Environnement, eau et déchet
le 24/11/2022

Rapport de la Cour des comptes sur la prévention, la collecte et le traitement des déchets ménagers : que doivent retenir les collectivités compétentes ?

Rapport de la Cour des comptes en date de septembre 2022 « Prévention, collecte et traitement des déchets ménagers : une ambition à concrétiser »

Tous les dix ans, et depuis 2002, la Cour des comptes rend un rapport public thématique sur une politique publique cruciale : la prévention et la gestion des déchets ménagers.

Dans son dernier rapport publié au mois de septembre 2022, intitulé « Prévention, collecte et traitement des déchets ménagers : une ambition à concrétiser », la Cour constate que les besoins d’améliorations qu’elle avait identités en 2011 restent à réaliser. Il apparaît qu’en dépit du fait que le cadre législatif et réglementaire national ait fortement évolué en vue de la mise en place d’une économie circulaire, la France se situe « légèrement en deçà des performances de la moyenne européenne », la part non triée des ordures ménagères résiduelles pesant encore considérablement dans le volume d’ordures ménagères produit par habitant.

Puisque ce rapport comporte de nombreux constats et enseignements dont devrait prendre connaissance toute collectivité compétente en matière de collecte et/ ou de traitement des déchets, nous nous sommes attachés à relever les principaux apports de la riche (et critique) analyse de la Cour des comptes en la matière.

Cette analyse se divise en deux grands axes. La première partie du rapport est consacrée au « pilotage » existant. Et, la seconde partie porte sur le « dispositif opérationnel ».

 

I. Une réduction des déchets mise à l’épreuve d’un pilotage défaillant et d’un financement du service trop peu incitatif

La Cour des comptes consacre une part importante de la première partie de son rapport sur la problématique de coordination des acteurs intervenants dans le cadre de la politique publique de gestion des déchets ménagers et assimilés, ainsi que sur le financement de ce service public.

  • Sur la coordination

Le service public de gestion des déchets est exercé par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et les syndicats intercommunaux de traitement, dans le cadre d’une programmation tripartite État-région-intercommunalités.

Cette programmation suppose l’adoption d’un certain nombre de plans, qui ont pour objet de coordonner l’ensemble des actions entreprises tant par les pouvoirs publics que par les organismes privés, en vue d’assurer la réalisation des objectifs définis à l’article L. 541-1 du Code de l’environnement, qui met la transition vers une économie circulaire au cœur de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets.

Au titre de cette programmation, et par application des dispositions des articles L. 541-1, L. 541-15-1 et R. 541-41-19 et suivants du Code de l’environnement, la collectivité territoriale ou le groupement de collectivités territoriales qui assure la collecte des déchets des ménages doit établir un programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés (ci-après, « PLPDMA »), qui doit être compatible avec le plan régional.

Or, la Cour constate que cette planification locale est défaillante. En effet, alors que ces plans devaient être élaborés au plus tard le 1er janvier 2012, seuls 73 EPCI en avaient élaboré un en 2019. Et, selon la Cour, cette défaillance s’explique par les difficultés rencontrées par les EPCI en matière de programmation.

Pourtant, ce programme constitue bien un levier important dans le cadre de l’objectif de réduction des déchets.

Dès lors, la Cour invite les EPCI à confier l’élaboration de leur programme local au syndicat dont ils sont membres. Cette mise en commun des ressources de programmation faciliterait, selon elle, la bonne coordination entre la collecte pilotée par les EPCI et le traitement assuré par un ou des syndicats. Le plan doit toutefois intégrer toutes les spécificités propres à chaque EPCI, et être adopté par les organes délibérants de chacune des collectivités dans les mêmes termes (article R. 541-41-25 du Code de l’environnement).

Enfin, il est à noter que le PLPDMA n’est pas le seul levier d’amélioration identifié par la Cour, qui recommande également la simplification des documents de programmation nationaux, et une programmation régionale plus opérationnelle. Il insiste également sur l’importance de la collecte des données au niveau local, pour permettre l’élaboration de tableaux de bord synthétique.

  • Sur le financement peu lisible et trop faiblement incitatif

Selon les chiffres avancés par la Cour des comptes, les déchets ménagers et assimilés représentent 12 % de l’ensemble des déchets produits en France mais mobilisent 61,5 % du total des dépenses correspondantes, soit 15,9 milliards d’euros. Et, les magistrats financiers ont dressé une répartition des coûts de gestion des déchets et de leurs financements. Il ressort de cette répartition que les dépenses sont majoritairement financées par la fiscalité ou la tarification locale (81,5 %).

