Fonction publique
le 10/07/2025

Premières lumières jurisprudentielles sur les sujétions justifiant une réduction de la durée de travail

TA Melun, 26 juin 2025, n° 2303779

Depuis la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 29 juillet 2022, qui a confirmé la constitutionnalité de l’obligation faite aux collectivités territoriales de mettre fin aux régimes dérogatoires à la durée annuelle de travail de 1607 heures, de nombreuses collectivités ont engagé un travail d’ampleur destiné à appliquer à certaines catégories d’agents les dispositions de l’article 2 du décret du 12 juillet 2021 (n° 2001-623), qui permet de réduire la durée annuelle de travail pour tenir compte de « sujétions liées à la nature des missions des agents », et notamment à l’égard des agents dont les fonctions impliquent des travaux pénibles et dangereux.

La rédaction était d’une rédaction très sommaire, très peu précise, et n’avait que très peu été mise en œuvre depuis 2001. De ce fait, la jurisprudence était restée particulièrement muette sur la question.

La Cour administrative d’appel de Paris avait apporté un premier éclairage en censurant la délibération du Conseil de Paris qui avait prévu une application uniforme d’une réduction de trois jours de travail à l’ensemble de ses personnels, en considération des caractéristiques de leur lieu de travail, c’est-à-dire de l’intensité particulière de la capitale comme l’environnement de travail. Selon la cour, cette disposition ne peut être appliquée qu’aux « seules hypothèses de sujétions intrinsèquement liées à la nature même des missions ».

Si cette précision était déterminante, elle laissait néanmoins de grandes questions en suspens, et en particulier de la nature exacte des sujétions qui pouvaient justifier une réduction de la durée annuelle de travail. De ce fait, nombre de collectivités territoriales ont mis en place des dispositifs très variés, souvent fondés sur les facteurs de risques professionnels prévus par le Code du travail et déterminant une pénibilité au regard du régime des pensions. Ces dispositifs ont donné lieu à de nombreux déférés préfectoraux en France, depuis 2023 en particulier, mais limités bien souvent à des ordonnances de référé qui, du fait de l’office du juge, ne pouvaient réellement définir une jurisprudence claire et généralisable de l’application de ces textes.

Plus récemment toutefois, le Tribunal administratif de Melun, statuant au fond, a pris la pleine mesure de son office et commencé à préciser les contours de cette notion. Dans un jugement du 14 novembre 2024, il a indiqué, pour la première fois, que ces dispositions n’avaient pas vocation à « permettre la réduction du temps de travail pour tout agent soumis à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles d’avoir un impact sur sa santé physique ou psychologique », mais que ces dispositions « vis[aient] seulement à protéger certaines catégories d’agents soumises à des contraintes professionnelles particulières ». Cette interprétation le conduisait alors à valider la réduction de durée annuelle de travail qui était en l’espèce appliquée aux assistants maternels, compte tenu des multiples contraintes physiques, et de l’amplitude horaire de leur travail.

Une nouvelle avancée jurisprudentielle est intervenue récemment, dans un jugement rendu le 26 juin 2025. La juridiction était saisie d’une requête pléthorique qui remettait en question l’ensemble des sujétions qui étaient reconnues à chacun des métiers dont la commune avait décidé de réduire la durée de travail. Cette requête a conduit la juridiction à s’interroger sur la nature du contrôle qu’il lui incombait, dans ce cadre, c’est-à-dire de la question de savoir s’il lui appartenait d’examiner si chacune des sujétions prises en compte correspondait à chacun des métiers considérés, et à trancher en considérant qu’un tel contrôle ne pouvait lui incomber.

En conséquence, la juridiction a alors indiqué les points sur lesquels la juridiction exercerait son contrôle, et la nature du contrôle qu’elle exercerait :

  • La nature des sujétions, qui doit être en lien avec la nature des missions des agents publics ou de leur cycle de travail ;
  • Le lien entre chaque sujétion et métier considéré, le Tribunal indiquant toutefois qu’il n’examinerait que l’existence d’erreur manifeste d’appréciation, en l’absence de tout critère défini par les dispositions réglementaires appliquées ;
  • La parcimonie avec laquelle le dispositif est appliqué, qui ne peut conduire à réduire la durée du travail de l’ensemble des agents de la collectivité, compte tenu du caractère intrinsèquement dérogatoire du dispositif ;

Enfin, la juridiction soulignait que le fait d’appliquer une réduction de durée du travail uniforme à l’ensemble des agents concernés par une sujétion de pénibilité n’impliquait pas, par nature, une erreur manifeste d’appréciation.

C’est donc une heureuse évolution de la jurisprudence, certes encore limitée au premier degré de l’ordre administratif, mais qui permettra, si elle devait être pérennisée, de faciliter et sécuriser la mise en œuvre de ce dispositif, qui aura vocation à rester important, dans un contexte ou la pénibilité du travail est un sujet de premier ordre.