le 04/07/2019

Quelles sont les ambitions du projet de loi relatif à l’énergie et au climat ?

Adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 juin dernier, le projet de loi relatif à l’énergie et au climat concentrera l’attention de l’ensemble des acteurs du secteur de l’énergie jusqu’à la fin de l’été.

Si le secteur a été concerné par plusieurs lois adoptées lors du quinquennat en cours, il n’a pas fait l’objet d’une réforme d’envergure. Ce nouveau projet de loi fait donc office de « grande loi sur l’énergie » pour le Gouvernement actuel même si son intention, à la lecture de la première mouture du texte, semblait moins ambitieuse (notre brève à ce sujet).

Mais plusieurs circonstances, notamment la hausse des tarifs réglementés de vente d’électricité depuis le 1er juin dernier (voir notre brève), ont conduit le Gouvernement à densifier les propositions portées par ce projet, le texte étant désormais composé de 13 articles insérés au sein de sept chapitres.

Le fil conducteur de ce projet de loi est de renforcer le lien, dans la politique énergétique nationale, entre enjeux climatiques et énergétiques (I). Ce qui se matérialise aussi par des mesures plus concrètes, apparues principalement dans les débats devant l’Assemblée nationale (II), et concernant aussi le cadre régulatoire de l’énergie (III).

 

I – Rendre la politique énergétique nationale plus ambitieuse en matière de lutte contre le réchauffement climatique

Le projet de loi a pour objet principal de réviser les objectifs de la politique énergétique nationale énumérés à l’article L. 100-4 du Code de l’énergie.

Il prévoit d’ajouter de nouveaux objectifs : celui visant à « (…) atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six »[1], l’augmentation de la production d’énergie hydroélectrique ou encore le développement de l’hydrogène bas carbone et renouvelable[2] (art. 1er).

Il rend les objectifs déjà existants de la politique énergétique plus ambitieux : nouvel objectif intermédiaire de réduction de la consommation énergétique finale « d’environ 7% en 2023 », nouvel objectif de part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie fixé à « au moins 33 % » d’ici à 2030 au lieu de 32%, ou encore objectif de réduction de la consommation primaire d’énergies fossiles porté de 30 % à 40% en 2030 (qui correspond au cadre d’action de la Commission européenne approuvé les 23 et 24 octobre 2014).

Dans la perspective d’atteindre ces objectifs, le projet de loi prévoit également des mesures en matière de planification énergétique. Par exemple, le contenu de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) est complété et fera l’objet d’une loi d’ici à 2023 puis tous les cinq ans – la PPE faisant à ce jour l’objet d’un décret simple (art. 1er bis A).

Entre autres mesures de planification, on citera l’introduction d’objectifs de réduction de l’empreinte carbone dans la stratégie nationale bas-carbone (art. 1er sexies), la fixation d’un plafond des émissions de gaz à effet de serre pouvant être émises par les centrales de production d’électricité existantes à combustibles fossiles (à fixer d’ici 2022 – art. 3) ou encore la remise d’un rapport annuel du Gouvernement sur les incidences positives et négatives du projet de loi de finances sur le réchauffement climatique (art. 1er octies).

Outre les mesures en faveur du climat, comme le cadre légal instauré pour le Haut Conseil pour le Climat[3] (art. 2) ou des mesures de simplification s’agissant de l’évaluation environnementale (Chapitre III), le projet de loi prévoit également des mesures concernant plus particulièrement le secteur de l’énergie, et ce dans l’objectif d’atteindre les objectifs ambitieux de la politique énergétique nationale.

 

II – Des mesures concrètes pour le secteur de l’énergie

L’examen du texte à l’Assemblée nationale a enrichi le projet de loi initial de plusieurs mesures spécifiques que l’on peut regrouper en deux séries de mesures.

 

II.1 D’une part, le projet de loi présente de nombreuses mesures en faveur du développement des énergies renouvelables.

Parmi les nouveautés, le projet de loi prévoit la mise en place par l’Etat d’appels à projets pour le développement d’installations de production d’électricité utilisant des énergies renouvelables innovantes (appelé le « contrat expérimental », v. art. 4 bis A), la dérogation possible aux interdictions et prescriptions fixées par le plan de prévention des risques technologiques pour la réalisation d’un projet d’énergie renouvelable (art. 4 ter), la création des communautés d’énergies renouvelables (art. 6 bis A), une réforme des garanties d’origine du biogaz ou de l’investissement participatif dans cette même filière (art. 6 septies) ou encore l’habilitation du Gouvernement pour définir le cadre juridique de l’hydrogène par voie d’ordonnance (art. 6 octies).

