Energie
le 09/06/2022

Précisions du Médiateur National de l’Energie sur l’invocabilité de la force majeure par le gestionnaire du réseau de distribution de gaz naturel pour s’exonérer de sa responsabilité à l’égard des usagers

Recommandation du Médiateur National de l’Energie n° D2021-14296 du 10 décembre 2021, mise en ligne le 5 mai 2022

Dans une recommandation du 10 décembre 221, le Médiateur National de l’Energie (ci-après, MNE) a apporté d’intéressantes précisions sur l’invocabilité par le Gestionnaire du Réseau de Distribution (ci-après, GRD) de gaz naturel de la force majeure pour être exonéré de sa responsabilité à l’égard des usagers.

Dans cette affaire, un GRD avait été amené à couper durant 30 heures l’alimentation en gaz d’une copropriété de manière non programmée. Les copropriétaires sollicitaient une indemnisation, refusée par le GRD, pour les dédommager du préjudice découlant pour eux de la coupure inopinée.

Le GRD, pour refuser d’y faire droit, invoquait l’existence, selon lui, d’une situation de force majeure tenant à ce que la coupure était inévitable pour mettre en sécurité le réseau qui avait été détérioré par une société réalisant des travaux de voirie à proximité.

Le MNE ne souscrit pas à cet argumentaire du GRD et formule d’intéressantes observations.

D’une part, sur la notion de force majeure, le MNE considère que la condition d’imprévisibilité ne saurait être regardé comme remplie :

  • Les circonstances dans lesquelles la coupure est intervenue sont des avaries qui surviennent fréquemment dans le cadre de travaux. Cette circonstance n’est donc pas imprévisible pour le GRD qui, en tant que gestionnaire du réseau de distribution, doit faire face à ce type d’incidents qui ne s’apparente pas à un cas de force majeure ;
  • En particulier, une déclaration de travaux (DT-DICT) avait été effectuée par la société préalablement à la réalisation des travaux, de sorte que le GRD n’ignorait pas que des travaux allaient avoir lieu à proximité du réseau de distribution et n’ignorait donc pas que ces travaux pouvaient, malgré cette précaution, être à l’origine de dommages, comme cela est déjà arrivé, en raison d’une exécution défectueuse.

Le Médiateur estime donc que le GRD ne peut invoquer la force majeure à l’égard des consommateurs. Il souligne en revanche que le GRD peut parfaitement se retourner contre la société à l’origine du dommage afin d’obtenir une indemnisation.

D’autre part, en réponse à l’argumentaire invoqué par le GRD et tenant à la définition de la force majeure retenue par le cahier des charges de concession applicable (qui lie le GRD à une autorité organisatrice de distribution de gaz), le MNE estime que la clause invoquée doit être regardée comme abusive, et donc illégale.

Le GRD invoquait en effet l’article 13 du cahier des charges de concession qui stipulait :

«  Les Parties sont déliées de leurs obligations respectives au titre des Conditions de Distribution dans les cas et circonstances ci-après pour la durée et dans la limite des effets desdits cas et circonstances sur lesdites obligations :

  1. cas de force majeure, entendu comme tout événement extérieur à la volonté de la Partie qui l’invoque et ne pouvant être surmonté par la mise en œuvre des efforts auxquels celle-ci est tenue en sa qualité d’Opérateur Prudent et Raisonnable, ayant pour effet d’empêcher l’exécution de ladite Partie de tout ou partie de l’une quelconque de ses obligations découlant des Conditions de Distribution »

L’article 13 disposait également que « toute circonstance qui, conformément à l’article R. 121-11 du Code de l’énergie, rendrait nécessaire ou inévitable la réduction ou l’interruption de l’acheminement du Gaz, sans qu’elle ait à réunir les critères de la force majeure, libère le Distributeur de son obligation d’acheminer le Gaz et d’exécuter tout ou partie des obligations qui lui incombent au titre des Conditions de Distribution. Il s’agit des circonstances suivantes : […] fait d’un tiers, de l’administration ou des pouvoirs publics, dont les conséquences ne peuvent être surmontées par le distributeur agissant en opérateur prudent et raisonnable ».

Le MNE, s’appuyant sur la jurisprudence de la commission des clauses abusives, considère abusive cette définition extensive de la force majeure, plus large que la définition de droit commun reposant sur trois conditions : imprévisibilité, extériorité et irrésistibilité.

Le MNE recommande donc au GRD de modifier la clause du cahier des charges de concession pour en revenir à la définition de droit commun de la force majeure.

Dans un contexte de renégociation actuelle du modèle national de cahier des charges de concession de distribution de gaz naturel, cette recommandation pourrait utilement être prise en compte par les négociateurs.