CC, 11 octobre 2024, Décision QPC n° 2024-1107
Par deux décisions en date du 11 octobre 2024, le Conseil constitutionnel s’est penché sur les différences de régimes en matière de protection fonctionnelle et leur conformité à la Constitution.
I. Il s’agissait, dans la première affaire (n° 2024-1106), de la différence de traitement entre agents publics et élus locaux.
Dans cette affaire, le conseil municipal de la commune d’Istres avait octroyé à son maire le bénéfice de la protection fonctionnelle dans le cadre de l’enquête préliminaire dont il faisait l’objet, ouverte par le parquet national financier pour des délits d’atteinte à la probité.
La Commune reprochait alors aux dispositions précitées de l’article L. 2123-34 du CGCT de n’accorder la protection fonctionnelle de la commune qu’au stade des poursuites pénales, sans en étendre le bénéfice aux actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire.
Il en résultait, selon elle, une différence de traitement injustifiée entre les élus municipaux et les agents publics.
A cet égard, rappelons que, aux termes de l’article L. 2123-34 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la commune est tenue d’accorder la protection fonctionnelle aux élus communaux exerçant ou ayant exercé des fonctions exécutives[1] lorsque ceux-ci font l’objet de poursuites pénales, c’est-à-dire lorsque l’action publique a été mise en mouvement à leur encontre conformément à l’article 1er du Code de procédure pénale.
De son côté, en application de l’article L. 134-4 du Code général de la fonction publique, l’agent public peut bénéficier de la protection fonctionnelle avant l’engagement de toutes poursuites pénales à son encontre et donc pour des actes intervenant au cours de l’enquête préliminaire (lorsqu’il est entendu en qualité de témoin assisté, lorsqu’il est placé en garde à vue ou lorsqu’il se voit proposer une mesure de composition pénale).
Saisi de la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 2123-34 du CGCT précité, le Conseil d’Etat a renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel[2].
Le Conseil constitutionnel refuse toutefois d’y voir une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, considérant que les agents publics « ne se trouvent pas dans la même situation que les élus chargés d’administrer la commune, au regard notamment de la nature de leurs missions et des conditions d’exercice de leurs fonctions ».
Il juge alors que, compte tenu de la différence de situation entre agents publics et élus municipaux, le législateur n’était pas tenu de les soumettre aux mêmes règles de protection fonctionnelle.
II. Dans la seconde affaire (n° 2024-1107), le Conseil constitutionnel était cette fois saisi de la différence de traitement entre les conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives et les autres conseillers régionaux.
Dans cette affaire, la commission permanente du conseil régional d’Île-de-France avait refusé d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle à un conseiller régional dans le cadre de sa citation directe devant le Tribunal de grande instance de Paris pour des faits de diffamation.
Le conseiller requérant faisait alors valoir que, en réservant le bénéfice de la protection fonctionnelle aux conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives, ces dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre ces derniers et les autres conseillers régionaux.
Sur ce point, pour rappel, l’article L. 4135-28 du CGCT réserve, comme pour tous les autres élus locaux, le bénéfice de la protection fonctionnelle aux seuls conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives[3].
Saisi de la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 4135-28 du CGCT, le Conseil d’Etat a renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel[4].
Néanmoins, le Conseil constitutionnel a, là encore, écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
Il a, en effet, jugé que « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu accorder le bénéfice de la protection aux conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives, compte tenu des risques de poursuites pénales auxquels les exposent ces fonctions ».
Le Conseil constitutionnel en déduit dès lors que les conseillers régionaux exerçant des fonctions exécutives ne sont pas placés dans la même situation que les autres conseillers régionaux, ce qui justifie la différence de traitement.
En définitive, on retiendra des deux décisions précitées que le Conseil a jugé conforme à la Constitution l’octroi différencié de la protection fonctionnelle entre agents publics et élus municipaux, d’une part, et entre conseillers régionaux titulaires de fonctions exécutives et autres conseillers régionaux, d’autre part.
On relèvera néanmoins que, dans chacune des deux décisions, le Conseil constitutionnel invite explicitement le législateur à prendre position sur le sujet en lui rappelant qu’il lui « serait loisible […] d’étendre la protection fonctionnelle » à d’autres actes de la procédure pénale, pour la première affaire, et aux autres conseillers régionaux, pour la seconde.
En validant cette double différence de traitement, ces décisions interrogent plus largement sur la nécessité d’une nouvelle réflexion sur l’efficacité des dispositifs de protection fonctionnelle des élus locaux et sur les modalités de leur traduction législative.
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[1] A savoir le maire, ses adjoints ou les conseillers ayant reçu une délégation de la part du maire.
[2] CE, 15 juillet 2024, n° 490227, inédit.
[3] A savoir le président du conseil régional ou le conseiller régional le suppléant ou ayant reçu une délégation.
[4] CE, 15 juillet 2024, n° 469682, inédit.