Les principales critiques de la Cour des comptes sur ce point résident dans le fait que les modes de financement sont complexes et inadaptés, et qu’ils n’intégreraient « pas l’équité sociale, très peu le coût réel du service et surtout marginalement le caractère incitatif ».

Elle dresse un panorama des leviers fiscaux et de tarification existants, et constate que les collectivités recourent principalement à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), prévue à l’article 1520 du Code général des impôts. Selon elle, cette très large implantation s’explique par le fait que la TEOM est simple, et qu’elle garantit un rendement prévisible pour les collectivités. Toutefois, sa base de calcul étant la valeur locative foncière, la Cour souligne l’existence d’un risque d’inadéquation entre le montant de l’imposition et la quantité de déchets produite.

Or, compte tenu du surenchérissement de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui pénalise de plus en plus l’incinération et l’enfouissement des déchets, et des objectifs de baisse des quantités de déchets collectés, la Cour considère qu’il est nécessaire de privilégier une incitation financière des usagers pour réduire leurs déchets.

Elle affirme à ce titre que « la mise en place de la tarification incitative permet de réduire de 41 % la quantité d’OMR, d’augmenter à due concurrence la collecte des recyclables et de réduire de 8 % les DMA ».

A cet égard, elle rappelle la possibilité que détiennent les collectivités d’instituer :

  • une tarification incitative adossée à la TEOM (la TEOMi), prévue à l’article 1522 bis du CGI ;
  • une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) (article L. 2333-76 du CGCT), versée par l’usager comme contrepartie directe de la prestation, souvent liée à la composition de la famille de l’usager et pouvant être incitative, en se fondant sur le volume et le nombre de présentation des bacs à la collecte (REOMi ou RI) ;
  • une redevance spéciale (RS) prévue à l’article L. 2333-78 du CGCT, qui permet de facturer le coût de la collecte et du traitement des déchets dits « assimilés » aux ordures ménagères, et donc d’éviter de faire payer aux ménages l’élimination des déchets non ménagers.

Toutefois, la Cour identifie, dans son rapport, des causes de ralentissement de la diffusion de la tarification incitative, parmi lesquelles figurent notamment la complexité des modalités de collecte qui impliquent des équipements spécifiques (bacs à puces, points d’apport volontaire avec un système de tambour à reconnaissance par carte du propriétaire, des sacs apportés…).

La Cour propose plusieurs axes d’amélioration, afin de favoriser la diffusion du modèle incitatif.

A titre d’exemple, la Cour recommande l’institution d’une dérogation à l’obligation d’uniformité du mode de financement sur un EPCI à fiscalité propre, afin d’autoriser la cohabitation des formes classique et incitative d’un mode de financement, pour pouvoir instituer la REOMi ou la TEOMi sur une partie seulement du territoire (habitats pavillonnaires, communes périphériques…).

Aussi, s’agissant de la TEOMi, la Cour recommande d’accentuer les aides au démarrage en portant la part du financement extérieur à 80 % du surcoût, par le versement de subventions directes, ou d’une atténuation supplémentaire des frais de gestion grevant la TEOMi.

 

II. Dispositif opérationnel et accélération de la transition vers l’économie circulaire

  • Sur la prévention

Dans son rapport, la Cour qualifie la prévention de « priorité officielle, mais parent pauvre de la gestion des déchets ». Elle indique que la prévention est marginale dans les actions des deux principaux acteurs chargés de la prise en charge des déchets, que sont les collectivités territoriales et les éco-organismes. En effet, selon elle, les collectivités ne consacrent qu’environ 1% du coût total de service public à la prévention.

Elle note que le volet « prévention » des programmes intercommunaux est presque systématiquement manquant ou lacunaire. Elle regrette que les comptes rendus de ces programmes ne contiennent pas de bilan chiffré des quantités de déchets évitées, et d’analyse des facteurs de réussite et d’échec des actions conduites.

Ces dernières restent en réalité trop souvent limitées à une sensibilisation des citoyens en faveur de gestes de tri, qui touche une population réduite et dont les résultats ne sont pas quantifiés.

La Cour sollicite la mise en place d’actions plus opérationnelle et ambitieuses, et recommande que les collectivités et les éco-organismes puissent s’appuyer sur une liste précise d’actions considérées comme relevant de la prévention.

  • Sur la collecte

S’agissant de la collecte des déchets, la Cour insiste sur l’importance son adaptation à chaque territoire, dans le cadre de la réduction des déchets. Il rappelle qu’il convient de prendre en compte les besoins, la densité de population, et les autres particularités locales.