Le projet de loi prévoit également de nouvelles modalités permettant d’augmenter la puissance des installations hydroélectriques concédées dans le cadre d’un contrat de concession en cours d’exécution (art. 6 bis B).

Les mesures en faveur des énergies renouvelables dans le projet de loi concernent également des aspects plus techniques comme par exemple la compétence en premier et dernier ressort des litiges relatifs à l’éolien en mer que le texte prévoit de transférer de la Cour administrative d’appel de Nantes au Conseil d’État (art. 4 quater) ou la clarification la catégorie des redevables de la quote-part due au titre des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3ReNR) (art. 6 octies).

 

II.2 D’autre part, les mesures prévues par le projet de loi portent également sur la promotion des économies d’énergie et de la performance énergétique.

Ces mesures portent en particulier sur la lutte contre la fraude et la spéculation des certifications d’économie d’énergie (CEE). Elles prévoient de renforcer le contrôle a posteriori des CEE délivrés par le pôle national des certificats d’économie d’énergie (notamment en matière de mise en demeure sur les obligations déclaratives) et la qualité des échanges d’information entre les administrations (Chapitre III).

De même, pour lutter contre la spéculation des CEE et éviter que leurs détenteurs ne conservent leurs CEE sans d’autres raisons que l’espoir de les revendre plus cher, le projet de loi plafonne la durée de vie des CEE à six ans. Il instaure également l’impossibilité de délivrance de CEE pour les opérations d’économie d’énergie qui ont aussi pour conséquence d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre (Chapitre III).

Concernant la performance énergétique, les mesures portent sur le régime juridique du diagnostic de performance énergétique (DPE) des logements. Puis, le texte instaure une obligation de travaux pour tous les propriétaires de logement dont la consommation énergétique relève des classes F et G du DPE, et de réaliser des travaux d’amélioration de la performance énergétique permettant d’atteindre la classe E au moins d’ici au 1er janvier 2028 (art. 3 septies).

Grandes trajectoires de politique énergétique et mesures plus concrètes, le projet de loi porte aussi et enfin sur plusieurs aspects de régulation du secteur de l’énergie.

 

III – Enjeux de la régulation du secteur de l’énergie

Parmi les quatre sujets de régulation visés dans le projet de loi, tous sont en réalité des réactions à vif sur l’actualité européenne et nationale du secteur de l’énergie.

En premier lieu, les mesures du projet de loi visent notamment les attributions de la Commission de Régulation de l’Energie (« CRE ») dans le cadre de sa mission de régulation du secteur de l’électricité et du gaz en France.

Outre la correction d’une scorie à l’article L. 132-2 du Code de l’énergie sur le renouvellement des membres du collège de la CRE, le projet de loi donne habilitation au Gouvernement pour réformer la procédure applicable devant le Comité de règlements des différends et des sanctions (CoRDIS) par voie d’ordonnance, et confie à la CRE la compétence de transiger les litiges liés au paiement de la contribution au service public de l’électricité au titre des années 2012 à 2015[4] (art. 7).

En outre, il est prévu que le ministre en charge de l’énergie ou la CRE puisse, chacun dans son domaine de compétence, accorder des dérogations aux conditions d’accès et à l’utilisation des réseaux et installations pour déployer à titre expérimental (de quatre ans maximum, renouvelable une fois) des technologies ou des services innovants en faveur de la transition énergétique et des réseaux et infrastructures intelligents (art. 7 quater).

En deuxième lieu, le projet de loi contient également des mesures visant à adapter le dispositif de l’Accès Régulé au Nucléaire Historique (ci-après « ARENH ») en cas d’atteinte de son plafond légal.

Ces mesures s’inscrivent dans la continuité des réflexions sur la place du nucléaire dans le parc de production d’électricité, le projet de loi repoussant à dix ans, 2035 au lieu de 2025, l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50% du parc de production d’électricité (cf. art. L. 100-4 du Code de l’énergie).

Les mesures visent aussi à répondre à la situation inédite de dépassement du plafond légal de l’ARENH début 2019 et à ses conséquences sur la répartition et la fixation de l’ARENH.

Elles portent à ce stade sur les compléments de prix et leurs modalités de reversement, sur la compétence pour fixer le prix de l’ARENH (accordée provisoirement au Gouvernement – par arrêté ministériel et sur avis de la CRE) et sur le niveau du plafond de l’ARENH, passant à 150 TWh à partir de 2020 au lieu de 100 TWh aujourd’hui (art. 8).

