Urbanisme, aménagement et foncier
le 18/01/2024

Reconnaissance d’une présomption d’urgence à suspendre une décision de mise en demeure de démolir une construction en référé-suspension

CE, 11 décembre 2023, n° 470207

Dans cette affaire, un maire a, par deux décisions, mis en demeure une société civile immobilière (SCI), sur le fondement de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme, de remettre dans son état initial – impliquant des démolitions – la parcelle dont la SCI est propriétaire.

La SCI propriétaire a saisi le juge du référé-suspension, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, d’une demande tendant à la suspension de l’exécution de ces deux décisions. Le premier juge des référés a rejeté sa demande. La SCI s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat a, d’abord, cité les dispositions des articles L. 480-1 et L. 481-1 du Code de l’urbanisme.

Pour mémoire, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, a créé l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme. Selon la rapporteur publique, Madame Dorothée PRADINES, ayant conclu sur cette affaire, cet article est une disposition « complémentaire des poursuites pénales [qui] permet ainsi aux autorités compétentes en matière d’urbanisme de mettre en demeure les auteurs de constructions, d’aménagements, d’installations ou de travaux contraires au code de l’urbanisme, « soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l’aménagement, de l’installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d’autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation. », le cas échéant sous astreinte pouvant aller jusqu’à 500 euros par jour, mais dont le montant total des sommes résultant de l’astreinte ne peut excéder 25 000 euros.

La rapporteure publique a rappelé que le Conseil d’Etat avait déjà jugé qu’une telle mise en demeure sur ce fondement pouvait comporter des démolitions (CE, 22 décembre 2022, n° 463331, publié au Recueil).

Aussi, il convient d’indiquer que le Conseil d’Etat avait précisé que, préalablement à la mise en demeure, quand bien même celle-ci n’est pas une sanction administrative, l’administration doit inviter l’intéressé à présenter ses observations conformément à l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme (CE, 21 septembre 2023, n° 470176).

En résumé, la procédure est la suivante :

  • Dresser un procès-verbal d’infractions aux règles d’urbanisme ;
  • Inviter l’intéressé à présenter ses observations ;
  • Mettre en demeure l’intéressé de procéder, selon le cas, à des opérations de mise en conformité, ou de régularisation via le dépôt d’une demande d’autorisation d’urbanisme.

Dans notre cas d’espèce, le maire a donc dressé deux procès-verbaux d’infractions sur le fondement de l’article L. 480-1 du Code de l’urbanisme, condition préalable à la mise en œuvre de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme, puis mis en demeure, sous astreinte, la SCI de remettre en son état originel sa parcelle, supportant plusieurs constructions réalisées ou modifiées sans autorisation d’urbanisme préalable et en méconnaissance de certaines règles d’urbanisme.

Saisi par la SCI propriétaire, le premier juge des référés a rejeté sa demande de suspension après avoir « recherché si la décision contestée préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ».

Or, en cassation, le Conseil d’Etat a considéré que le premier juge avait commis une erreur de droit « En statuant ainsi, alors que la condition d’urgence doit […] en principe être regardée comme satisfaite sauf circonstances particulières opposées par l’autorité administrative ».

Le considérant de principe du Conseil d’Etat est le suivant :

« Eu égard à la gravité des conséquences qu’emporte une mise en demeure, prononcée en application de l’article L. 481-1 du code de l’urbanisme, lorsqu’elle prescrit une mise en conformité qui implique nécessairement la démolition des constructions, la condition d’urgence est en principe satisfaite en cas de demande de suspension de son exécution présentée, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, par le propriétaire de l’immeuble qui en est l’objet. Il ne peut en aller autrement que dans le cas où l’autorité administrative justifie de circonstances particulières faisant apparaître, soit que l’exécution de la mesure de démolition n’affecterait pas gravement la situation du propriétaire, soit qu’un intérêt public s’attache à l’exécution rapide de cette mesure ».

Face à une mise en demeure de démolir des constructions, l’urgence est donc présumée en matière de référé-suspension pour le propriétaire du bien concerné par la mise en demeure. Néanmoins, il ne s’agit que d’une présomption simple car le Conseil d’Etat a indiqué que la présomption peut être renversée lorsque l’administration justifie de circonstances particulières faisant apparaître :

  • soit que l’exécution de la mesure de démolition n’affecterait pas gravement la situation du propriétaire ;
  • soit qu’un intérêt public s’attache à l’exécution rapide de cette mesure de démolition.

Surtout, notons qu’à la lecture de la décision du Conseil d’Etat, l’on comprend que cette présomption d’urgence ne vaut que s’il y a mise en demeure de démolir. A cet égard, la rapporteure publique avait quant à elle considéré que s’il était évident que la présomption d’urgence était nécessaire lorsque la mise en demeure concernait une démolition, elle semblait plutôt opter pour une simplification de la procédure en proposant de reconnaitre la présomption d’urgence quel que soit l’objet de la mise en demeure au sens de l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme, sans besoin de distinguer selon qu’il s’agisse d’une mise en demeure de démolir un immeuble ou non.

Ainsi, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du premier juge et réglé l’affaire au fond, mais a jugé qu’aucun des moyens soulevés par la SCI n’était propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des deux décisions de mises en demeure. Le Conseil d’Etat a donc rejeté la demande de suspension de la SCI.

Enfin, selon nous, cette reconnaissance de la présomption d’urgence à suspendre une décision de mise en demeure de démolir s’inscrit dans la lignée des hypothèses dans lesquelles l’urgence est déjà présumée en référé-suspension, à savoir par exemple en cas référé-suspension intenté à l’encontre d’un permis de construire délivré ou encore d’une démolition ordonnée dans le cadre d’une procédure d’insalubrité.