Elle constate l’existence d’une « organisation territoriale multiforme ». En effet, la collecte des déchets s’exerce soit en gestion directe (en régie ou par des marchés publics de services), soit en délégation de service public, soit dans le cadre d’un mixte des modes de gestion.

La Cour indique qu’il incombe aux collectivités de trouver un équilibre entre qualité et coût du service rendu, et que l’adaptation de la collecte aux particularités d’un territoire intercommunal est une condition de la réussite d’une politique de réduction des déchets.

Elle relève, par exemple, que la collecte en porte à porte est adaptée au milieu urbain dense, que la collecte en points d’apports volontaires est utilisée pour une partie du tri sélectif et est presque généralisée pour le verre, et que la collecte en points de regroupement est utilisée dans les secteurs à faibles densité de population.

La Cour incite à promouvoir la collecte et du tri des bio déchets et des emballages plastique, en prenant pour exemple, la réduction de la fréquence des collectes par ajout d’une collecte spécifique de biodéchets.

Enfin, s’agissant des déchets relevant de la responsabilité élargie des producteurs d’emballages, la Cour recommande à ce que les collectivités soient autorisées à confier aux éco-organismes la commercialisation des matières préparées pour être recyclées, ceux-ci disposant d’une réelle compétence en la matière.

  • Sur le traitement

Le traitement des déchets collectés inclut leur préparation (le tri dans des centres de tri préalable au traitement), leur valorisation (recyclage, valorisation organique et énergétique) et leur élimination (stockage, incinération sans valorisation énergétique).

En France, les déchets ménagers et assimilés non recyclés sont essentiellement valorisés par la production d’énergie ou mis en décharge (ce dernier mode de traitement étant limité aux déchets ne pouvant faire l’objet d’aucune valorisation).

Or, selon la Cour, une adaptation des capacités industrielles de traitement est rendue nécessaire par les objectifs nationaux tendant à la réduction des modes d’élimination de déchets sans valorisation. Et cela est d’autant plus nécessaire qu’une priorité est donnée à la réduction des ordures ménagères résiduelles, et que le flux de déchets amené dans les unités existantes est amené à évoluer quantitativement et qualitativement au cours des prochaines années.

Le Cour incite donc les syndicats de traitement à se regrouper à une échelle départementale, et invite les régions « à jouer pleinement leur rôle de planificateur, d’animateur, voire de financeur ».

A ce titre, la Cour indique qu’une telle planification régionale et qu’une coordination renforcée entre EPCI pourraient favoriser un « rééquilibrage des relations contractuelles avec les grands délégataires pour la construction et la gestion des équipements lourds ».

La Cour estime que la progression du coût du traitement des déchets va perdurer compte tenu des dépenses induites par les investissements nécessaires à la modernisation et à la mise aux normes d’un outil industriel français de traitement vieillissant. Et, comme le relève la Cour, ces investissements impliquent une augmentation du coût de traitement…

Ces décisions d’investissement étant prises en fonction des besoins des usagers, de la hiérarchie des modes de traitement, et des évolutions réglementaires, la Cour souligne que ce contexte peut « rendre les collectivités territoriales prisonnières de solutions technologiques coûteuses », impliquer le recours à des technologies non matures, et que des changements affectant le volume et la nature des déchets peuvent ensuite rendre ces installations obsolètes ou mal dimensionnées.

Pour ces raisons, la Cour recommande aux collectivités territoriales et à leurs groupements de se doter d’une capacité d’expertise suffisante pour, le cas échéant, remettre en question les offres techniques du secteur très concentré de l’industrie des déchets.

En outre, la Cour estime que des coopérations doivent être établies entre les organismes ayant besoin d’exutoires à leurs déchets, et ceux qui ont intérêt à les accueillir pour couvrir leurs coûts marginaux d’exploitation.

Le rapport relève notamment que dans le cadre des objectifs de recyclage et de valorisation, les efforts d’adaptation des équipements de tri et des installations de valorisation de la matière organique doivent être poursuivis, compte tenu des mesures d’élargissement du tri à la source s’agissant du plastique et des bio déchets (des investissements sont notamment nécessaires pour les plateformes de compostage et les unités de méthanisation).

Enfin, il sera noté que la Cour qualifie la valorisation énergique comme étant un « mode de traitement à assumer pour les déchets non recyclables ».

Selon son rapport, le nombre d’unités de valorisation énergétique (UVE) restera globalement stable, mais que le parc devra toutefois être largement moderniser pour s’aligner sur la norme européenne de rendement énergétique, puisque 44 % des déchets ménagers et assimilés sont incinérés en France dans des incinérateurs qui n’atteignent pas le seuil attendu.