaux nécessaires à la réfection ou la reconstruction des ouvrages touchés par les émeutes, le Gouvernement a – après y avoir été habilité par la loi n° 2023-656 du 25 juillet 2023 – introduit par l’ordonnance n° 2023-660 du 26 juillet 2023 des assouplissements au droit de la commande publique sur trois points :

  • Possibilité de conclure les marchés de travaux concernés inférieurs à 1.500.000 € HT sans publicité préalable. Il en va de même pour les lots dont le montant est inférieur à 1.000.000 € HT, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.

Un acheteur n’aura ainsi pas à procéder à la publication d’un avis d’appel public à la concurrence.

Pour autant, il demeurera tenu de mettre en place une mise en concurrence préalable, dans le respect des principes fondamentaux de la commande publique, notamment l’égalité de traitement des candidats mais aussi l’exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics. Cette mise en concurrence pourra prendre la forme d’une demande de devis adressée à au moins deux entreprises.

Par conséquent et ainsi que le souligne la Direction des affaires juridiques des ministères économique et financier dans sa fiche dédiée à cette nouvelle ordonnance, l’acheteur recourant à ce dispositif devra veiller à conserver tout document permettant de justifier, d’une part, que toutes les conditions posées par l’ordonnance étaient réunies et, d’autre part, la régularité de la mise en concurrence. En outre, les obligations de conservation des données essentielles du marché listées à l’article L. 2196-2 du Code de la commande publique devront être respectées.

  • Possibilité de déroger à l’obligation d’allotissement, quel que soit le montant du marché.

Un acheteur pourra ainsi conclure un marché de reconstruction ou de réhabilitation d’un équipement public ou d’un bâtiment affecté par les émeutes en un lot unique, sans avoir à justifier qu’il se trouve dans une des situations prévues à l’article L. 2113-11 du Code de la commande publique (impossibilité d’assurer par eux-mêmes les missions d’organisation, de pilotage et de coordination, hypothèse où la dévolution en lots séparés restreindrait la concurrence ou risquerait de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations).

Ainsi que le souligne la DAJ à titre d’illustration, ce dispositif permettra, pour des travaux de voiries, de rassembler au sein d’un même marché le terrassement, les travaux d’enrobés, le marquage et la signalisation ; pour des travaux portant sur un bâtiment, il sera possible d’attribuer à une entreprise générale de construction un marché unique englobant des travaux de maçonnerie, d’électricité, de plomberie, de charpente, de peinture, de revêtements de sols, de menuiserie, etc.

  • Possibilité de conclure un marché de conception-réalisation sans condition et quel que soit le montant du marché.

Pour rappel, les missions de conception assurées par un maître d’œuvre doivent, en principe, être séparées des missions d’exécution de travaux, ainsi qu’en dispose l’article L. 2431-1 du Code de la commande publique

Par exception à ce principe, l’article L. 2171-2 prévoit la possibilité de conclure un marché global rassemblant la conception et la réalisation lorsque des motifs d’ordre technique ou un engagement contractuel portant sur l’amélioration de l’efficacité énergétique ou la construction d’un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage.

Par l’effet de l’article 3 de l’ordonnance du 23 juin 2023, les acheteurs pourront conclure de tels marchés de conception-réalisation pour la reconstruction ou la réhabilitation d’un équipement public ou d’un bâtiment affecté par les émeutes sans avoir à justifier le respect des conditions précitées.

Un tel outil contractuel pourra s’avérer adapté notamment pour des opérations complexes.

Pour autant, l’acheteur recourant à ce dispositif demeurera tenu de respecter l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre prévue à l’article L. 2171-7 et d’imposer au titulaire de confier une part de son exécution à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans, ainsi que l’impose l’article L. 2171-7 du CCP, ainsi que le souligne la DAJ.

Point de vigilance : les trois assouplissements précités sont strictement limités dans leur champ d’application temporel et matériel :

  • Champ d’application temporel : ils ne sont applicables qu’aux marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à la publication entre le 28 juillet 2023 et le 28 avril 2024 inclus ;
  • Champ d’application matériel : ils ne sont applicables qu’aux marchés ayant pour objet la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par des dégradations ou destructions liées aux troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023.

A cet égard, la DAJ précise que les « équipements publics » s’entendent comme les ouvrages relevant des compétences normales d’une collectivité publique et destinés à l’usage ou au bénéfice du public (voierie, les réseaux, les abribus, les équipements sportifs ou culturels, etc.) ; quant aux « bâtiments », il peut s’agir des mairies, des commissariats, des écoles, des médiathèques ou de tout autre bâtiment dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par un acheteur soumis au Code de la commande publique, que son statut soit d’ailleurs public ou privé (notamment les immeubles HLM).

Les acheteurs devront donc être vigilants à ne pas recourir aux dispositions de cette ordonnance pour des opérations de travaux n’entrant pas dans ce champ d’application temporel et matériel.