En troisième lieu, même si le sujet n’était pas prévu dans le projet de loi initial[5], la hausse des prix au 1er juin a conduit le Gouvernement à inclure au sein du projet de loi les mesures visant à mettre progressivement un terme aux tarifs réglementés de vente d’électricité et de gaz (chapitre VII) après la censure des dispositions de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) à cet égard par le Conseil constitutionnel[6].

En l’état, le projet de loi réserve le bénéfice des TRV d’électricité uniquement aux consommateurs domestiques et petits consommateurs professionnels à compter du 1er janvier 2020, et les contrats en cours des autres usagers prendront fin au 30 décembre 2020. Pour les TRV de gaz, les nouveaux contrats ne pourront plus être souscrits après le premier jour du treizième mois suivant la publication de la loi, et les contrats en cours prendront fin au 1er juillet 2023. Il est également mis fin à l’éligibilité (en gaz et en électricité) réservée à certains consommateurs n’ayant pas souscrit à une offre de marché depuis le 1er janvier 2016 (que l’on appelle aussi les clients « dormants »).

Cette extinction est accompagnée de plusieurs mesures d’information, à la charge notamment des fournisseurs aux TRV, et de la mise en place de dispositifs plus spécifiques, tels que la fourniture de secours ou de dernier recours.

En quatrième et dernier lieu, le projet de loi habilite le Gouvernement à agir par voie d’ordonnance pour transposer ou adapter le droit national aux derniers textes issus du paquet européen « Une énergie propre pour tous les Européens » (art. 6 ; voir notre brève). Sont visées quatre directives (énergies renouvelables[7], efficacité énergétique[8], performance énergétique des bâtiments[9], règles communes pour le marché intérieur de l’électricité[10]) et trois règlements (préparation aux risques dans le secteur de l’électricité[11], marché intérieur de l’électricité[12] et gouvernance de l’union de l’énergie[13]).

En synthèse, l’ambition première du projet de loi, à savoir réviser les objectifs de politique énergétique fixés en 2015, semble avoir été rattrapée par la nécessité de réagir à des enjeux urgents. Le risque est d’obtenir une loi composée de fragments, avec des mesures d’ordre général sans lien évident avec les plus concrètes, au lieu d’une réforme d’ensemble. Conserver une ligne directrice aurait été préférable afin d’éviter que le législateur intervienne dans le désordre.

Désormais au Sénat, après la première lecture de l’Assemblée nationale, la discussion du projet de loi en séance publique par les sénateurs est prévue pour les 16, 17 et 18 juillet prochain. Un projet à suivre.

 

 

[1] La « neutralité carbone » étant définie comme étant « (…) un équilibre entre les émissions anthropiques et les absorptions anthropiques de gaz à effet de serre sur le territoire national. Le périmètre des émissions et absorptions comptabilisées correspond à celui des inventaires nationaux de gaz à effet de serre. La neutralité carbone s’entend sans utilisation de crédits internationaux de compensation carbone ».

[2] Avec un objectif de 20 à 40 % de la consommation totale d’hydrogène industriel à l’horizon 2030.

[3] Voir le décret n° 2019-439 du 14 mai 2019 relatif au haut conseil pour le climat qui a « install[é] le haut conseil pour le climat » et précisé sa composition et ses modalités de son fonctionnement.

[4] Application de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 25 juillet 2018, SAS Messer France (affaire c-103/17), repris par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 3 décembre 2018, SAS Messer France (n° 399115).

[5] voir la lettre rectificative au projet de loi relatif à l’énergie et au climat – conseil des ministres du 12 juin 2019

[6] Décision n° 2019-781 DC du 16 mai 2019 ; Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

[7] Directive 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables.

[8] Directive 2018/2002 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 modifiant la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique.

[9] Directive 2018/844 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique.

[10] Directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE.

[11] Règlement 2019/941 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur la préparation aux risques dans le secteur de l’électricité et abrogeant la directive 2005/89/CE.

[12] Règlement 2019/943 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité.

[13]glement 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l’union de l’énergie et de l’action pour le climat, modifiant les règlements (CE) no 663/2009 et (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/ UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/ce et (UE) 2015/652 du conseil et abrogeant le règlement (UE) no 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.

Par Marie-Hélène Pachen-Lefèvre, avocate associée, et Maxime Gardellin, avocat à la cour.