Vie des acteurs publics
le 13/11/2025

Proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local : où en est-on ?

Sénat, Proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local - Texte adopté avec modifications par le Sénat le 22 octobre 2025

À moins de cinq mois des élections municipales, le Sénat a adopté à l’unanimité, le 22 octobre 2025, en deuxième lecture, la proposition de loi transpartisane portant création d’un statut de l’élu local. Ce texte, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 10 juillet dernier après plusieurs modifications substantielles, revenait ainsi devant les sénateurs qui se sont montrés soucieux d’en préserver l’équilibre et l’esprit initial. Lors de cette nouvelle lecture, les débats ont été nourris, notamment autour des questions sensibles des indemnités, des conflits d’intérêts et la protection fonctionnelle.

1. Les mesures relatives au régime indemnitaire des élus locaux

Les sénateurs ont déploré la moindre ambition du dispositif adopté par l’Assemblée nationale qui a abaissé et limité la revalorisation des indemnités de fonction maximales des maires. Initialement, la copie des sénateurs prévoyait une hausse uniforme de 10 % des plafonds indemnitaires, quelle que soit la strate démographique de la commune. La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, qui ne ciblait plus que les maires des communes de moins de 20.000 habitants et prévoyait une hausse dégressive des indemnités en fonction de la strate démographique, a finalement été retenue par le Sénat, celui-ci s’étant résolu à adopter cette version au regard de l’évolution du contexte budgétaire.

Par ailleurs, la faculté de majorer les indemnités de fonction des maires des communes de plus de 100.000 habitants au-delà de l’enveloppe indemnitaire globale qui avait été introduite à l’Assemblée nationale, a été supprimée en commission au Sénat, les sénateurs estimant qu’un tel dispositif aurait pesé de manière disproportionnée sur les budgets des communes concernées

Enfin, alors que la commission des lois avait rétabli la rédaction issue de la première lecture au Sénat, prévoyant que le principe de fixation par défaut des indemnités de fonction au maximum légal – actuellement applicable aux seuls maires – soit étendu à l’ensemble des membres des exécutifs locaux, les sénateurs ont, en séance, limité cette extension. Le principe de fixation par défaut des indemnités de fonction au maximum légal ne subsisterait donc que pour les chefs d’exécutifs locaux, afin que l’organe délibérant conserve sa faculté de répartition de l’enveloppe, notamment pour attribuer des indemnités aux élus pour lesquels elles sont facultatives.

2. La refonde du cadre juridique applicable aux conflits d’intérêts

Mesure emblématique du texte, la réforme du cadre juridique applicable aux conflits d’intérêts a été longuement débattue avant que les sénateurs ne s’accordent sur une rédaction jugée plus satisfaisante et sécurisante.

Plusieurs modifications ont d’abord été apportés à l’article 432-12 du Code pénal. Les sénateurs ont souhaité expressément introduire la notion d’intentionnalité dans la définition du délit de prise illégale d’intérêts qui devra être commis, selon cette rédaction « en connaissance de cause ». Les membres de la Haute Assemblée ont également préféré l’emploi du terme « altérant » pour qualifier l’intérêt de nature à mettre en cause l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité du décideur public. Ce terme permettrait, contrairement au verbe « compromettre », de saisir « les seuls cas dans lesquels la prise illégale d’intérêt a effectivement mis en cause l’impartialité, l’indépendance ou l’objectivité du décideur » et impliquerait, en somme, « que l’atteinte portée soit réellement constituée ».

Ensuite, en l’état du texte, l’élu agissant pour répondre à « un motif impérieux d’intérêt général » – notion dont le contenu demeure à ce stade relativement flou – serait exonéré de sanction pénale. Cette mesure figurait parmi les propositions du rapport Vigouroux, remis au Premier ministre en mars dernier.

En outre, concernant le conflit d’intérêt public-public, le texte prévoit qu’un intérêt public ne peut constituer un intérêt au sens de l’article 432-12 du Code pénal. Constituerait désormais un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et – seulement – « des intérêts privés » (et non plus, comme le prévoit le droit en vigueur, toute situation d’interférence entre « un intérêt public et des intérêts publics ou privés »).

Concernant les élus représentant une collectivité ou un groupement, les sénateurs ont décidé d’étendre la présomption d’absence de conflit d’intérêt aux élus qui sont désignés sans référence à la loi (condition requise en l’état actuel du droit afin de bénéficier de la protection) pour représenter une collectivité ou un groupement au sein d’organes décisionnels d’une autre personne morale de droit public ou privé.

Ce faisant, ces représentants ne seraient pas considérés, du seul fait de cette désignation, comme ayant un intérêt lorsque la collectivité ou le groupement délibère sur une affaire intéressant la personne morale concernée ou lorsque celle-ci se prononce sur une affaire intéressant la collectivité ou le groupement représenté. Il n’y aurait donc pas d’obligation de déport dans cette hypothèse. Ces représentants ne pourraient cependant participer « ni aux décisions de la collectivité territoriale ou du groupement attribuant à la personne morale concernée un contrat de la commande publique, ni aux commissions d’appel d’offres ». Cela étant, les sénateurs ont précisé que cette protection ne bénéficierait aux élus concernés que « s’il ne perçoivent pas de rémunération ou d’avantages particuliers au titre de cette représentation ». Les élus devraient donc se déporter dans un tel cas.

Enfin, le texte régit désormais expressément l’hypothèse du cumul de mandats. Les sénateurs ont ajouté une disposition précisant que « les élus détenant plusieurs mandats au sein d’organes délibérants de collectivités territoriales ou de groupements de collectivités territoriales ne sont pas considérés comme ayant un intérêt […] du seul fait de cette détention, lorsque l’une de ces collectivités ou l’un de ces groupements se prononce sur une affaire intéressant une autre de ces collectivités territoriales ou un autre de ces groupements ».

3. L’extension de la protection fonctionnelle à l’ensemble des élus

On se souvient qu’en première lecture, l’Assemblée nationale avait réservé l’octroi automatique de la protection fonctionnelle aux seuls élus chargés de fonctions exécutives, dès lors qu’ils constituaient selon elle la « catégorie d’élus plus exposée et plus vulnérable, dans la mesure où ils sont les plus visés par des actes d’agressions ».

Les sénateurs ont toutefois rétabli la rédaction de première lecture prévoyant l’automaticité de la protection fonctionnelle pour l’ensemble des élus – qu’ils exercent ou non des fonctions exécutives et qu’ils appartiennent à la majorité ou à l’opposition –, estimant cette extension « justifiée au regard du risque croissant d’agressions physiques et verbales auquel sont aujourd’hui confrontés l’ensemble des élus locaux ».

Après cette adoption unanime au Sénat, la proposition de loi repart désormais à l’Assemblée nationale pour une deuxième lecture, programmée au mois de décembre 2025. Reste toutefois à savoir comment les députés accueilleront les modifications (ré)introduites par le Sénat. L’enjeu des délais d’adoption apparaît désormais crucial, alors que l’ensemble des élus locaux espèrent voir ce nouveau statut de l’élu local entrer en vigueur avant le renouvellement général des conseils municipaux en mars prochain.