Urbanisme, aménagement et foncier
le 13/12/2023

Précisions sur les conséquences de la modification d’un projet objet d’une demande d’autorisation d’urbanisme en cours d’instruction

CE, 1er décembre 2023, n° 448905

Rappel des faits et de la procédure :

Dans cette affaire, une société a sollicité, le 22 juillet 2016, un permis de construire portant sur deux immeubles à usage d’habitation sur le territoire de la commune de Gorbio.

Par une lettre en date du 19 août 2016, la Commune a demandé des pièces complémentaires à la société pétitionnaire.

Les pièces complémentaires ont été transmises à la Commune le 29 août 2023.

Le dossier était alors en état d’être instruit.

Plus précisément, le délai d’instruction, ici de trois mois, a donc commencé à courir à compter du 29 août 2023.

C’est ici bien comprendre que, sauf intervention préalable d’une décision expresse, un permis de construire tacite serait né le 29 novembre 2023.

Toutefois, le pétitionnaire a produit de nouvelles pièces – nullement sollicitées par la Commune – les 27 octobre et 25 novembre 2016. Ces éléments correspondaient à des modifications de la demande de permis de construire initiale portant, d’une part, sur l’implantation d’un ouvrage d’art et, d’autre part, sur l’insertion paysagère du parking.

Le maire a finalement rejeté la demande de permis de construire de la société le 26 décembre 2016.

Le pétitionnaire a exercé un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de cette décision de refus devant Le Tribunal administratif de Nice, qui l’a annulée.

La Commune a interjeté appel mais la Cour administrative d’appel de Marseille a confirmé le jugement de Nice.

La Commune s’est donc pourvue en cassation.

 

Analyse de la décision du Conseil d’Etat :

D’abord, le Conseil d’Etat a rappelé les articles L. 423-1 et L. 424-2 du Code de l’urbanisme et également leur pendant réglementaires -, qui disposent, en substance les cas dans lesquels le service instructeur peut réduire ou prolonger les délais classiques d’instruction (considérants n° 2 et 3).

Pour rappel, le délai d’instruction d’une déclaration préalable est d’un mois à compter du dépôt du dossier de déclaration préalable complet.

De même, le délai d’instruction d’une demande de permis de construire classique est de deux mois. Ce délai peut être prolongé pour des projets plus techniques, et notamment lorsqu’il est nécessaire de saisir l’architecte des bâtiments de France pour avis.

Aussi, l’on rappelle que le dossier est réputé complet si l’autorité compétente n’a pas, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, notifié au demandeur la liste des pièces manquantes. A l’inverse, dès réception d’une telle demande de pièces complémentaires, le demandeur aura trois mois pour transmettre les pièces sollicitées. A défaut, l’administration considérera que le demandeur a abandonné sa demande d’autorisation d’urbanisme.

Ensuite, le Conseil d’Etat a rappelé que les juges d’appel avaient rejeté l’appel de la Commune au motif que l’envoi par la société pétitionnaire, les 27 octobre et 25 novembre 2016, de pièces nouvelles au service instructeur de la Commune, n’était pas susceptible d’influer sur la date de naissance d’un permis tacite, le 29 novembre 2016, consécutif à l’expiration du délai d’instruction de trois mois.

Or, le Conseil d’Etat a considéré que, ce faisant, la Cour avait commis une erreur de droit car il appartenait au service instructeur de rechercher si des modifications intervenues en cours d’instruction par le pétitionnaire, compte tenu de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles ont été présentées, pouvaient être prises en compte dans le délai qui lui était imparti pour se prononcer sur la demande initiale ou, à défaut, d’informer le pétitionnaire qu’elles avaient pour effet d’ouvrir un nouveau délai d’instruction de la demande ainsi modifiée.

Le considérant de principe est le suivant :

  1. En l’absence de dispositions expresses du Code de l’urbanisme y faisant obstacle, il est loisible à l’auteur d’une demande de permis de construire d’apporter à son projet, pendant la phase d’instruction de sa demande et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, des modifications qui n’en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié. Cette demande est en principe sans incidence sur la date de naissance d’un permis tacite déterminée en application des dispositions mentionnées ci-dessus. Toutefois, lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent, l’autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. L’administration est alors regardée comme saisie d’une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l’autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire. Il appartient le cas échéant à l’administration d’indiquer au demandeur dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 423-38 du Code de l’urbanisme les pièces manquantes nécessaire à l’examen du projet ainsi modifié.»

Il convient d’analyser précisément ce considérant en trois temps.

  • En premier lieu, ce considérant a pour intérêt d’indiquer que, dans la mesure où aucune disposition du Code de l’urbanisme ne l’interdit, le demandeur peut, pendant la phase d’instruction de sa demande d’autorisation d’urbanisme et avant l’intervention d’une décision expresse ou tacite, apporter des modifications à son projet dès lors que celles-ci ne changent pas la nature dudit projet. Pour ce faire, le demandeur devra adresser une demande en ce sens au service instructeur, accompagnée de ses nouvelles pièces.

Sous cette réserve, cette modification en cours d’instruction, à l’initiative du demandeur qui vient apporter de nouveaux éléments et pièces ne changeant toutefois pas la nature même du projet, n’aura en principe pas d’incidence sur la date de naissance d’un permis tacite.

  • En deuxième lieu, par exception, lorsque le service instructeur ne s’estimera pas en mesure d’instruire la demande selon les modifications du projet apportées en cours d’instruction par le demandeur, dans le cadre du délai initial, le service instructeur en informera par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle devait initialement intervenir la décision tacite, et lui indiquer la nouvelle date qui fera naître, à défaut de décision expresse, la délivrance d’un permis.

Cette prolongation pourra être justifiée par le fait que les modifications, du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle elles sont présentées, notamment car les modifications et nouvelles pièces, impliquent de nouvelles vérifications et/ou consultations, de sorte que leur examen ne pourra être mené à bien dans le délai d’instruction découlant de la demande initiale.

  • En troisième lieu, le Conseil d’Etat considère que, lorsque le service instructeur reçoit une demande de modification du projet et de nouvelles pièces, par le demandeur lui-même, en cours d’instruction, cette action doit se regarder comme une nouvelle demande qui se substitue à la demande initiale.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a considéré que la Commune était fondée à solliciter l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel confirmant le jugement du tribunal administratif de Nice. Le Conseil d’Etat a donc renvoyé l’affaire devant la Cour de Marseille.

Enfin, cette nouvelle décision peut, selon nous, être mise en parallèle avec deux autres décisions récentes du Conseil d’Etat, à savoir :

  • La décision en date du 9 décembre 2022 (n° 454521, publié au Recueil). Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a jugé que la production, en cours d’instruction, d’une pièce demandée par l’administration, demande illégale en ce qu’elle n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme, n’aura pas pour objet d’interrompre, ni de modifier le délai d’instruction.
  • La décision en date du 24 octobre 2023 (n° 462511, publié au Recueil). Par cette décision, le Conseil d’Etat a jugé que la modification du délai d’instruction notifiée après l’expiration du délai d’un mois prévu pour ce faire, ou qui, bien que notifié dans ce délai d’un mois, ne correspond à aucune des hypothèses permettant de majorer le délai d’instruction, n’a pas pour effet de modifier le délai d’instruction de droit commun à l’issue duquel nait un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable.