Intercommunalité
le 20/07/2023

Quelles réponses peuvent apporter les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre aux émeutes qui ont eu lieu dans les quartiers ?

Projet de loi relatif à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 (TREL2319111L)

A la suite des émeutes qui ont eu lieu entre le 27 juin et le 5 juillet dernier suivant le décès de Nahel, 17 ans, un projet de loi relatif à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 a été déposé au Senat le 13 juillet dernier.

Ce projet, qui sera discuté en séance publique le mardi 18 juillet, propose que le gouvernement soit habilité, par ordonnance, à modifier les modalités de versement de fonds de concours entre les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre et leurs communes membres pour les biens qui ont subi des dommages (article 3).

Pour comprendre l’impact de cette mesure, il convient de rappeler que le droit de l’intercommunalité est notamment régi par les principes suivants :

  • Le principe de spécialité selon lequel un EPCI ne peut agir que dans le domaine des compétences qui lui ont été transférées (qui se décline en deux branches : le principe de spécialité fonctionnelle ou le principe de spécialité territoriale) (Guide pratique pour l’intercommunalité, DGCL et DGCP, 2006, page 13). En application de ce principe, le budget de l’EPCI ne peut comporter d’autres dépenses ou recettes que celles qui se rapportent à l’exercice de ses compétences ;
  • Le principe d’exclusivité en vertu duquel les communes (ou EPCI) sont totalement dessaisies des compétences qu’elles ont transférées à un EPCI et ne peuvent plus ni prendre de décision dans ce domaine, ni financer des opérations qui se rapportent à ces compétences (CE, 16 octobre 1970, Commune de Saint-Vallier, n° 71536). C’est ainsi que le juge sanctionne la participation des communes au financement de travaux de voirie pris en charge par la communauté urbaine dont elles étaient membres dans le cadre des compétences qui lui avaient été transférées (CE, 14 janvier 1998, Communauté urbaine de Cherbourg, n° 161661).

Toutefois, il est possible de prévoir des fonds de concours entre un EPCI à fiscalité propre et ses communes, qui constituent un mécanisme dérogatoire au principe de spécialité pour financer la réalisation ou le fonctionnement d’un équipement.

Ainsi, sont autorisés les fonds de concours pour :

  • Les communautés de communes en vertu du V de l’article L. 5214-16 du CGCT ;
  • Les communautés d’agglomération en vertu VI de l’article L. 5216-5 du CGCT ;
  • Les communautés urbaines en vertu de l’article L. 5215-26 du CGCT ;
  • Les métropoles de droit commun en vertu de l’article L. 5215-26 par renvoi de l’article L. 5217-7 du CGCT.

Plus précisément, le montant total des fonds de concours qui peuvent être versés par les EPCI aux communes (ou par les communes à l’EPCI dont elles sont membres) ne peut excéder la part du financement assurée, hors subventions.

C’est dans ces conditions que l’article 3 du projet de loi dispose que :

« Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, toute mesure relevant du domaine de la loi destinée à faciliter la réparation des dommages directement causés par les actes de dégradation et de destruction liés aux troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus du 27 juin 2023 au 5 juillet 2023, en :

[…]

3° Déterminant les modalités de dérogation au plafond des fonds de concours définis à l’article L. 5215-26, au V de l’article L. 5214-16 et au VI de l’article L. 5216-5 du même code ».

Dès lors, il s’agira pour le Gouvernement d’assouplir le régime de versement des fonds de concours par l’EPCI aux communes, qui est aujourd’hui plafonné à la part de financement assuré par le bénéficiaire du fond.

Il est à noter que ces dispositions ne permettent pas aux établissements publics territoriaux (EPT) de verser des fonds de concours à leurs communes membres.

Si ce même projet de loi prévoit également d’habiliter le Gouvernement à modifier les modalités de dérogation à l’obligation de participation minimale prévue au premier alinéa du III de l’article L. 1111-10 du CGCT applicables au financement des projets d’investissement (article 2), on indiquera que ces dispositions ne permettent pas à un EPCI d’intervenir en dehors de ses compétences de sorte que son impact sera moins évident pour ce dernier.

En parallèle du projet de loi relatif à l’accélération de la reconstruction des bâtiments dégradés ou démolis au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023, il convient de s’interroger sur les capacités d’actions des EPCI à fiscalité propre pour contribuer à l’apaisement de la situation dans le cadre de l’exercice de leurs compétences.

