CE, 2 mai 2024, avis n° 408259
Le projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables, émanant du ministre délégué au logement, a été déposé au Sénat le 6 mai 2024. Ce projet, fondé autour de 4 axes (donner de nouveaux outils aux élus locaux pour construire, simplifier les procédures, augmenter les ressources des bailleurs sociaux et faciliter l’accès des Français au logement), comporte des mesures phares en matière d’urbanisme sur lesquels le Conseil d’Etat a émis des réticences dans son avis du 2 mai dernier, en particulier s’agissant des délais de recours contre des autorisations d’urbanisme.
I. Sur la présomption d’urgence à suspendre les décisions de refus de délivrer des autorisations d’urbanisme et les décisions d’opposition à déclaration préalable
L’article 4 du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables prévoit, tout d’abord, la création d’un article L. 600-3-1 au sein du Code de l’urbanisme selon lequel :
« Lorsqu’un recours formé contre une décision d’opposition à déclaration préalable ou de refus de permis de construire, d’aménager ou de démolir est assorti d’un référé suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la condition d’urgence est présumée satisfaite ».
D’une part, cet article s’inscrit dans la continuité de la présomption d’urgence codifiée à l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme, relatif aux référés-suspension formés contre une décision de non-opposition à déclaration préalable, un permis de construire, un permis d’aménager ou un permis de démolir. Toutefois, contrairement au mécanisme applicable aux décisions d’urbanisme positives, le délai d’introduction de référé-suspension relatif aux décisions d’urbanisme négatives ne semble pas être encadré par le délai de cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort (prévu à l’article R. 600-5 du Code de l’urbanisme).
Autrement dit, et c’est la première critique émise par le Conseil d’Etat dans le cadre de son avis du 2 mai dernier, le dispositif dérogatoire envisagé par le projet de loi aura pour effet de complexifier le traitement des requêtes de référé.
D’autre part, l’objectif poursuivi par l’article 4 du projet de loi, tel qu’exposé dans l’étude d’impact, est de réduire les délais de procédure contentieuse et de faire échec aux recours dilatoires en matière d’urbanisme. Or, il est difficile de comprendre comment la création d’une présomption d’urgence pour les décisions d’urbanisme négatives dans le cadre des référés-suspensions, qui n’est encadrée par aucun délai et qui facilite, au contraire, l’ouverture de requêtes en référé-suspension, pourrait avoir un tel effet.
Ainsi, comme le relève le Conseil d’Etat dans son avis du 2 mai 2024, le dispositif dérogatoire envisagé par le projet de loi aura pour effet de « complexifier le traitement des requêtes de référé sans lien avec l’objectif recherché énoncé par l’étude d’impact ».
II. Sur la réduction des délais de recours contre les décisions les autorisations d’urbanisme et les décisions de non-opposition à déclaration préalable
L’article 4 du projet de loi relatif au développement de l’offre de logements abordables prévoit, ensuite, la création d’un article L. 600-14 au sein du Code de l’urbanisme selon lequel :
« Le délai d’introduction d’un recours gracieux ou hiérarchique à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir est d’un mois. Le silence gardé pendant plus d’un mois sur ce recours par l’autorité compétente vaut décision de rejet.
Le délai de recours contentieux contre une décision mentionnée à l’alinéa précédent n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours gracieux ou hiérarchique ».
Ainsi, le projet de loi prévoit d’une part de réduire le délai des recours gracieux ou hiérarchiques formés contre des autorisations d’urbanisme ou des décisions de non-opposition à déclaration préalable à 1 mois. En retour, l’administration ne disposera que d’un délai d’un mois pour émettre une décision sur cette demande.
D’autre part, le projet de loi prévoit que l’introduction d’un recours gracieux ou hiérarchique contre lesdites décisions ne prorogera pas le délai de recours.
Là encore, les dispositions du projet de loi tendant à resserrer les conditions d’exercice et les délais d’instruction du recours administratif contre des décisions de non-opposition à déclaration préalable ou des autorisations d’urbanisme font l’objet d’une vive réticence de la part du Conseil d’Etat. Et pour cause, ces dispositions sont, comme le relève la haute juridiction, « de nature à priver d’intérêt l’exercice du recours gracieux ou hiérarchique et à engager les requérants à porter directement le litige devant le juge administratif, au rebours des efforts engagés dans de très nombreuses matières pour réguler, grâce au recours administratif, le flux de recours contentieux ».
Ainsi, ces dispositifs – qui soulèvent des interrogations quant aux objectifs recherchés en matière de simplification des procédures – auront pour effet d’accroître le nombre de contentieux en matière d’urbanisme réglementaire.
Au surplus, comme le relève le Conseil d’Etat, les mesures envisagées définiront un régime dérogatoire pour l’ensemble des décisions d’urbanisme – excédant donc le sujet du logement concerné par le projet de loi – sans cohérence avec les dispositions par ailleurs applicables, en particulier aux installations classées pour la protection de l’environnement.
Dans ces conditions, le Conseil d’Etat ne retient pas ces dispositions qui accroît le « caractère excessivement instable et dérogatoire des normes applicables à l’ensemble du contentieux du droit de l’urbanisme, au détriment de l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité des normes ».