Urbanisme, aménagement et foncier
le 04/07/2023

Projet de loi relatif à l’industrie verte : raison impérative d’intérêt public majeur appréciée au stade de la déclaration d’utilité publique

Sénat, projet de loi relatif à l’industrie verte, Art. 10 Ch. 5

L’actuel article L. 122-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose que :

« La déclaration d’utilité publique des opérations susceptibles d’affecter l’environnement relevant de l’article L. 123-2 du Code de l’environnement est soumise à l’obligation d’effectuer la déclaration de projet prévue à l’article L. 126-1 du Code de l’environnement.

Si l’expropriation est poursuivie au profit d’une collectivité territoriale, d’un de ses établissements publics ou de tout autre établissement public, l’autorité compétente de l’Etat demande, au terme de l’enquête publique, à la collectivité ou à l’établissement intéressé de se prononcer, dans un délai qui ne peut excéder six mois, sur l’intérêt général du projet dans les conditions prévues à l’article L. 126-1 du Code de l’environnement. Après transmission de la déclaration de projet ou à l’expiration du délai imparti à la collectivité ou à l’établissement intéressé pour se prononcer, l’autorité compétente de l’Etat décide de la déclaration d’utilité publique.

Lorsque l’opération est déclarée d’utilité publique, la légalité de la déclaration de projet ne peut être contestée que par voie d’exception à l’occasion d’un recours dirigé contre la déclaration d’utilité publique. Les vices qui affecteraient la légalité externe de cette déclaration sont sans incidence sur la légalité de la déclaration d’utilité publique.

Si l’expropriation est poursuivie au profit de l’Etat ou de l’un de ses établissements publics, la déclaration d’utilité publique tient lieu de déclaration de projet.

L’acte déclarant d’utilité publique l’opération est accompagné d’un document qui expose les motifs et considérations justifiant son utilité publique ».

Il s’en évince que, s’agissant des déclarations d’utilité publique (DUP) des opérations susceptibles d’affecter l’environnement, la DUP doit faire l’objet au préalable d’une déclaration de projet. Ensuite, lorsque l’opération est déclarée d’utilité publique, l’acte de DUP est accompagné d’un document exposant les motifs et considérations justifiant son utilité publique.

Concrètement, différentes phases doivent être mises en œuvre avant de pouvoir réaliser le projet objet de la DUP. Pour rappel, en substance, le porteur du projet devra effectuer toutes les études nécessaires à la réalisation de son dossier soumis à enquête publique, puis effectuer les diverses consultations sur ce dossier, afin que l’enquête publique conduise à la reconnaissance de l’utilité publique de son projet.

Ce n’est qu’après la reconnaissance de l’utilité publique qu’il devra mettre en œuvre d’autres procédures législatives ou réglementaires, pour obtenir diverses autorisations : autorisation environnementale, dérogation espèces protégées, autorisation de défrichement, autorisation d’urbanisme, etc.

Le projet de loi propose donc d’ajouter au dernier alinéa de cet article : « ainsi que, dans le cas prévu à l’article L. 122-1-1, ceux qui justifient sa qualification d’opération répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur ».

En effet, l’on rappelle que l’article L. 411-1 du Code de l’environnement dispose :

« I. – Lorsqu’un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits :

1° La destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d’animaux de ces espèces ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ;

2° La destruction, la coupe, la mutilation, l’arrachage, la cueillette ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ;

3° La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ;

4° La destruction, l’altération ou la dégradation des sites d’intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que le prélèvement, la destruction ou la dégradation de fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites ;

5° La pose de poteaux téléphoniques et de poteaux de filets paravalanches et anti-éboulement creux et non bouchés.

II- Les interdictions de détention édictées en application du 1°, du 2° ou du 4° du I ne portent pas sur les spécimens détenus régulièrement lors de l’entrée en vigueur de l’interdiction relative à l’espèce à laquelle ils appartiennent ».

Seulement, l’article L. 411-2 – 4° prévoit une dérogation aux interdictions de l’article précité :

« 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1, à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l’autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle :

a) Dans l’intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ;

b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;

c) Dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;

d) A des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;

e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens ».

Et le Conseil d’Etat juge constamment que :

« Il résulte de ces dispositions qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature et compte tenu notamment du projet urbain dans lequel il s’inscrit, à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle » (CE, 24 juillet 2019, N° 414353, aux Tables ; pour un exemple plus récent, voir : CE, 17 octobre 2022, N° 459219, aux Tables).

Les trois conditions sont donc les suivantes :

  • Le projet doit correspondre à une raison impérative d’intérêt public majeur ; et si un tel intérêt est démontré, et out en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues :
    • Il ne doit pas exister d’autres solutions satisfaisantes ;
    • Il ne doit pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Enfin, le projet de loi prévoit la création d’un article L. 122-1-1 du Code de l’expropriation disposant que :

« La déclaration d’utilité publique d’une opération en application de l’article L. 121-1 du présent code ou de travaux en application de l’article L. 323-3 du Code de l’énergie, dont la réalisation nécessite ou est susceptible de nécessiter une dérogation au titre du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, peut, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat, leur reconnaître, en outre, le caractère d’opération ou de travaux répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de ces dispositions, pour la durée de validité initiale de la déclaration d’utilité publique et, le cas échéant, pour la durée de prorogation de cette déclaration, dans la limite de dix ans.

Cette reconnaissance ne peut être contestée qu’à l’occasion d’un recours dirigé contre la déclaration d’utilité publique, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l’appui d’un recours dirigé contre l’acte accordant la dérogation prévue par le c du I de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement ».

Cet article prévoit donc que la DUP puisse reconnaître, pour l’opération concernée, le caractère d’opération répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) au sens et pour l’application de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement.

C’est ici bien comprendre que ce projet prévoit d’interroger le caractère de RIIPM du projet dès la phase de déclaration d’utilité publique, ce qui permettrait d’éviter que les requérants reviennent sur la RIIPM au stade de la dérogation espèces protégées, soit après reconnaissance de l’utilité publique du projet.

Aussi, le fait de se projeter sur la dérogation espèces protégés dès la DUP permettra une meilleure prise en compte des enjeux de biodiversité et de protection des espèces et des habitats dès l’examen de la DUP.

Cette nouveauté découlant du projet de loi apparait d’autant plus nécessaire que ce sont souvent plusieurs années qui s’écoulent entre la réalisation du dossier soumis à enquête publique – conduisant à la DUP – et la réalisation des dossiers de demandes des diverses autorisations environnementales post DUP.

Et le projet précise que cette reconnaissance ne pourra être contestée qu’à l’occasion d’un recours contre l’acte déclarant d’utilité publique le projet, puisqu’il lui est indivisible, et non contre l’acte accordant ladite dérogation.

A ce titre, l’exposé des motifs du gouvernement indique que : « cette mesure vise à sécuriser les porteurs de projets dans leurs démarches, apporter de meilleures garanties au respect du droit de propriété, purger en amont les contentieux éventuels liés à la RIIPM et permettre au porteur de projet de se projeter sur la procédure de dérogation espèces protégées dès la DUP, tout en maintenant un haut niveau de garantie de protection des espèces et de leurs habitats ».

En conclusion, il est indéniable que cet article 10 du projet de loi relatif à l’industrie verte a pour volonté d’accélérer la procédure de DUP des projets en faveur de la réindustrialisation décarbonée de la France et, consécutivement, d’en accélérer la mise en œuvre.