On rappellera que la grande majorité des EPCI à fiscalité propre sont titulaires de la compétence « politique de la ville » puisqu’il s’agit d’une compétence obligatoire pour les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les métropoles de droit commun et d’une compétence que l’on peut qualifier d’optionnelle pour les communautés de communes. On précisera également que la métropole de Lyon et les EPT exercent également cette compétence.

Il faut dès à présent indiquer que le contenu de la compétence diffère d’une collectivité à l’autre puisque les communautés de communes et la métropole de Lyon sont compétentes pour assurer :

– l’élaboration du diagnostic du territoire et définition des orientations du contrat de ville ;

– l’animation et coordination des dispositifs contractuels de développement urbain, de développement local et d’insertion économique et sociale ainsi que des dispositifs locaux de prévention de la délinquance.

A cela s’ajoute, pour les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les métropoles et le EPT le fait d’assurer les « programmes d’actions définis dans le contrat de ville ».

Enfin les EPT signent également, au titre de cette compétence, la convention intercommunale mentionnée à l’article 8 de la loi n° 2014-173 en date du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Il s’agit ainsi d’une compétence particulière qui se formalise pour l’essentiel par la contractualisation via la conclusion d’un contrat de ville entre l’Etat, la région, le département, les communes et les EPCI à fiscalité propre compétents (ou les EPT ou la métropole de Lyon) dont les objectifs est d’assurer l’égalité entre les territoires, de réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines et d’améliorer les conditions de vie de leurs habitants et plus précisément :

« 1° Lutter contre les inégalités de tous ordres, les concentrations de pauvreté et les fractures économiques, sociales, numériques et territoriales ;

2° Garantir aux habitants des quartiers défavorisés l’égalité réelle d’accès aux droits, à l’éducation, à la culture, au sport, aux services et aux équipements publics ;

3° Agir pour le développement économique, la création d’entreprises et l’accès à l’emploi par les politiques de formation et d’insertion professionnelles ;

4° Agir pour l’amélioration de l’habitat ;

5° Développer la prévention, promouvoir l’éducation à la santé et favoriser l’accès aux soins ;

Garantir la tranquillité des habitants par les politiques de sécurité et de prévention de la délinquance ;

7° Favoriser la pleine intégration des quartiers dans leur unité urbaine, en accentuant notamment leur accessibilité en transports en commun, leur mixité fonctionnelle et urbaine et la mixité de leur composition sociale ; elle veille à ce titre à la revitalisation et la diversification de l’offre commerciale dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ;

8° Promouvoir le développement équilibré des territoires, la ville durable, le droit à un environnement sain et de qualité et la lutte contre la précarité énergétique ;

9° Reconnaître et à valoriser l’histoire, le patrimoine et la mémoire des quartiers ;

10° Concourir à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la politique d’intégration et à la lutte contre les discriminations dont sont victimes les habitants des quartiers défavorisés, notamment celles liées au lieu de résidence et à l’origine réelle ou supposée » (Article 1er de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine).

Cette politique partenariale portée par les intercommunalités s’inscrit dans un temps long puisque le contrat de ville est signé dans l’année du renouvellement général des conseils municipaux pour entrer en vigueur le 1er janvier de l’année suivante pour une durée de six ans (soit pour le temps du mandat des conseillers municipaux et intercommunaux) avec la possibilité de l’actualiser tous les 3 ans (soit en 2023 s’agissant du mandat actuel).

La mise en œuvre du contrat de ville par les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les métropoles et les EPT doit nécessairement s’inscrire dans le respect du principe de spécialité et d’exclusivité de sorte que leurs actions doivent relever de leurs compétences (Rep min, question n° 22149, Réponse publiée au JO le : 18 novembre2014 page : 9660).

Dès lors, il pourrait être envisagé que les intercommunalités susmentionnées puissent proposer, dans le cadre de leurs compétences et des possibilités offertes par les contrats de ville :

  • Des manifestations sportives ou théâtrales qui auraient vocation à sensibiliser les jeunes et moins jeunes sur des thèmes différents tels que le deuil, la colère, l’éducation civique ou la mise à disposition d’équipements sportifs et culturels pour accueillir ces manifestations ;
  • Des actions sociales à destination des familles affectées et pénalisées par la dégradation de leurs biens ;
  • Le soutien aux activités commerciales qui ont subies des dégradations.