Contrats publics
le 09/02/2023

Précisions sur l’indemnisation du cocontractant de l’administration en cas de résiliation amiable

CE, 16 décembre 2022, SNC Grasse-vacances, n° 455186

En cas de résiliation d’un contrat par l’administration, quelles doivent être l’ampleur et les modalités de l’indemnisation de son cocontractant ?

C’est sur cette question que s’est à nouveau penché le Conseil d’Etat par sa décision du 16 décembre 2022, publiée au recueil Lebon.

Par sa jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat avait déjà précisé qu’en application de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, le contrat pouvait déterminer les modalités d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation, sous réserve qu’il n’en résultât pas une « disproportion manifeste » par rapport au montant du préjudice causé par la résiliation (CE, 4 mai 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, req. n° 334280).

Cependant, cette jurisprudence n’était pas entièrement cohérente avec celle, plus exigeante, construite en parallèle par le Conseil constitutionnel qui, pour sa part, a considéré que « le respect [du principe d’égalité devant les charges publiques] ainsi que l’exigence de bon emploi des deniers publics ne seraient pas davantage assurés si était allouée à des personnes privées une indemnisation excédant le montant de leur préjudice » (C. Const., 20 janvier 2011, n° 2010-624 DC).

Le Conseil d’Etat a donc, suivant les conclusions du rapporteur public Thomas Pez-Lavergne, profité de cette affaire pour aligner sa jurisprudence avec celle du Conseil constitutionnel, en abandonnant la référence à la « disproportion manifeste » et en veillant à ce que l’indemnité n’excède pas la réparation du préjudice causé au cocontractant par la résiliation d’un contrat.

Dans ce litige, trois élus municipaux d’opposition avaient obtenu du Tribunal administratif de Nice l’annulation de la délibération du Conseil municipal de Grasse approuvant la résiliation amiable du bail emphytéotique conclu en 1966 avec la Société Grasse-vacances pour une durée de 60 ans et le versement à celle-ci de la somme de 1.700.000 € à titre d’indemnité.

Saisi par la Société Grasse-vacances d’un pourvoi contre l’arrêt de la Cour administrative de Marseille ayant rejeté son recours contre ce jugement, le Conseil d’Etat commence par poser le principe suivant, inspiré de la jurisprudence constitutionnelle :

« Les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l’étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment de la personne publique, l’allocation au cocontractant d’une indemnisation excédant le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat ».

Puis, faisant application de ce principe au cas d’espèce, il considère que, dès lors que le contrat laissait le choix à la Société Grasse-vacances entre exploiter elle-même le village vacances ou céder, sous réserve de l’accord de la commune, les droits réels qu’elle tenait du contrat, il fallait déterminer le préjudice subi du fait de la résiliation en tenant compte du montant le plus élevé entre :

  • le bénéfice escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir ;
  • la valeur des droits réels issus du bail.

Par suite, constatant que la Cour administrative d’appel avait refusé de tenir compte du prix que la Société Grasse-vacances aurait pu tirer de la cession des droits qu’elle tenait du bail, le Conseil d’Etat conclut qu’elle a, ce faisant, commis une erreur de droit. Il annule donc l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire à la Cour administrative d’appel.