Vie des acteurs publics
le 20/07/2023

Publication du rapport d’information « État et collectivités territoriales : les bons comptes feront les bons amis »

Sénat, Mission d'information sur l'impact des décisions réglementaires et budgétaires de l'État sur l'équilibre financier des collectivités locales

Le Sénat a créé une mission d’information ayant pour objectif d’analyser l’impact des décisions règlementaires et budgétaires de l’État sur l’équilibre financier des collectivités territoriales, et donc sur leur « pouvoir d’agir », pour reprendre les termes du rapport.

D’une manière générale, le constat est que les décisions prises par l’Etat peuvent placer les collectivités territoriales « dans une situation difficilement soutenable financièrement et qui accentue le sentiment général de découragement et de ″désenchantement″ chez les élus locaux ».

S’agissant des normes réglementaires, sont dénoncés les contraintes disproportionnées parfois imposées aux élus (exemple d’un bénitier qu’un maire a dû abaisser pour le rendre accessible aux personnes à mobilité réduite) et les impacts en matière de ressources humaines (nécessité de recruter des juristes notamment).

S’agissant des décisions budgétaires, le rapport met en lumière la complexité du financement des collectivités territoriales et la dégradation sensible de leur autonomie financière, dont il résulte un climat détérioré entre le Gouvernement et les collectivités territoriales.

Le rapport propose une liste de dix recommandations afin de mieux mesurer et limiter les impacts négatifs de ces différentes normes :

  1. Renforcer le dialogue État / collectivités au plan national par la fusion du Comité des finances locales (CFL) et du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN)et un renforcement du poids des élus locaux au sein de la gouvernance de ce nouvel organe qui devrait en outre être consulté sur les projets de loi de finances et les projets de loi de finances rectificative ;
  1. Renforcer le dialogue État / collectivités dans les territoires à travers le renforcement du rôle du préfet ;
  1. Privilégier les expérimentations avant toute réforme impactant les collectivités ;
  1. Prévoir que les décisions de l’État impactant les finances locales doivent entrer en vigueur avant le vote des budgets locaux, et non en cours d’exercice, afin que les collectivités territoriales puissent en tirer les conséquences dans leur budget de l’année n + 1 ;
  1. Inscrire dans la Constitution que toute création ou extension de compétences ou toute modification des conditions d’exercice des compétences des collectivités territoriales résultant d’une décision de l’État et ayant pour effet d’augmenter les dépenses de celles-ci est accompagnée de ressources équivalentes au montant estimé de cette augmentation ;
  1. Mettre en place un réexamen régulier, selon une récurrence à définir mais a minima tous les 5 ans, des droits à compensation pour tenir compte du dynamisme naturel des charges liées à un transfert, création, extension ou modification des conditions d’exercice d’une compétence résultant d’une décision de l’État induisant une hausse des charges des collectivités territoriales ;
  1. Accélérer la révision des valeurs locatives cadastrales, qui permettrait de revaloriser les bases d’indemnisation ;
  1. Assouplir les règles de plafonnement et de liaison des taux des impôts locaux afin de donner plus de liberté d’action aux collectivités territoriales ;
  1. Revoir les modalités de répartition de la DGF en profondeur, préalable nécessaire à une indexation de cette dernière sur l’inflation qui permettrait de couvrir partiellement les coûts générés par les décisions règlementaires ;
  1. Mettre en place un dialogue entre l’État et les collectivités sur les modalités de compensation des exonérations fiscales et mettre fin à la pratique de minoration des variables d’ajustement.

Ces recommandations seraient, si elles étaient reprises par le Gouvernement, plus ou moins faciles à mettre en œuvre. Les recommandations n° 5 et 6 supposent une révision de l’article 72-2 de la Constitution. En effet, à ce jour, l’encadrement constitutionnel de la compensation des transferts, créations et extensions de compétences, fixé par le quatrième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution, peut être qualifié de minimal.

En vertu de ces dispositions :

« Tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

S’agissant des transferts de compétences, le législateur est donc tenu d’attribuer les ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert (CC, 13 janvier 2005, loi de programmation pour la cohésion sociale, n° 2004-509 DC, cons. 8 et 9), sans considération toutefois pour l’évolution ultérieure de ces dépenses.

La seule garantie dont les collectivités territoriales disposent en matière d’évolution de la compensation est que la dotation initiale ne doit pas se dégrader au cours du temps. Il appartient ainsi à l’État de maintenir le niveau des ressources transférées (CC, 18 décembre 2003, loi portant décentralisation en matière de RMI et créant un RMA, n° 2003-487 DC, cons. 12 et 13 ; 29 décembre 2004, loi de finances pour 2005, n° 2004-511 DC, cons. 35 et 36).

S’agissant des créations et extensions de compétences, le juge a adopté une interprétation très stricte des dispositions précitées. En effet, le Conseil constitutionnel a une vision réduite de la notion d’extension de compétences, puisqu’une disposition qui modifie les modalités d’une compétence mais n’en transforme ni la nature ni l’objet ne donne pas lieu à une extension de compétences (CC, 18 octobre 2010, Département du Val-de-Marne, no 2010-56 QPC, cons. 6 ; v. aussi : CE, 21 mars 2016, Département du Val-d’Oise, n° 395528).

Il détermine en outre et en premier lieu s’il s’agit d’une compétence facultative ou obligatoire.

Dans le premier cas (compétence facultative), il n’exige pas la création de ressources (CC, 31 juillet 2003, loi relative à l’archéologie préventive, n° 2003-480 DC, cons. 14 à 17 ; 13 janvier 2005, loi de programmation pour la cohésion sociale, n° 2004- 509 DC, cons. 11).

Dans le second cas (compétence obligatoire), il n’est fait obligation au législateur que d’accompagner ces créations ou extensions de compétences de ressources dont il lui appartient d’apprécier le niveau, sans toutefois dénaturer le principe de libre administration des collectivités territoriales (CC, 7 août 2008, loi instituant un droit d’accueil pour les élèves, n° 2008-569 DC, cons. 13).

Et, là encore, le Conseil constitutionnel n’impose pas au législateur de prévoir une corrélation entre les ressources allouées aux collectivités territoriales en contrepartie d’une création ou d’une extension de compétences et l’évolution ultérieure des dépenses engagées par ces collectivités. Cette logique a été également entérinée par le Conseil d’État (CE, 29 octobre 2010, Département de la Haute-Garonne, n° 342072).

Il résulte ainsi de la Constitution et de la jurisprudence, tant constitutionnelle qu’administrative, que l’accroissement ultérieur aux transferts, création et extension de compétences doit être assumé par les collectivités territoriales concernées. Une exception légale est néanmoins prévue par l’article L. 1614-2 du CGCT en application duquel toute charge nouvelle incombant aux collectivités territoriales du fait de la modification par l’Etat, par voie réglementaire, des règles relatives à l’exercice des compétences transférées est compensée intégralement.

La recommandation n° 6 permettrait ainsi de tenir compte de cet accroissement ultérieur. Quant à la recommandation n° 5, elle permettrait de prévoir une juste compensation financière des créations et extensions de compétences, ni la Constitution, ni la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne prévoyant, à ce stade, l’équivalence entre les nouvelles ressources et les nouvelles charges, au vu d’une estimation de ces charges. Quant à la réforme de la DGF (recommandation n° 9), cela fait des années qu’elle est évoquée sans qu’une réelle remise à plat du dispositif ait toutefois abouti.